jeudi 19 juin 2008

Hors piste


Théâtre Fontaine
10, rue Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche

Une comédie d'Eric Delcourt
Mise en scène par Eric Delcourt et Dominique Deschamps
Décors de Farru
Avec Eric Delcourt (Stan), Jean-Marie Lamour (Tom), Lydia Andréi (Cookie), Marie Montoya (Blandine), Franck Molinaro (Pierre)

Ma note : 6,5/10

L'histoire : Tom, qui a fait fortune grâce à Internet, invite pour un week-end à la neige dans son chalet ses quatre meilleurs amis qui ne se sont plus vus depuis dix ans. Il y a là Stan, un animateur social limite asocial, Cookie, une artiste underground engagée très glamour, Francis, un pizzaïolo arriviste au bord de la faillite, et Blandine, une boulangère qui rêve de se lancer dans la chanson... Tom leur a concocté une super randonnée à ski du côté de la Crête de l'Ours sous la conduite de Pierre, un soi-disant guide de haute montagne...

Mon avis : Chouette décor que ce chalet avec vue sur les cimes pyrénéennes. Il nous offre immédiatement le dépaysement et nous permet de plonger de plain-pied dans l'histoire.
Dès les premières répliques échangées par Tom et Stan, on sait que les dialogues vont être saignants. Le ton acerbe de Stan, la suffisance maladroite de Tom donnent le la. Les répliques sont cinglantes, la salle réagit joyeusement. L'arrivée de Cookie va encore faire monter les vacheries d'un degré. Normal, c'est une femme... La confidentialité de son travail la rend un tantinet aigrie et agressive, et comme les deux lascars ne sont pas des modèles de finesse, que dans le genre macho Tom se pose un peu là, les vannes fusent. Malgré tout, on sent qu'il y a de l'affection entre ces trois-là. De même qu'il y a une amitié profonde et sincère entre Tom et Francis, le nouvel arrivant, un mec fort en gueule, m'as-tu-vu, avec une désagréable mentalité de parvenu et de profiteur. Bref, il est très con. En plus, il n'est pas venu seul. Il est accompagné de sa dernière fiancée, Blandine, une cruche authentique dont il veut produire le premier disque.
Avec l'irruption de Blandine, la pièce atteint des sommets. Logique, direz-vous, on est à la montagne. Sa bêtise donne effectivement le vertige. Vous lancez un jeu de mot ? Elle fonce tout schuss dans la poudreuse du premier degré. C'est trop facile de la faire marcher, mais face à quelqu'un d'aussi bouché ça donne trop envie...
Enfin, quand Pierre survient, l'effectif est au complet. Pierre ? C'est l'indigène, le montagnard. Du moins en a-t-il la panoplie à défaut du physique. Il est du genre premier de cordée qui ne connaîtrait pas les ficelles de son métier. Et lui aussi, dans le genre profiteur, il ne jette pas sa part aux chiens. En matière de boisson, c'est un gros descendeur. Mais peut-être est-ce aussi pour se donner du courage. N'est pas usurpateur qui veut...

Le premier acte, qui pose les différents profils et caractères des six protagonistes, est vif, enlevé, percutant. Chacun des personnages est parfait dans son rôle avec un tempérament bien défini. De Stan le bougon chronique, à Pierre le crétin des Pyrénées, en passant par Tom qui se la pète un peu mais qui a bon fond, Cookie mal dans sa peau et fragile, Francis le primaire insupportable, et l'inénarrable Blandine, on a de quoi se réjouir. Quelle galerie ! Toutefois, sans faire offense à ses partenaires, la fameuse Blandine (Marie Montoya), emporte la palme. Elle a une incroyable présence comique. Avec une simple mimique, elle fait exploser la salle de rire. Sa gestuelle, sa diction, son regard éteint, ses accoutrements apportent à cette comédie ses grands moments de folie. Elles sont très rares les comédiennes qui peuvent offrir un tel registre...

