vendredi 30 octobre 2009

Hiver


Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

Une pièce de Jon Fosse
Traduite par Terje Sinding
Mise en scène par Jérémie Lippmann
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Nathalie Baye et Pascal Bongard

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Un homme et une femme se rencontrent dans un jardin public. Lui est un homme comme il y en a tant : marié, deux enfants, un travail, une maison. D’elle, on ne sait rien. Elle semble surgir de nulle part. Est-elle soûle ou droguée, prostituée, SDF ou bourgeoise ? Toutes les hypothèses sont envisageables…

Mon avis : Tant pis pour le mauvais jeu de mot, mais cette pièce de Jon Fosse m’a laissé bien sceptique… J’ai sans cesse été partagé par la formidable prestation, réellement habitée, de Nathalie Baye et un texte d’une indigence rare. Finalement, j’ai ressenti une peine profonde pour Nathalie Baye et son partenaire, Pascal Bongard, qui sont tous deux véritablement un peu plus qu’impeccables. Seul leur grand talent et leur total investissement nous permettent de suivre leur rencontre avec un certain intérêt. Deux comédiens de moindre envergure aurait pu sombrer dans le ridicule tant les dialogues sont péniblement répétitifs. Le procédé est supportable cinq minutes, mais pas pendant près d’une heure et demie.
Sincèrement, j’ai rarement été aussi chagriné de mettre une note à peine moyenne à un spectacle. Car j’ai été époustouflé par l’impressionnante composition de Nathalie Baye. Quelle justesse, quelle sensibilité, quelle présence !

Cette pièce ne comprend que deux décors. Un banc double pour les première et troisième parties ; une chambre à coucher pour les deuxième et quatrième. L’action va donc se dérouler du banc à la chambre, puis de la chambre au banc et enfin du banc à la chambre.
Un homme vient tranquillement s’asseoir sur ce banc quand, peu de temps après qu’il se soit confortablement installé, surgit une femme. Elle est hagarde, titubante. Telle une pocharde, elle commence à invectiver ce pauvre garçon. Evidemment, il se comporte comme tout le monde l’aurait fait devant une telle intrusion, il se lève et entreprend de passer son chemin. La femme se fait alors véhémente, limite agressive, puis, suivant le fil chaotique de ses pensées, elle se montre soudain farouche et en supplique. Devant une attitude aussi incohérente, l’homme, gauche et emprunté, s’arrête, pris d’une forme de curiosité. Visiblement, il ne comprend rien, il est dépassé. Il ne bronche même pas quand elle devient carrément ordurière…
Voilà, les deux personnages sont dessinés. Elle, elle est complètement paumée. Et lui, il est touchant de maladresse. Et les voici dans la chambre à coucher. Là, le texte prend une dimension franchement surréaliste. Jamais je n’ai autant entendu le mot « oui » prononcé sur tous les tons. Il faut le faire ! Il n’y a pas mal aussi de « non » et de « merde ». On n’échappe pas non plus à une litanie de grossièretés quelque peu gratuite.

C’est très, très, très bien joué, mais on se sent rarement concerné par cette histoire. On n’est même pas intrigué par ces deux personnages et par ce qui peut leur arriver. On le pressent. Sincèrement, je pense que les deux comédiens prennent un vrai plaisir à jouer, mais hélas leur plaisir est inversement proportionnel à notre ennui. J’ai du mal à comprendre comment un auteur peut avoir l’inconscience (ou l'outrecuidance ?)de proposer un tel texte. Son écriture est uniquement basée sur un mode répétitif. Il y a certes le comique de répétition mais ce n’est pas l’objet d’Hiver. C’est simple, sans ces innombrables répétitions par trop systématisées, je suis convaincu que sa pièce durerait moitié moins de temps ! Ce qui fait qu’on a la désagréable sensation d’être pris en otage par le mouvement perpétuel d’une valse hésitation.
Et lorsqu’on sort du théâtre de l’Atelier, on ne veut garder en mémoire que la magistrale interprétation d’une Nathalie Baye au sommet de son art et l’excellente réplique que lui donne son partenaire, Pascal Bongard. Rien que pour ça, on n’a pas fait le voyage pour rien…

mardi 27 octobre 2009


Un film de Yann Moix
Scénario de Yann Moix et Olivier Dazat
Avec Franck Dubosc (Régis Deloux), Lucy Gordon (Viviane Cook), Pierre-François Martin-Laval (Douglas Craps), Pierre Richard (Pierre Richard), Anne Marivin (Sidonie), Michel Galabru (Le docteur), Marisa Berenson (Lady Lyndon)…

Ma note : 8/10

Synopsis : Professeur de mathématiques à Montreuil-sous-Bois, Régis Deloux a soudain le pouvoir de voyager dans les films où il rencontrera enfin la femme de ses rêves.

