lundi 15 octobre 2007

L'Autre


Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce écrite et mise en scène par Florian Zeller
Musique de Christophe
Avec : Sara Forestier (Elle), Aurélien Wiik (L'Autre), Stanislas Mehrar (Lui)

Ma note : 6/10

Le thème : Oscar Wilde disait que le couple, c'est ne faire qu'un. Oui, mais lequel ? Et si c'était encore un autre ?
Dans une oscillation permanente entre le rire et le drame, L'Autre raconte comment l'amour se brise sur la vie quotidienne. Faut-il, pour vivre ensemble à jamais, ne jamais vivre ensemble ?
Une triangulaire entre Lui, Elle et L'Autre...

Mon avis : Quand on découvre le décor minimaliste, on sait tout de suite que notre attention ne sera pas distraite par autre chose que les personnages. Quatre gros cubes de cuir qui se transforment tour à tour en futon ou en sièges, et c'est tout. Mais ils ont leur importance... Et puis la musique, mélopée lancinante susurrée par la voix ô combien envoûtante de Christophe. Enfin, de magnifiques portraits en noir et blanc, signés Kate Barry, qui subliment le visage si photogénique de Sara Forestier. Dépouillement et romantisme, violence et esthétique sont les quatre piliers sur lesquels repose L'Autre.
Quatre piliers pour l'éternel triangle de la vie amoureuse. Chacun des trois protagonistes de cette pièce ne cesse de décortiquer sa relation avec l'un(e) ou l'autre, mais également de s'auto-analyser. Cela donne des conversations gigognes. On ouvre tous les tiroirs, jusqu'au plus petit, et on y fouille le moindre recoin pour ne rien oublier. Quand on réalise à quel point ils en viennent à pinailler, on se dit qu'il ne doit pas être aisé d'être la petite copine de Florian Zeller. Un peu tordu le garçon ! S'il s'évertue ainsi dans la vie à disséquer tout et son contraire, les soirées doivent être passablement longues et tortueuses...
Mais c'est justement ce sens du détail et cette volonté exhaustive de rogner jusqu'à l'os la moindre attitude et le moindre sentiment qui font que les dialogues de cette pièce sont passionnants. Il faut en effet saluer la qualité du langage et le soin apporté à l'écriture. Amener à de telles extrêmités les conventions amoureuses a quelque chose de fascinant.
Le plus compliqué des trois, c'est indéniablement Lui (Stanislas Mehrar). Dans le genre loser magnifique, il est gratiné. Esprit brillantissime, mais totalement négatif, il s'enferme complaisamment dans sa solitude auto-imposée, préfère jouer les incompris et s'en prendre aux autres. L'oeil et la truffe humides, Stanislas Mehrar compose avec beaucoup de sensibilité une sorte de Droopy maussade et tristounet, capable en un instant de se métamorphoser en un pitbull mordant et vociférant. Acariâtre et jaloux, il pratique la torture avec un sadisme désabusé, mais toujours lucide : "Ce qui me fait peur quand je suis seul, c'est de penser qu'elle ne l'est pas elle, seule..."
Elle, justement ; puisqu'on en parle. Superbe composition de Sara Forestier écartelée entre son amour sincère pour Lui, mais qui s'effiloche en peau de chagrin, et l'attirance qu'elle ressent pour quelques Autres. Avec sa fossette craquante et sa cascade de cheveux blonds, par opposition à ce chafouin de Lui, elle apparaît lumineuse et formidablement vivante. Elle, tous les jours, elle est aspirée par l'extérieur, là où sont proposées toutes les rencontres, toutes les aventures, toutes les tentations. D'autant qu'à la maison, elle sait qu'elle va être accablée de reproches. Alors, tant qu'à faire... Tout le monde n'est pas la chêvre de monsieur Seguin. On la comprend et on l'absout.
Et puis il y a l'Autre ; ou plutôt, les Autres. Car Aurélien Wiik en campe plusieurs. Autant Lui s'avère complexe, défaitiste, atrabilaire et malsain, autant l'Autre est désinvolte et séduisant. Son argumentation est imparable. Adam, Eve et le serpent ? Mais c'est aussi un homme. A plusieurs reprises il affiche une certaine propension à la lâcheté qui va encore donner du grain à moudre à ces dames et demoiselles. Il connaît bien ses congénères le Florian Zeller !
Bref, cette pièce dont la colonne vertébrale est la dégradation du couple est un régal pour qui aime les mots et la sémantique. La vérité et le mensonge s'entremêlent habilement, chacun tient à avoir raison et à garder la main. On assiste à quelques jolies passes d'armes à fleurets non mouchetés avec, ça et là, quelques petites pauses pleines d'humour qui donnent une vraie respiration.
Le jeu des trois comédiens est impeccable, les intermèdes musicaux s'insèrent agréablement, la mise en scène est originale et soignée. C'est une bonne pièce, pas grand public, certes, mais c'est du vrai théâtre.
Et puis, avouons-le : toutes ces variations sur le couple, ne les a-t-on pas interprétées nous-mêmes à un moment ou à un Autre de notre existence ?

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