Le deuxième acte, en revanche déçoit un peu. Il sent le remplissage et tourne à la farce un peu lourde avec une avalanche de cris et d'hystérie... Heureusement, ça ne dure pas trop, et la finesse reprend ses droits.
Quant au troisième acte, qui se déroule dans le décor sympathique d'un refuge de montagne, il termine cette pièce en beauté, avec quelques jolies trouvailles de mise en scène et des gags d'un burlesque plutôt bien venu.
Une dernière remarque enfin : les intermèdes musicaux sont insupportablement trop forts. Ils agressent alors qu'un ton en dessous, on les apprécierait. Ce n'est qu'un petit problème de réglage auquel je suis sûr, on saura remédier.

Hors piste devrait être une des pièces à succès de cet été. Pour qui veut vraiment se détendre, rire de bon coeur, elle est à recommander. Tous les comédiens sont excellents, les dialogues sont bons, les décors sont jolis. Ces deux heures de folie douce passées à la montagne sont on ne peut plus rafraîchissantes et le bouche à oreille devrait permettre à la fréquentation de faire boule de neige.

vendredi 13 juin 2008

Tonton Léon Story


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre Caumartin / Auber

Une comédie de Serge Sérout
Mise en scène par Daniel Colas
Arrangements musicaux d'Aldo Frank
Décors de Miguel Arents
Avec Cécilia Cara (Amélie), Didier Brice (Tonton Léon)

Ma note : 6,5/10

L'histoire : Amélie n'arrive pas à dormir. pas facile de compter les moutons pour s'endormir... surtout pour une petite fille qui ne sait pas compter jusqu'à dix ! Et puis Tonton Léon raconte de si belels histoires, si morales, si édifiantes. Et c'est qu'il en a à raconter Tonton Léon ; c'est qu'il en a vécu des choses... des belels, et des moins belles... Alors il parle. Il parle à Amélie. Il parle à ses poupées. il se parle à lui-même...

Mon avis : D'abord un mot sur le décor : il est absolument superbe ! dans un joli petit salon, trônent des mannequins grandeur nature au milieu d'une ribambelle de poupées de toutes sortes (une trentaine), ce qui donne un aspect tout à la fois féérique et insolite. Cet univers charmant est celui de Tonton Léon, un... inspecteur des impôts, et de sa nièce, Amélie. La petite fille, qui n'aime guère l'école, n'a pas envie de se coucher tout de suite. A moins que Tonton ne lui raconte une de ses histoires dont il a le secret. Mutine et capricieuse, elle le harcèle jusqu'à ce que le brave homme cède.
Et il part dans une histoire un peu à l'eau de rose, franchement cucul la praline, mais qui semble intéresser la gamine. Seulement voilà, deux paramètres vont intervenir qui vont complètement bouleverser le cours de la soirée. D'abord Amélie l'interrompt sans cesse avec ses questions et, surtout, Tonton se met à boire. Et plus il boit, plus il se lâche, plus il part en vrille et plus il s'éloigne du cours de son histoire initiale. Son pessimisme, son réalisme et sa désespérance reviennent à la surface et, dès lors, certaines vérités sont proférées.
S'instaure alors un dialogue un peu surréaliste entre l'homme et l'enfant. Avec candeur, elle répète ses grossièretés, lui en demande le sens, l'accable de questions embarrassantes, parfois carrément métaphysiques, voire philosophiques.

Cette pièce est construite sur une mécanique de progression constante. Elle commence pianissimo, se fait de plus en plus allegro, et se termine furioso. C'est vrai, qu'au début, le rythme est un peu lent, ça ronronne. Tonton est aimable, patient, et Amélie se contente de vouloir être une poupée. Même si leur jeu est plaisant, on se sent peu concerné par leur doux babil. Il faut attendre le milieu de la pièce pour que ça décolle et éveille soudain notre intérêt. Et à la fin, on est complètement séduit.