Mon avis : C’est tout simple, quand on aime le cinéma et, surtout, si on a su garder son âme d’enfant et sa faculté d’émerveillement, Cinéman est un véritable enchantement.
J’ai eu l’impression de monter dans un wagonnet du train du Septième art piloté par un cinéphile illuminé, Yann Moix, et je me suis laissé emporter et guider à travers une succession d’extraits des films les plus représentatifs. Mieux encore, je suis carrément entré dans une BD cinématographique en compagnie d’un héros récurrent ayant les traits de Franck Dubosc. Ça m’a rappelé ces histoires quand Mickey, à la suite d’un coup sur la tête, se retrouvait transplanté dans une autre époque et qu’il intervenait sur le cours de l’Histoire avec un grand « H »… Un véritable plaisir de gosse vous dis-je, car on se retrouve dans un état d’esprit proche de celui où, quand on était gamin on, jouait aux cow-boys et aux indiens, en sachant que tout était possible, qu’on était le plus fort même si on y laissait quelques plumes, et qu’on pouvait aller jusqu’à faire semblant d’être mort…
A part que Yann Cinémoix, lui, s’est donné les moyens d’agrémenter son terrain de jeu(x). Tel Frankenstein, il s’est modelé une créature – Franck – et il lui a donné de vivre les aventures cinématographiques les plus inoubliables. Quel régal ça a dû être pour celui-ci que d’endosser autant de panoplies aussi prestigieuses : Harold Lloyd, Robin des Bois, Jésus, Tarzan, Clint Eastwood, Zorro, ou de se retrouver mêlé à l’action de films aussi marquants que Barry Lyndon, Orange mécanique, Cléopâtre, Sissi impératrice, Taxi Driver…
Dans certaines de ces parodies, Franck Dubosc est impressionnant de mimétisme. Il ne joue pas Clint Eastwood, il EST Clint Eastwood ! De même qu’il réussit à ressembler étrangement à Errol Flynn ou à Harold Lloyd. Impressionnant ! Quand il enfile le seyant collant vert de Robin des Bois, il adopte les mimiques et le jeu un tantinet appuyé d’Errol Flynn. C’est vraiment épatant cette façon de se glisser ainsi dans n’importe quel registre.

Ce film est également truffé de trouvailles réellement excellentes. Ainsi l’idée d’affubler Franck de lentilles pour lui donner des prunelles sombres lorsqu’il est le prof de maths Régis Deloux et qu’il se trouve dans la vie réelle, alors que quand il est plongé dans la fiction, il retrouve son irrésistible regard bleu faïence. Il y a aussi cette maladie bizarre qui l’affecte et qu’il apparaît lui seul en noir et blanc dans un monde en couleurs, ou bien cette situation totalement incongrue où les lettres des sous-titres restent collées à lui…

Si la performance de Franck Dubosc est époustouflante parce que très lourde et très physique, il faut également souligner la présence de Pierre-François Martin-Laval, dans le rôle du méchant, tellement caricatural avec un faciès et une rigidité dignes d’un Erich Von Stroheim, la présence savoureuse d’un Pierre Richard qui fait du… Pierre Richard et, enfin, le nouveau morceau de bravoure de Michel Galabru, dans une scène courte mais absolument désopilante.

Voilà, tout est dit, ou presque. J’ai A.D.O.R.E. ce film. C’est un élixir de jouvence. Déjà, j’ai entendu moult critiques chez certains pisse-froid, chez quelques collègues prônant un cinéma plus intello… Et alors, on peut apprécier Le ruban blanc de Haneke et attribuer le ruban bleu du film parodique à Cinéman. L’un n’empêche pas l’autre. Ils font tous deux œuvre utile. De toute façon Cinéman m’a hélas confirmé une chose : je ne serai jamais adulte. Je sens que je vais rencontrer quelques problèmes au moment d’entrer à l’hospice. Bof, je penserai aux Vieux de la vieille

lundi 26 octobre 2009

1946/1960 Ces années-là Saint-Germain des Prés


Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle
75006 Paris
Tel : 01 46 34 61 04
Métro : Odéon

Dominique Conte chante…
Accompagnée d’Alexis Salmieri (percussions), Théo Ceccaldi (violon), Jimmy Top (guitare)

Ma note : 7/10

Synopsis : De 1946 à 1960, à Saint-Germain des Prés, la chanson française connaît son moment de gloire… 50 ans plus tard, un spectacle résonne comme la promesse d’une soirée destinée à nous entraîner vers le charme du rythme, le piquant des mots, la beauté de la langue et l’émotion de la poésie. Une chanteuse et ses trois musiciens proposent ce parcours musical original, ponctué de références socioculturelles d’hier, comme une relecture offrant un nouveau souffle au répertoire particulièrement riche de la chanson française des années 50… Avec humour, tendresse et modernité, le quatuor revisite le mythique quartier de la Rive Gauche à travers une vingtaine de chansons et textes signés des plus grands auteurs de cette époque(Vian, Ferré, Queneau, Prévet, Brel, Gainsbourg, Béart, Trenet...).

Mon avis : Si vous aimez les chansons à textes interprétées sur une ambiance jazzy, ce spectacle va vous ravir. Dominique Conte, élégante dame brune que l’on pourrait prendre pour une petite sœur de Juliette Gréco tant il y a de ressemblances dans le physique et dans certaines intonations, nous entraîne à sa suite pour une visite guidée à travers le quartier de saint6germain des prés des années 50. Dotée d’une excellente diction, très à l’aise dans les chansons où il faut interpréter et apporter une part de comédie, elle s’approprie avec charme, espièglerie et émotion ce remarquable répertoire. En revanche, elle est moins convaincante lorsque le rythme s’accélère (comme sur Be Bop par exemple).
Autre atout de ce spectacle, l’abondance d’anecdotes rapportées par la chanteuse, qui nous retrace en quelque sorte le mode vie de cette époque foisonnante et insouciante. Elle nous raconte la topographie du quartier, la façon quasi uniforme de se vêtir, l’existentialisme, ce haut-lieu de la fête que fut le Tabou… Elle évoque ces grands personnages qui illustrèrent de leur créativité, leur folie, leur intelligence cette époque à nulle autre pareille : Boris Vian, Jacques Prévert, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Juliette Gréco, Serge Gainsbourg…
Enfin, il faut absolument mettre en exergue le trio de musiciens qui accompagnent Dominique Conte. Ils sont bourrés de talent et d’inventivité. Les arrangements sont riches et originaux. Ils sont en outre pleins d’humour et de fantaisie. Mais ce qui est le plus bluffant, c’est qu’ils sont tout jeunes ! Très complices, ils apportent à ce spectacle une formidable bouffée de fraîcheur et de légéreté. Mais surtout, quels musiciens !

