mardi 25 novembre 2008

Fin de partie


Théâtre de l'Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Abbesses / Anvers / Pigalle

Une pièce de Samuel Beckett
Mise en scène de Charles Berling
Avec Charles Berling (Clov), Dominique Pinon (Hamm), Gilles Segal, Dominique Marcas

Ma note : 7/10

L'histoire : Pour Hamm, cloué dans son fauteuil à roulettes, les yeux fatigués derrière d'épaisses lunettes noires, il ne reste plus qu'à tyranniser Clov. Alors qu'au fond de cet intérieur vide, les parents de Hamm finissent leurs vies dans des poubelles, les deux héros répètent devant nous une journée visiblement habituelle. Ils dévident et étirent ensemble le temps qui les conduit vers une fin qui n'en finit pas, mais avec jeu et répartie, comme le feraient deux partenaires d'une ultime partie d'échecs. Ainsi, les mots triomphent, alors que les corps, dévastés et vieillis, se perdent. Hamm et Clov usent du langage comme d'un somptueux divertissement en des échanges désespérés et tendres. Beckett a su avec jubilation écrire le langage de la fin, une langue au bord du silence, qui s'effiloche et halète, transparente et sereine, dernier refuge de l'imagination.

Mon avis : Samuel Beckett, c'est sûr, n'est pas le champion de la gaudriole. Et pourtant... Pourtant il réussit à nous faire rire avec ces deux paumés magnifiques, ces deux clowns tristes et pathétiques. Deux hommes qui n'ont plus que le luxe de la parole et des mots pour remplir leurs vies étriquées qui rampent inexorablement vers la fin.

Le décor est primordial. Il tient son rôle. C'est une sorte de cachot grisâtre, sordide, austère et ténébreux. Au premier plan, deux énormes poubelles. Cloué sur un fauteuil à roulettes antédiluvien, Dominique Pinon est saississant. En dépit de son immobilité, c'est lui qui dirige autoritairement les opérations.
Quant à la composition de de Charles Berling, elle est tout aussi fascinante. Le dos voûté, se déplaçant à petits pas hésitants, répétant à l'infini les mêmes gestes, apathique, résigné, c'est une sorte d'automate servile et maladroit qui subit sans broncher la tyrannie de son colocataire.

Mais peu à peu, on s'aperçoit dans ce huis-clos éprouvant que les deux hommes sont dépendants et ont terriblement besoin l'un de l'autre. En fait, toute la dramaturgie de la pièce repose sur leurs échanges. Les répliques fusent comme des exocets. Avec un sens du verbe étourdissant, Samuel Becket a cidelé des dialogues reposant sur une logique implacable dans... le non-sens. Il en faut du talent pour réussir à rendre l'absurde aussi concret, aussi compréhensible. Du coup, on se surprend à rire beaucoup, le plus souvent assez nerveusement car on se sent quelque peu gênés de faire ainsi intrusion dans le monde intime et feutré de ces deux personnages. La pièce dégage une sensation de fin du monde et de fin de race. C'est une fin de partie où il n'y aura que des perdants ; on le sent, on le sait, c'est inéluctable.

Qu'ajouter de plus sur Dominique Pinon et Charles Berling. Voici, à coup sûr, deux prétendants légitimes aux Molières. Le premier, avec sa voix rocailleuse et tonitruante et ses gestes compulsifs, exprime sa souffrance en se montrant agressif et injuste. Sa composition est proprement hallucinante. Quant au second, il se meut comme si toute vie était rentrée à l'intérieur de lui. Il est falot, effacé, terne. Et soudain, il s'emballe et expulse quelques fulgurances d'une extrême lucidité et qui touchent juste. Quel duo ! Que le théâtre est estimable quand il nous permet d'assister à de telles prestations avec des comédiens d'une telle trempe...

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