Les deux acteurs sont impeccables. Didier Brice a hérité là d'un rôle en or car il est très évolutif et fait appel à toute une palette de sentiments et d'expressions. Une grosse présence avec un éventail de jeu(x) impressionnant ! En homme de plus en plus sous l'emprise de la boisson, il est criant de vérité (et si c'était vraiment du vin dans les bouteilles ?)
Quant à Cecilia Cara, de pièce en pièce, elle prend de plus en plus de risques et s'affirme comme une comédienne à part entière. Elle s'en sort à merveille dans son rôle de poupée fantasque. Avec une voix à la fois pointue et flûtée, elle joue l'innocence à perfection. En plus, son texte n'est pas évident à dire, il est parsemé de mots compliqués qui prennent une saveur particulière dans la bouche d'une petite fille. Et puis, elle nous rappelle à bon escient qu'elle fut une excellente Juliette dans la comédie musicale de Presgurvic en susurrant d'abord fort joliment a cappella Le Carrosse, une chanson créée par Yves Montand, mais c'est surtout avec sa superbe interpétation de La Quête de Brel, qu'elle nous scotche à notre fauteuil.

lundi 9 juin 2008

Sacré nom de Dieu !


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar-Quinet

Une pièce d'Arnaud Bédouet
Librement inspirée de la correspondance de Gustave Flaubert
Mise en scène par Loïc Corbery
Avec Jacques Weber (Flaubert), Magali Rosenzweig (Marie)

Ma note : 7/10

L'histoire : Une nuit d'orage. Réfugié dans son bureau avec Marie, venue le soigner, Flaubert est exténué. Tout l'atteint ce soir-là : "une crise nerveuse" éprouvante ; Louise, sa maîtresse, qui vient de lui annoncer par courrier qu'elle le quitte ; sa difficulté à écrire Madame Bovary ; jusqu'à la nature même qui se déchaîne... Mais le doute existentiel qui l'effleure est bien vite balayé par un immense coup de sang salvateur qui le "remâte". L'esprit à vif, prenant Marie à témoin, il soliloque sur ses contemporains, sur les fausses valeurs, sur l'amour, sur l'Art, avec une énergie qui lui fait oublier toute prudence...

Mon avis : Ne parlons pas de décor, il n'y en a pas. Une vilaine table noire, deux-trois chaises dépareillées, sont alignées devant un mur sale et noir qui, nous le verrons bientôt, a son utilité. Il va en effet servir de tableau noir pour les coups de craie rageurs d'un Flaubert exalté qui y crache ce qu'il appelle des "maximes". Quelques mots entrecroisés écrits qui vont rester figés face à un impétueux torrent de mots proférés.

En fait, Sacré nom de Dieu ! est un one-man show qui ne veut pas se l'avouer tant la présence de Jacques Weber est énorme, au propre comme au figuré. Magali Rosenzweig n'apparaît que comme une ponctuation chargée d'entrecouper le flot des mots, de créer des ruptures, et de relancer la machine. Pas évident pour elle de trouver sa place et de la justifier.

Qu'elle est riche notre littérature française avec des hommes de cette envergure, de cette acuité spitituelle ! De véritables visionnaires. Ces extraits de la correspondance de Flaubert nous laissent pantois et émerveillés par leur modernité, par leur actualité.
Bonnet noir vissé sur le crâne - un bonnet qu'il va fréquemment triturer, torturer, déplacer, enlever et remettre - We(Flau)ber se présente comme une sorte d'ogre au pied d'argile habité par une saine fureur vis-à-vis d'une impressionnante liste de faits et de comportements qui le navrent et l'irritent. L'acteur est lancé comme un train fou en pleine nuit dont les phares éclairent tour à tour et à toute vitesse des paysages divers et variés qui sont autant de thèmes, philosophiques ou sociétaux. Terriblement lucide, Flau(We)bert se refuse à faire partie du troupeau. Il veut garder son libre arbitre, le droit de gueuler bien fort ce qui ne lui convient pas, ce qui le révolte. La cocotte minute de son cerveau fécond est en ébullition ; rien ni personne ne pourra en endiguer les longs jets de vapeur brûlants de vérité.