Les diablogues


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 01 53 96 70 00 / 08 92 22 23 33
Métro : Champs-Elysées Clémenceau

De Roland Dubillard
Mise en scène de Jean-Michel Ribes
Décors de Jean-Marc Stehlé
Avec Muriel Robin et Annie Grégorio

Ma note : 8,5/10

Note d’intention : Un grand acteur peut-il interpréter le rôle de Phèdre ? Problablement oui… Tout comme celui d’Andromaque ou de Bérénice. C’est en ce sens que l’on peut affirmer que Racine et Dubillard sont des auteurs d’une importance égale ; même si du point de vue de l’alexandrin, Racine dépasse d’une courte tête Dubillard, tandis que ce dernier fait un tantinet la nique à notre grand classique quand il s’agit de fantaisie.
En effet, nous constations aujourd’hui avec évidence que Les Diablogues, dont les deux personnages sont à l’origine masculins, peuvent être interprétés avec incandescence et délice par deux actrices, surtout lorsqu’il s’agit de Muriel Robin et d’Annie Grégorio. Comme quoi, les personnages des grands auteurs n’ont pas de sexe ou les ont tous.

Mon avis : Elles ont opté pour des couleurs qui pètent. Muriel Robin en tailleur mauve, Annie Grégorio en robe rouge. Ce qui leur permet de se détacher parfaitement sur le décor insolite que l’on a construit adaptable à leurs différentes évolutions. Au premier abord, on dirait une caverne dont les murs et l’ameublement serait recouvert de peaux de bêtes. Evidemment, un tel décor ajoute à l’aspect totalement irrationnel du spectacle qui va suivre, spectacle qui se compose en fait de dix sketches.
Le premier, qui repose sur l’évocation vacharde d’une comédienne qui fut peut-être un monstre sacré, mais qui persiste à se produire alors qu’elle ne semble plus être cotée à l’argus des acteurs depuis belle lurette. Nos deux chipies s’en donnent à (ran)cœur joie. Et vas-y que je te débine avec un ton tout à tour faussement angélique et réellement fielleux. Le non-sens se le dispute aux lapalissades avec un sérieux jubilatoire. Tout de suite se dessinent les registres des deux comédiennes. Si l’absurde n’avait pas existé il eût fallu l’inventer pour Muriel Robin. Elle nage dedans comme un poisson dans l’eau. Elle possède la science du comique dans la moindre de ses mimiques, le moindre de ses gestes. On en arrive à se demander si Louis de Funès n’aurait pas fauté avec Jacqueline Maillant pour enfanter leur digne héritière en drôlerie. Dans cet exercice si précis et pointu qu’est la loufoquerie, elle est d’une virtuosité sans égal… Comme dans tous les tandems qui fonctionnent, il ne faut pas que les deux partenaires jouent la même partition. Si l’un est effervescent, l’autre se doit de se montrer plus placide, plus réservé. L’effet comique en est ainsi accentué. Et Annie Grégorio est idéale dans ce rôle. En fait, notre binôme de bonnes femmes ont choisi d’être tout simplement naturelles. Elles sont elles-mêmes, elles ne cherchent pas le contre-emploi, ce qui rend d’autant plus efficace la cocasserie irrésistible de leurs propos. Bref, c’est du billard !

Après cette entrée « théâtrale », les situations s’enchaînent, très variées, avec pour seul fil rouge l’absurde poussé à son incandescence. Parfois - quasiment en alternance - les gestes prennent le pas sur les mots. C’est ainsi le cas dans ce numéro complètement frapadingue de ping-pong avec balle fictive, dans ce sketch où deux copines juchées sur des plongeoirs, ratiocinent à l’infini pour décider du moment où elles vont sauter à l’eau, ou dans cette surréaliste démonstration de judo… Et, parfois, la bouffonnerie repose presque uniquement sur l’échange verbal comme dans l’évocation de ce collectionneur de… billets de 500 euros, dans ces digressions évaporées sur la recherche de la célébrité, ou dans cette conférence sur le langage avec sa délirante recherche étymologique à partir du mot « langouste »…

Complices à la ville comme à la scène, Annie et Muriel évoluent en permanence à la limite du hors-jeu. Avec un sérieux imperturbable, elles débitent leurs sornettes, prononcent des mots qui n’existent pas comme s’ils avaient toujours fait partie de leur vocabulaire quotidien « Ah, ce facétieux « gobedouille » !), frétillent avec l’élégance de deux dauphines dans l’océan de l’imaginaire sans fond (à tout point de vue) du sieur Roland Dubillard. Quand la science du burlesque atteint un tel niveau et qu’elle est servie par deux comédiennes aussi fines et aussi investies, c’est un bonheur d’esthète. Ce spectacle se déguste comme un grand cru, par petites gorgées que l’on conserve longtemps en bouche, ponctuées de gloussements de satisfaction, et qui nous laissent longtemps après dans un très agréable état de ravissement tout proche de l’ivresse (intellectuelle). Merci Môssieur Dubillard, merci mesdames. On en redemande…

