mardi 23 octobre 2007

Pirette au Gymnase


Théâtre du Gymnase
(Grande salle - du mercredi au samedi à 19 h)
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne-Nouvelle

Ma note : 8/10

Mon avis : Dans Pirette, il y a "Pire". Et ce n'est pas en cherchant à l'atténuer avec un diminutif-écran en "ette", qu'il va s'en tirer avec une pirouette. Pirette, il n'y a pratiquement pas pire que lui dans le petit monde des humoristes pratiquant l'humour (très) noir, corrosif et vachard. C'est qu'il y va le bougre ! Tous nos travers, nos tares, nos petits défauts et nos grosses bassesses, il met la loupe dessus. Et ça ne loupe pas : on se reconnaît, et le pîre (toujours ce "pire"...) c'est qu'on en rit aux éclats. Chez lui, il y a du Pierre Doris, du Franquin (pas de Gaston Lagaffe, mais d'Idées noires, des sales blagues de Vuillemin. Du lourd, quoi !
Franchement, bien qu'il le revendique (sans doute par bravade) on n'en a rien cirer qu'il soit Belge. L'humour et le rire n'ont pas de nationalités, pas de frontières. D'ailleurs, lui, les frontières, celles du politiquement correct, il les repousse vraiment très très loin. Ses personnages sont remarquablement dessinés ; excellent comédien, conteur hors pair, mime accompli, jonglant avec les accents, il les fait vivre et s'exprimer avec un tel naturel qu'ils existent devant nous. On en oublie le comédien pour ne se focaliser que sur ses compositions. Il n'y en a que sept, mais elles sont aussi savoureuses que gratinées.
Il ouvre le spectacle habillé en mémère. Le ton est donné. Avec un fort accent belge, elle raconte, sans pudeur aucune, sa vie de famille étriquée, se permettant quelques digressions perfides qui font frissonner la salle de contentement... Dans son deuxième sketch, il campe un père ignoble, un con intégral équipé de toutes les options : lâcheté, xénophobie, méchanceté, mesquinerie, et j'en passe... Dans le troisième, en prof de 1ère STT remplaçant, il atteint des sommets de cruauté dignes d'être inscrits au tableau d'horreur... Peut-être est-ce pour se faire pardonner qu'il se glisse ensuite dans l'aube blanche d'un communiant ? Et bien c'est raté pour l'absolution car il en profite pour faire un tour d'horizon fort irrévérencieux des religions. Il faudra qu'on brûle un cierge pour le salut de son âme. Dans ce brûlot qui fait hurler la salle de rire, regardez-le bien, il a des grimaces qui nous donnent l'impression d'avoir Mister Bean devant nous... Et puis, troquant sa tenue symbole de pureté pour un sombre surplis, il gravit encore une marche dans l'indicible en se mettant dans la peau de la Faucheuse, de la Mort. Ce qui lui permet de balancer ses vérités, Bush en coeur, sur quelques nuisibles de ce monde qu'il aimerait bien avoir pour clients. C'est beaucoup plus profond quil n'y paraît... Et voici que la Mémé du début revient sur scène. Elle a, cette fois, quelques démêlés avec sa fille de 18 ans. Quel sens de l'observation et du détail qui tue ! Expressif en diable, il s'autorise à la fin du sketch un joli retournement de sentiment qui nous titille l'émotionnel. C'est très habile... Ensuite, il se métamorphose en vieillard à l'hospice pour nous livrer un sketch tour-à-tour caustique, acide, impitoyable et, pourtant, profondément humain. Avec beaucoup de bon sens et une logique imparable, jouant avec les mots comme avec les sentiments, il ne peut s'empêcher malgré lui de laisser filtrer sa vraie grande tendresse... Et il termine en rappel avec une sorte de fable située en 2017, grinçante et réaliste, touchante et inquiétante, avec des saillies dignes de Pierre Dac.
Bref, c'est sincèrement du grand art, un grand moment de funambulisme verbal et gestuel. Jouant beaucoup avec le public, il se permet d'ironiser sur son propre spectacle, tel un sale gamin qui prend plaisir à casser son jouet. Bien sûr, si vous n'aimez pas l'humour noir, si vos oreilles sont réticentes auc horreurs, si vous n'appréciez guère les éclaboussures de vitriol, ne vous risquez pas au Gymnase. En revanche, si vous prisez la vacherie instituée au rang de bel art, précipitez-vous y, vous ne serez pas déçu. Au contraire, vous boirez du petit laid !

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