Ce texte est un filon doré dont les zébrures illuminent le magma noirâtre et désespérant d'une société moutonnière, résignée et veule. Et dans ce filon émergent de splendides pépites qui nous éblouissent de contentement. Voici quelques uns de ces joyaux pris au vol (mais il y en a tant d'autres) : "L'encrier seul est le vagin des gens de lettres" ; "Ce n'est pas parce que les arbres tombent qu'il faut supprimer les ouragans" ; "Je suis peu sensible aux désolations collectives" ; "L'égoïsme engendre l'imbecillité" ; "A vouloir expliquer Dieu, la bêtise commence" ; "Je veux vivre comme un ours en me foutant de la critique" ; "Flaubert à l'Académie, c'est le loup dans la bergerie"...
Gustave/Jacques balaie large. Avec un langage imagé, souvent vert, il s'indigne et s'emporte. Il s'en prend violemment à un mauvais poète, il dénigre fielleusement sa tête de turc, un certain Lamartine, il démolit allègrement Musset, et il en profite pour donner son point de vue sur la mission de l'écrivain... Visionnaire, il dénonce "la laideur de l'industrie", prévoit le retour des mystiques, raille et stigmatise les bourgeois. Il y a même un passage troublant par son actualité dans lequel on a l'impression qu'il brosse la personnalité de notre président...
Quel grand moment aussi que ce pseudo discours d'entrée à une Académie qu'il rejette de tout son mépris !

C'est riche, très riche. Et nous, pauvres spectateurs, on n'a pas toujours l'opportunité de tout attraper sur le passage de ce TGV vociférant lancé à tout allure. Il est vrai qu'au début, j'ai eu un peu de mal à m'adapter au débit tumultueux des phrases lancées à haut débit par l'acteur, et donc à les saisir. Puis, soit je m'y suis accoutumé, soit - et c'est ce que je pense - Weber a commencé à mieux moduler, à mieux formuler et c'est là que j'ai commencé à prendre mon plaisir. Une autre chose m'a un peu gêné : c'est dans le personnage de Marie. Je trouve qu'elle a un peu trop tendance à hurler et à évoluer avec une énergie trop disproportionnée... Ce seront là mes deux seules critiques. Sinon, vous aurez compris que je me suis régalé.
Et la pièce se termine par un signal inquiétant : "La nuit commence"... murmuré par une Jacques Weber complètement exténué. Il y a de quoi.
Et il ne nous reste plus qu'à exulter respectueusement : chapeau et merci l'Artiste !

vendredi 6 juin 2008

Sagan


Un film de Diane Kurys
Scénario de Diane Kurys, Martine Moriconi, Claire Lemaréchal
Avec Sylvie Testud (Françoise Sagan), Pierre Palmade (Jacques Chazot), Jeanne Balibar (Peggy Roche), Arielle Dombasle (Astrid), Lionel Abelanski (Bernard Frank), Guillaume Gallienne (Jacques Quoirez), Denis Podalydès (Guy Schoeller), Samule Labarthe (René Julliard), Margot Abascal (Florence Malraux), Gwendoline Hamon (Suzanne Quoirez), Chantal Neuwirth (madame Le Breton)...
Durée : 1 h 57
Sortie le 11 juin 2008

Ma note : 7/10

Synopsis : "Sur ce sentiment inconnu, dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse". Françoise a tout juste 18 ans quand elle écrit les premières lignes de Bonjour Tristesse, un roman dont le succès fulgurant suffira à lancer le mythe de "La Sagan". Un mythe fait de formules brillantes, d'amours affranchies et de scandales tapageurs, derrière lesquels se cache une femme que l'on qualifie d'anticonformiste, pour ne pas dire libre. Libre d'écrire, d'aimer, et de se détruire...