mercredi 14 octobre 2009

Grégory Charles


Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Ma note : 7/10

Mon avis : Non, non, même s’il chante remarquablement Georgia On My Mind, il n’est pas le fils de Ray Charles. Grégory est le fils métis de monsieur et madame Charles, un couple auquel il doit beaucoup et à qui il rend un vibrant hommage au début de son spectacle. Il est en effet l’unique – c’est vrai qu’il est Unique – rejeton d’un couple que tout au départ opposait : les origines géographiques, la couleur de peau, la culture, et même le gabarit. Mais il existait entre eux un lien qui allait se révéler indéfectible : la passion de la musique. C’est donc de cette union explosive qu’est né le petit Grégory. Elevé entre une mère pianiste férue de musique classique, et un père beaucoup plus attiré par les rythmes syncopés du jazz, ballotté entre la rigueur maternelle et la fantaisie paternelle, écartelé entre la méthode et l’impro, le jeune garçon aurait pu se retrouver fort perturbé. Au contraire, ces divergences, il les a faites siennes. Il se les est appropriées, il a tout ingurgité, il en a fait sa vérité à lui ; cette dualité d’une richesse incomparable, il nous la démontre illico sur scène en s’asseyant entre deux pianos et en passant sans transition de l’un à l’autre poursuivant une mélodie du plus pur classicisme à un ragtime endiablé.
Déjà auréolé de la première place d’un concours national canadien de piano à… 7 ans ( !), Grégory est un authentique virtuose pluridisciplinaire qui a mis son immense talent au service du spectacle. La première moitié de la première partie nous montre donc sa parfaite maîtrise du piano. Ses solides bases classiques lui servent de rampe de lancement pour les rhythm’n’blues les plus enflammés. En plus de ses dons de musiciens, Grégory Charles est un fameux conteur. Il nous narre sa jeunesse, s’attarde avec énormément d’humour et d’autodérision sur la couleur de sa peau, plaisante avec le public. C’est un véritable one-man show. Puis le one-man show s’évanouit soudain au moment où Grégory est rejoint sur scène par cinq musiciens et une plantureuse choriste. Les flammèches qu’il avait allumées au début, se transforment alors en brasier et la deuxième moitié de la première partie se termine sur un formidable gospel. Toute la salle, à l’unisson, enfiévrée par ces rythmes frénétiques, tape des mains, bouge les pieds, reprend le chorus… Un grand moment de partage.

Place alors à la deuxième partie. On a compris que l’on avait affaire à un hurluberlu de génie sur le plan musical. On peut donc s’attendre à tout. Et on va avoir droit, effectivement, à tout !
Grégory Charles a fait distribuer à l’entrée des petites fiches sur lesquelles on note le titre d’une chanson, le nom de son interprète et, pour la valider, son propre nom et le numéro de son emplacement dans la salle.
Et là, l’homme-orchestre se métamorphose en juke-box ambulant. Il tire une fiche au sort et sans en divulguer le continu à ses musiciens, il commence à leur livrer une sorte de grille harmonique. Et c’est parti ! Voici en gros le programme qui nous fut proposé : Aznavour (deux fois de suite), Michael Jackson, Hallyday, Ray Charles, Brel, Miles Davis, Jean-Jacques Goldman, Goldorak ( !), Barry White se sont succédés dans des compositions parfois fidèles, parfois complètement détournées. Il s’amuse et on s’amuse avec lui. Il faut dire que le jeune homme est épaulé par six complices qui sont de remarquables musiciens eux aussi, aptes à rebondir sur le moindre de ses signaux.
Bien sûr, on ne peut pas attendre de lui qu’il connaisse par cœur des centaines et des centaines de chansons en anglais et en français, c’est totalement irréalisable, c’est mission impossible. En revanche, aucune mélodie n’a de secrets pour lui. Il plaque un accord et la machine démarre. Lorsqu’il déniche un titre qu’il ne maîtrise pas parfaitement, voire pas du tout, il se jette à l’eau quand même. Au début, il patauge, il barbotte, il fait un peu la planche, puis, progressivement, il commence à flotter, il trouve sa cadence, et il finit à la manière d’un champion olympique de natation. Saisissant ! Malin, il a recours à toutes les astuces quand il ne sait pas un texte entièrement : onomatopées, yaourt, répétitions, phonétique… tout est bon. Et c’est toujours étonnant et surprenant d’inventivité. Et la salle finit debout dans un grand moment de communion païenne et musicale, les mains en feu, le sourire aux lèvres, et le cœur en joie.

Personnellement, et tout le monde n’était pas d’accord avec moi, loin s’en faut, j’ai légèrement préféré la première partie à la seconde. Je sais, c’est totalement subjectif. Mon côté cartésien peut-être. Ou alors étais-je inconsciemment déçu qu’une des deux chansons que j’avais proposées n’ait pas été tirée au sort et chantée. Du dépit amoureux, quoi. En revanche, longtemps après le spectacle, dans le métro puis dans le RER, sous la douche, en entrant dans mon lit, je fredonnais encore Georgia On My Mind. C’était comme le bout de scotch dont on ne peut se défaire dans Tintin. C’est terrible l’influence que peut avoir ce garçon ! Mais c’est tellement agréable…

Divorces


Un film de Valérie Guignabodet
Scénario de Valérie Guignabodet et Franck Philippon
Avec : Pascale Arbillot (Valentine), François-Xavier Demaison (Alex), Mathias Mlekuz (Arthur), Brigitte catillon (la juge), Juliette Arnaud (Florence), Zinédine Soualem (Marc), Cyril Couton (Olive), Nathalie Corré (Johanna), Serge Hazanavicius (Ben), Geneviève Casile (la mère de Valentine)…
Sortie le 14 octobre 2009

Ma note : 6,5/10

L’histoire : Un couple d’avocats défend le divorce du 21è siècle : aimable et à l’amiable, avec garde alternée et famille recomposée, loin des atroces scènes de ménage de la génération précédente. Mais le jour où leur propre couple vole en éclat, il faut passer de la théorie à la pratique. Et là, finis les beaux discours, place à la guerre…

Mon avis : On peut dire désormais qu’il y a un « ton » Valérie Guignabodet. Entre Mariages et sa suite (logique ?) Divorces, on retrouve ce talent à peindre les problèmes socio-conjugaux des couples et de ceux qui sont amenés à graviter autour d’eux. Il s’en suit évidemment des dégâts-« gigogne », dommages personnels et dommages co-latéraux.
Le postulat de départ est une astucieuse trouvaille car c’est sur lui que va s’échafauder ensuite toute l’histoire. Comment vont se comporter deux époux avocats associés dans le traitement du divorce à l’amiable quand ils vont à leur tour se retrouver confrontés à la même situation que leurs clients ?
Soudain, toutes les belles théories s’effondrent, les attitudes angéliques se diabolisent, et la vie en rose tourne à La guerre des Rose… Sur un thème somme toute banal – la séparation – Valérie Guignabodet brode une sympathique comédie portée par deux comédiens parfaitement crédibles. Pascale Arbillot joue sur un registre très fin et François-Xavier Demaison, cette fois, n’en rajoute pas. Le début est très rythmé avec une présentation très originale de la mise en place du procédé de vente du « kit divorce », un comédien finissant la phrase de l’autre, ce qui démontre leur grande complicité et complémentarité. Utile pour la suite, quand le grain de sable va se glisser dans cette jolie mécanique bien huilée…

Comme à son habitude Valérie Guignabodet traite les problèmes de couple(s) avec humour et sensibilité. Elle sait également écrire des dialogues plutôt fins et percutants, en jouant dès qu’elle le peut sur les métaphores et les doubles sens. C’est parfois très judicieux ou alors, quand c’est poussé à l’extrême, ça tombe carrément à plat. Comme cette conversation avec le capitaine des pompiers après le sinistre de leur appartement. Là elle se fourvoie carrément dans une espèce de sketch qui sonne faux et qui ferait rire à une fin de repas bien arrosé quand on n’est pas trop difficile sur les images graveleuses. Quand c’est trop gros, ça passe mal. En revanche, quelques scènes un peu croustillantes (dans le cabinet de la juge par exemple) s’intègrent bien plus aisément dans le propos. A noter également, une parodie plutôt réussie de Karl Lagerfeld et la présence irrésistible du toujours bon Mathias Mlekuz, dans le personnage d’Arthur, et la composition sans faute de Juliette Arnaud dans ce joli rôle qu’est celui de Florence. J’ai beaucoup aimé aussi la prestation de Pascale Arbillot dans la scène de la fausse scène de ménage.
Ces variations autour d’un couple en perdition et les affres par lesquelles il passe sont observées avec justesse et avec un ton plutôt juste. Quant aux dégâts co-latéraux précités, ils sont fort bien exprimés par les deux fillettes du couple. Les perturbations qui en découlent sont analysées avec finesse et réalisme. Les deux gamines sont d’ailleurs impeccables.
Mais bien sûr, nous restons tout au long dans le registre de la comédie, avec certaines baisses de régimes ou certains excès ou lourdeurs (assez rares heureusement). Il reste donc un sympathique divertissement familial servi par une belle brochette d’acteurs.

Rose & Noir


Un film de Gérard Jugnot
Scénario et dialogues de Gérard Jugnot et Philippe Lopes Curval
Avec Gérard Jugnot (Pic Saint-Loup), Bernard Le Coq (Castaing), Juan Diego (Poveda), Assaad Bouab (Flocon), Stéphane Debac (Myosothis), Saïda Jawad (Amalia), Patrick Haudecoeur (Sergio), Raphaël Boshart (Frédéric), Aixa Villagran (Margarita), Athur Jugnot (le roi Henri III), Philippe Duquesne (un inquisiteur), Thierry Heckendorn (un inquisiteur), Hubert Saint-Macary (l’avocat), Roland Marchisio (l’artificier)…
Sortie le 14 octobre 2009-10-12

Ma note : 7/10

L’histoire : En 1577, Pic Saint-Loup, grand couturier sur le déclin, se voit confier par le roi Henri III une mission diplomatique : il doit confectionner sa plus belle robe de cérémonie pour le mariage arrangé d’un de ses neveux avec la fille d’un Grand d’Espagne.
Dans une Espagne catholique intégriste qui traque protestants, maures, juifs et homosexuels, Saint-Loup (fort peu hétéro) va se mettre en chemin entouré de ses gens. Ce qu’il ignore, c’est qu’il part avec un protestant, son fidèle secrétaire, bien décidé à cacher une bombe dans la robe pour venger les siens de la sanglante Saint Barthélémy. Il part également avec son « nègre », un maure qu’il doit transformer en blond normand ; avec son parfumeur, son « nez », un juif marrane, ainsi que son coiffeur, une folle perdue.
Tout ce joli monde « persona non grata » va se retrouver chez le père de la fiancée, qui n’est autre que le grand inquisiteur de Séville…