Mon avis : Sacré pari que de réussir à retranscrire en deux heures une vie aussi riche, aussi foisonnante, aussi mouvementée que celle de Françoise Sagan. Les puristes, les grands connaisseurs de sa vie, y rélèveront sans doute des approximations, quelques anachronismes mais, honnêtement, tout cela n'est pas bien grave. Il fallait bien que Diane Kurys eût recours à de nombreuses ellipses. De toute façon, fi des spécialistes, le grand public y trouvera son compte.
La vie de Sagan a sans doute été encore plus romanesque que son oeuvre. Et c'est parfaitement bien rendu dans le film. Quel femme ! Quel personnage ! On est fasciné par sa légèreté, sa désinvolture, son insouciance, sa folle générosité, sa soif de vivre... Et on est tout aussi fasciné par son immaturité, son manque total de sens des responsabilités, son entêtement à aller dans le mur...

Le film couvre un demi-siécle de son existence, en gros de 18 à 69 ans. Et tout cela avec une seule et même comédienne : Sylvie Testud, tout aussi crédible en jeune fille qu'en sexagénaire usée par les excès. Ce que l'on retient de ce film en effet, c'est avant tout son extraordinaire présence, son mimétisme avec son personnage. Elle EST Sagan ! Sagan dans sa gestuelle, avec ses tics, sa gaucherie, sa voix au débit si particulier, haché et hésitant... C'est confondant.
Il y a autour d'elle toute une brochette de personnages hauts en couleurs ; certains sont attachants, d'autres détestables. La palme du bon copain, drôle, affectueux, sensible et totalement désintéressé revient à Pierre Palmade qui campe le danseur mondain que fut Jacques Chazot avec énormément de tact et de finesse. C'est sans doute le rôle au cinéma où il s'avère le plus juste. Il joue simple et sobre, sans en rajouter, c'est impeccable. Balibar, Abelanski, Abascal font preuve d'un attachement, voire d'un amour, sans faille pour leur amie. Guillaume Gallienne interprète un frère aimant, attentionné mais aussi vigilant. Il est moins fragile que les autres, il voit clair, mais il se révèle hélas impuissante decvant la dérive autodestructrice de sa soeur... Et puis il y a les moins sympathiques, comme Arielle Dombasle ou Denis Podalydès. Eux, c'est l'intérêt qui les guide et Françoise est une proie tellement facile.

Ce film se laisse voir avec beaucoup de plaisir. Il se déguste et se suçote comme un bonbon agréablement acidulé. Beaux décors, superbes costumes, reconstitutions plaisantes, personnalités connues... Même si on n'entre pas vraiment dans le fond - c'eût été impossible - on surfe sur l'écume d'une vie. On se prend d'affection pour cette petite bonne femme brûlée trop tôt par la gloire, incapable de gérer sa notoriété et les considérables sommes d'argent qu'elle gagne. Toute son existence elle ne sera qu'une petite fille, espiègle, capricieuse, boudeuse, fofolle, et tellement fragile et en quête d'amour et d'affection. Comme on aurait envie de le protéger ce drôle d'oiseau de nuit frileux malgré son plumage doré.
Et là, il faut bien revenir sur la performance époustouflante de Sylvie Testud. Pour une comédienne, un tel rôle marque une carrière ; que le film ait du succès ou n'en ait pas. On y perçoit un tel investissement. Tout ceux qui ont crié au génie devant la création de Marion Cotillard dans La Môme, ne pourront que hisser Sylvie Testud sur le même plan, on ne peut plus élevé.

mercredi 4 juin 2008

Sophie Mounicot "C'est mon tour !"


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin

Textes de François Rollin, Gérald Sylbleiras, Sophie Mounicot
Mise en scène de Roland Marchisio

Ma note : 7/10

Le sujet : A l'heure de la compétition internationale, des évaluations tous azimuts genre Star Academy, des ministres que l'on note, Sophie Mounicot se pose la seule question qui vaille : quel est son classement ? Pour y répondre, elle invente "le classement des gens". Afin de définir les meilleurs critères possibles, elle revient sur sa fascinante existence pour se donner la note la plus juste...