Mon avis : Et bien, encore une fois, je me retrouve avec un certain décalage vis-à-vis de quelques confrères chroniqueurs télé ou plumitifs qui marquent un certain dédain pour le dernier opus de Gérard Jugnot. Et je commence à me poser des questions. Serais-je trop complaisant, trop bon public ? Je m’inquiète, car moi j’ai bien aimé ce film. Je trouve que c’est une excellente comédie, qui nous en met plein les mirettes avec ses riches costumes, ses beaux décors, ses fards et des personnages dont le moins qu’on puisse en dire c’est qu’ils sont très hauts en couleurs.
Comme on commence à en avoir l’habitude avec Gérard Jugnot, on se plaît à chercher le deuxième niveau de lecture car il parsème systématiquement ses histoires de messages. Rose et Noir a beau se passer au 16è siècle, il est néanmoins truffé de clins d’œil et de références à notre actualité. Jugnot, on le sent, on le voit, est un humaniste, mais un humaniste discret, qui suggère plus qu’il ne souligne. Et finalement, ce n’est pas plus mal car l’effet en est plus insidieux, donc plus durable. Entre les gros traits de la comédie, il écrit son manifeste en petites lignes. Et ça évoque les sans papiers, ça parle du racisme, des antagonismes que suscitent les religions… Ce n’est tout de même pas anodin, que diantre !
En marge de ces messages, ce film est une bonne comédie. Tout y est parodique, tout est prétexte à s’amuser et à distraire. Si ce n’est pas louable, ça, par les temps qui courent ! Nombreux sont ceux qui s’ingénient à mettre ce film en parallèle avec La folie des grandeurs. Bien sûr qu’il y a quelques analogies, l’époque, donc les costumes, l’Espagne du temps de l’Inquisition… C’est à peu près tout. Ici, on a plutôt affaire à la grandeur des folles. Et, à ce propos, il faut souligner la qualité de la distribution avec ces personnages réellement croquignolets que composent Jugnot, Stéphane Debac et Patrick Haudecoeur. Et pourtant, quand on y regarde bien, ils ne sont pas si caricaturaux que cela… A leurs côtés, chacun joue sa partition avec un égal bonheur, de Bernard Le Coq à Juan Diego, de Saïda Jawad à Arthur Jugnot, sans oublier les apparitions toujours savoureuses d’un Roland Marchisio.
Comme dans Monsieur Batignole, Gérard Jugnot y va de son morceau de bravoure. Les deux scènes sont similaires. Que ce soit face à la Gestapo ou face à l’Inquisition, il sait qu’il risque d’y laisser sa peau. Mais son indignation, sa révolte, sont trop forts. Perdu pour perdu, il faut que ça sorte. Et il y va de son petit couplet sur la tolérance, sur la justice, sur le respect de l’autre. Il est convaincant dans ce registre… Et puis il y a la toute dernière image du film, celle qui nous scotche à notre fauteuil. Là, il y est allé fort le Jugnot dans la dimension philosophico-sociologique. Ah, tout n’est décidément pas « rose » sur notre petite planète bleue…
En conclusions, et n’en déplaisent aux grands inquisiteurs des grands médias presse et télé, j’ai pris beaucoup de plaisir avec ce film.

lundi 12 octobre 2009

Qui est monsieur Schmitt ?


Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine

Une comédie de Sébastien Thiéry
Mise en scène par José Paul et Stéphane Cottin
Avec Richard Berry (monsieur Bélier), Raphaëline Goupilleau (madame Bélier), Chick Ortega (le policier), Sébastien Thiéry (le psy), Jean-Luc Joseph (le gardien)

Ma note : 8/10

L’histoire : Monsieur et madame Bélier sont en train de dîner dans leur appartement quand, tout-à-coup, le téléphone sonne. Or, les Bélier ne sont pas abonnés au téléphone. L’interlocuteur, au bout du fil, demande un certain monsieur Schmitt. Les Béliers, ahuris, réalisent alors qu’ils ne se trouvent pas chez eux. Ils en déduisent qu’ils sont enfermés dans l’appartement d’un autre.
Or, petit à petit, tout semble prouver qu’ils sont bien monsieur et madame Schmitt. La panique s’installe. Le cauchemar ne fait que commencer…
Qui est fou ? Qui détient la vérité ? Lui ? Les autres ?... Qui est monsieur Schmitt ?

Mon avis : Cartésiens s’abstenir. Si vous ne prisez pas l’univers de l’absurde et de l’irrationnel, vous ne pourrez pas goûter tout le sel de cette comédie extravagante, écrite et jouée de main de maître. Mais si vous aimez cet univers, les ambiances où tout vous échappe, où, à l’instar du couple Bélier, tout est construit de manière à vous couper de la réalité, vous allez vous régaler.

Sur une musiquette fort guillerette, le rideau s’ouvre sur un appartement bourgeois, sans chichis apparents, tout-à-fait fonctionnel. Un couple est attablé, en train de dîner. Au fil de leur conversation aimable et banale, on apprend qu’ils s’appellent Jean-Claude et Nicole. Soudain, le téléphone sonne. Jean-Claude reste interdit, la fourchette en l’air. Ce qui semble courant chez tout un chacun - un téléphone qui sonne - est pour lui parfaitement incongru : ils n’ont PAS le téléphone !... Il se lève et, guidé par la sonnerie, découvre l’intempestif appareil.et, comme hébété, décroche. A l’autre bout du fil, quelqu’un demande à parler à monsieur Schmitt. Jean-Claude raccroche. En arpentant son salon, il découvre effaré que, sur le mur, le portrait de sa mère a disparu, remplacé par celui d’un chien berger allemand. Commençant à se demander s’ils ne se sont pas trompés d’appartement, il veut sortir ; sa clé n’entre pas dans la serrure…
Dès lors, le mystère commence à s’épaissir. Les questions et les interrogations s’empilent les unes sur les autres. La situation devient un vrai cauchemar pour les deux époux. D’autant qu’un policier, puis un psy, les enfoncent de plus en plus profondément dans l’incompréhension. Et le pire, c’est que cette terrible situation ne va jamais ceser d’empirer jusqu’à la fin.

La pièce, pour irrationnelle qu’elle soit, est construite sur une mécanique implacable. Il n’y a aucune faille. Il faut un esprit particulièrement inventif, tortueux et… sadique pour oser imaginer un imbroglio aussi kafkaïen. Chapeau à Sébastien Thiéry qui va encore plus loin dans cette histoire que dans Cochons d’Inde. Et c’est là qu’il faut parler des deux comédiens principaux, les pauvres Jean-Claude et Nicole Bélier.
Nicole Bélier (Raphaëline Goupillieau) est le complément idéal de Richard Berry. A elle seule sa voix au timbre si particulier a déjà un formidable effet comique. Il faut dire que Sébastien Thiéry lui a concocté un personnage remarquablement construit. Tout au long des deux premières parties, avec un bon sens empreint de naïveté, elle s’ingénie à trouver des explications à tout. Même les plus abracadabrantes. Plus son mari se débat et, inévitablement, s’enfonce dans les sables mouvants du mystère auquel il est confronté, plus elle s’efforce de se montrer calme et pragmatique. Son attitude a longtemps pour effet de l’apaiser. Surtout quand elle se met à jouer le jeu de l’usurpation d’identité pour l’aider. On assiste alors à de grands moments de comédie qui frisent la schizophrénie… Et puis, vers la fin de la deuxième partie et dans la troisième quand, irréversiblement, elle commence à ne plus le soutenir, ne faisant plus office de béquille ou de bouée, il perd carrément pied… Raphaëline Goupilleau nous distille ce type de prestation, à la fois subtile, dense et riche, qui compte dans la carrière d’un comédien.
Quant à Richard Berry, il est tout bonnement sublime. Il se livre à une démonstration qui devrait lui valoir un Molière. Il est stupéfiant d’aisance de bout en bout..Enorme ! La moindre mimique, le moindre geste, le moindre ton sont des modèles de jeu. Il est véritablement au sommet de son art. D’ailleurs, depuis quelques rôles, on le voit prendre de plus en plus de bonheur à tenir des contre-emplois emplis d’autodérision. Dans cette pièce, il est une mouche qui se débat dans une toile d’araignée. Ses gesticulations pour s’en sortir sont d’une drôlerie absolue. Et pourtant on n’est pas très loin du drame absolu. Imaginez un instant que vous soyez à sa place. C’est tout bonnement invivable… Le numéro de voltige que Richard accomplit dans sa quête d’identité justifie à lui seul que vous vous précipitiez au théâtre de la Madeleine. Grand, grand, très grand comédien !
Chick Ortega compose un personnage de flic qui se le dispute entre le suspicieux et le débonnaire. Il apporte sa stature imposante et menaçante et cette façon qui n’appartient qu’à lui de jouer les benêts un peu lourdauds.
Et puis il y a Sébastien Thiéry. Dans le rôle du psy. D’un psy aussi lunaire que tordu. Evidemment, il est formidable dans ce registre qui lui est si personnel. Le regard inquisiteur, le ton monocorde, il n’a pas son pareil pour déstabiliser son interlocuteur. Et le spectateur aussi. On en arrive à se demander si on a affaire à un crétin ou à un praticien retors à la limite du sadisme.
En tout cas, personnellement, étant quelqu’un qui sourit bien plus qu’il ne rit, lors de la scène où Sébastien Thiéry joue à la baballe avec Richard Berry, je me suis retrouvé à pleurer de rire et étant incapable de contrôler les soubresauts de mes épaules. Rarissime !

Qui est monsieur Schmitt ? est une des pièces les plus attractives de cette rentrée automne-hiver 2009. Pendant la première moitié, on ne cesse d’y rire de bon cœur. Puis, subrepticement, on se laisse s’émouvoir et s’inquiéter pour la santé mentale de ce pauvre monsieur Bélier (ou Schmitt ?) C’est d’ailleurs cet éventail de sensations qui fait que cette pièce est complètement aboutie. Elles sont tellement rares ces pièces délibérément absurdes qui réussissent à nous tenir en haleine de bout en bout. Car tout le long de ce labyrinthe, on se demande où l’auteur nous emmène et comment cela va finir. Eh oui, au fait, Qui est monsieur Schmitt ?

vendredi 9 octobre 2009

Audrey Lamy "Dernières avant Las Vegas"


Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Spectacle coécrit par Audrey Lamy et Alex Lutz
Mis en scène par Alex Lutz

Ma note : 7,5/10

L’argument : Audrey Lamy a une certaine idée de notre société où la normalité devient soudainement absurde. Sans complexe, munie d’un redoutable sens de l’observation, elle dresse le portrait de ses copines, de ses voisins, de ses parents et rend visite à Brad Pitt, qui l’a toujours aimée secrètement… Un spectacle tout en fraîcheur et en nuances qui nous fera l’effet irrésistible d’un miroir déformant.

Mon avis : La salle est certes petite, mais elle est bourrée à craquer. Le public est en grande majorité composé de jeunes de 25 à 35 ans venus soit en couple, soit en petite bande de copains. Bien avant le lever le rideau, l’humeur est joyeuse et badine. On sent que l’on est là pour passer un bon moment avec une bonne copine… Et c’est effectivement ce qui va se passer pendant une heure vingt.
Audrey arrive en traversant la salle comme si elle venait de l’extérieur et était à la bourre. C’est donc en doudoune et coiffée d’un bonnet qu’elle monte sur scène. Tout de suite, le ton est à la confidence, elle nous prend pour témoins, elle nous narre ses petits soucis, nous fait part de ses réflexions sur les aléas de la vie de tous les jours. Et comme elle est en retard, elle se permet d’ouvrir son courrier devant nous, ce qui amène le premier sketch, une réclamation à sa banque…
L’univers d’Audrey Lamy, c’est notre quotidien. Elle raconte des (més)aventures qui peuvent arriver à tout le monde. A part qu’elle y ajoute un prodigieux don de conteuse et qu’elle a un art inénarrable de se mettre en scène. Ce qui ressort avant tout de son show, c’est que nous avons en face de nous une remarquable comédienne. Très expressive, sans cesse en mouvement, elle vit à fond toutes ses expériences. Avec sa bonne bouille, ses yeux candides et ébahis, son phrasé, elle nous fait immanquablement penser à une Marie-Anne Chazel jeune. Elle est dans ce registre, tout en finesse, tout en observation, dans un léger décalage permanent et un gros brin d’autodérision. Elle peut se permettre de sortir quelques incongruités tout en gardant un fond frais de naïveté. S’il lui arrive parfois d’être un peu crue, c’est d’abord parce qu’elle utilise uniquement un langage très actuel qui ne peut pas choquer la génération qui constitue la majeure partie de son public. Elle est totalement en phase. Comme elle le dit si bien au cours d’un sketch, on peut se montrer vulgaire, oui mais « vulgaire dans le sens positif » ! Chez elle, ça existe.