Mon avis : Quand on prend place dans la petite salle du théâtre des Mathurins, le décor nous intrigue. Sur la scène en effet, sont alignées dans un ordre de taille croissant, six chaises blanches identiques, de facture plutôt élégante ma foi... A l'entrée de Sophie Mounicot, nous déduisons rapidement que nous nous trouvons dans une sorte de salle d'attente, puisqu'elle détache un, puis plusieurs tickets pour connaître son numéro d'appel.
Les gestes sont vifs, saccadés, limite excédés. C'est que, vu son numéro, elle n'est pas près de passer... Alors, histoire de tuer le temps, elle explique ce pourquoi elle est là. Très fière d'elle, elle annonce sans modestie aucune qu'elle a créé "l'échelle Mounicot", une forme révolutionnaire mais imparable de classement des gens. Un peu comme au tennis, quoi. Et elle, elle a un peu tendance à se surévaluer. Sans complexe, elle considère que son invention est équivalente à celle de cet autre créateur d'échelle, passé à la postérité, lui, Charles Richter, l'homme qui a déterminé le degré de magnitude des séismes et tout le tremblement... C'est sans doute la première fois qu'on rend sur scène un hommage aussi vibrant à ce géophysicien. Elle en profite au passage pour nous narrer quelques péripéties de la vie privée du bonhomme.

Tout au long de son spectacle, Sophie Mounicot s'égare dans des digressions, passe du coq à l'âne, introduit des molécules d'absurde dans ses démonstrations et, surtout, dévoile beaucoup sa propre existence. D'ailleurs, elle a tendance à tout ramener à sa petite personne. C'est qu'elle est un brin suffisante et narcissique ; du moins en apparence.
Il est évident que dans quasiment tous les domaines, sa vie n'est pas vraiment folichonne. Elle aborde en vrac le sexe, les couples mal assortis, l'âge que l'on fait, celui qu'on a et celui qu'on nous donne, ses ex... Tout cela avec une véhémente débauche d'énergie et sur un ton d'irascibilité revêche. Elle joue avec les voix, passe du grave à l'aigu, prend des accents, parle comme une ado. Elle n'arrête pas une seconde, arpente la scène dans tous les sens, grimpe sur les chaises, se vautre dessus. Elle fait même appel à une excellente astuce de mise en scène qui consiste à matérialiser les rivales ou les pétasses avec des petites poupées. Effet garanti.

En fait, Sophie Mounicot, ou tout du moins son personnage, est une looseuse qui dissimule sa réelle fragilité derrière une conduite agressive. Parce qu'elle est drôlement fragile la donzelle ! Et sa phobie panique des... pingouins n'arrange rien. On ne peut pas dire qu'elle soit simple. Elle est bourrée de contradictions. C'est une femme, quoi ! Elle dit tout haut le contraire de ce qu'elle pense et se fâche toute seule quand les choses, évidemment, ne fonctionnent pas comme elle le souhaite. Le plus bel exemple est la séquence de la boîte de nuit. Elle s'y rend en espérant secrètement y trouver, sinon l'âme soeur, au moins "un bon coup", mais elle écarte systématiquement les manoeuvres d'approche en affirmant qu'elle n'est pas "demandeuse". On en profite en tout cas pour constater qu'elle est très à l'aise avec son corps. Il faut voir comme elle fait sa lascive sur un slow de Barry White.

La toute première fois que j'avais rencontré Sophie Mounicot, en 1999, elle commençait à se faire remarquer dans H. Elle m'avait alors confié qu'elle préparait son one-woman show... Neuf ans, il lui a fallu neuf ans avant qu'il voie enfin le jour. mais, très sincèrement, si cela a dû lui paraître long, très long, pour nous public, ça valait le coup d'attendre car son spectacle possède une authentique originalité, un ton très personnel et, à 40-30 ans, elle possède une maîtrise parfaite de son jeu de comédienne.
Un petit bijou de drôlerie, d'humour vache avec, en filigrane un appel à peine codé à la tendresse, un double niveau de lecture et une autodérision parfaitement réjouissante. Il faut aller voir LA Mounicot ! Tellement Sophie, tellement so fille...