Ses sketches sont courts, efficaces. Elle les enchaîne sans temps mort, passant avec virtuosité d’un personnage à l’autre. Ce rythme lui permet de montrer un très large éventail de jeu. Elle possède en outre une très jolie voix, qu’elle module à l’envi en fonction de son personnage, prenant des tons ou des accents avec une facilité confondante.
Si, dans son premier sketch - l’appel à sa banquière (qui contient de savoureuses formulations) - elle laisse filtrer une vraie candeur, un vrai fond de gentillesse et la fragilité de quelqu’un qui n’a ni les armes ni l’autorité pour affronter les obstacles que certains dysfonctionnements dressent sur sa route pour finir par admettre qu’elle est aussi quelque peu désinvolte vis-à-vis de la gestion de son compte, dès le deuxième sketch, elle laisse apparaître une autre facette de sa personnalité : la réactivité de quelqu’un qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat quand les circonstances l’exigent. Ce sketch lui permet d’ailleurs au passage d’arborer un fort joli costume de fée.
Je ne vais pas de toute façon vous raconter ses sketches par le menu. Ça ne se fait pas. Mais, si tous sont bons, il y en a quelques uns qui sont tout de même plus marquants ; souvent parce qu’il y a un fond qui donne à réfléchir. Je citerai donc, par ordre d’apparition en scène, celui qui traite très subtilement du racisme ordinaire. La formidable trouvaille qu’est le personnage de Stériline (clin d’œil à Woody Allen ?) avec accent du Midi en prime. La copine de lycée retrouvée via Facebook (une remarquable composition à la fois vocale et physique) avec cette déclaration impayable : « Deux cocas à Massy, c’est carrément le prix d’un loyer en centre Afrique ! ». Belle idée aussi que cette fameuse soirée qui faillit être déguisée et où elle se pointe en lapin ; importante cette soirée, car c’est celle où elle rencontre son mec, Cédric, qui apparaît en fil rouge pendant le spectacle. Sa parodie de film est également un grand moment au cours duquel elle joue énormément avec son corps et avec sa voix. Il y a également cette superbe composition où elle joue une mère tentant de régenter les études et les devoirs de sa fille, un sketch truffé de tics de langage. Et enfin, il y a le dernier sketch, incontestablement le plus « poëlant »… Vous comprendrez pourquoi.

Audrey Lamy… Une star de l’humour is born. Elle sait tout faire, avec une vraie légèreté. Elle pétille littéralement. Epaulée dans l’écriture et dans la mise en scène par l’excellent Alex Lutz (à qui l’on doit aussi, en plus de son très bon one-man show, la mise en scène du Comique de Pierre Palmade), elle a créé un spectacle qui ne fait pratiquement que monter en puissance au fur et à mesure qu’il se déroule. On voit bien qu’elle est à fond dans ses histoires. On sent chez elle une vraie gourmandise à jouer, un goût profond aussi pour le partage avec le public. Mais – et je tiens à bien appuyer là-dessus – c’est une formidable comédienne qui ne va sans doute pas tarder à exploser quand les réalisateurs de cinéma et de télévision se seront enfin rendu compte de son existence et de la richesse de son potentiel.
D’ailleurs, pour avoir eu la chance de découvrir en avant-première le prochain programme court que va présenter prochainement M6 à 20 h 10, Scènes de ménages, où Audrey tient l’un des six rôles récurrents, je peux vous dire qu’elle y confirme tout son talent de composition. Cette série, dans la veine spirituelle de Caméra Café et de Kaamelott, est une vraie réussite, tant dans l’écriture que dans les situations et dans le jeu de six comédiens réellement épatants.

Au fait, j’oubliais, mais est-ce vraiment utile de le rappeler, Audrey est aussi la petite sœur d’Alexandra Lamy. On ne devait pas s’ennuyer dans la famille !

mardi 6 octobre 2009

La Clique


Bobino14, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 27 24 24
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ma note : 8,5/10

Qu’est-ce que La Clique ? La Clique est née en 2004 dans le cadre du Festival d’Edinburgh. C’est un florilège de performances exécutées par des artistes de qualité proposant d’incroyables numéros de huit minutes. Inspiré tout autant des arts de la rue, du cirque et du cabaret, c’est tout à la fois un show et un spectacle de variétés s’appuyant sur deux éléments essentiels : le comique visuel et la performance physique.

La Clique ? Une vraie claque !!!
L’argument en exergue du titre est explicite : « Impossible à décrire, alors il faut aller voir »…
Je suis venu, j’ai vu, j’ai vécu… une soirée ébouriffante. A tous points de vue.
Impressionnante d’abord par le plateau d’invités qui se pressaient autour de la minuscule scène en rond dressée au centre de la salle : Arthur, Dany Boon, Edouard Baer, Antoine de Caunes, Isabelle Buffet, Corinne Touzet, Christine Bravo, Jonathan Lambert, Michel Boujenah, Ged Marlon, Thierry Frémont, Sophie Mounicot, Victoria Abril, Arié Elmaleh, Mustapha Elatrassi… On le voit, beaucoup d’humoristes s’étaient déplacés pour découvrir le phénomène annoncé. Mais cela reste anecdotique. C’était un soir de première, après tout. Ce qui comptait, c’est ce que les artistes de La Clique allaient nous proposer au cours de cette douce soirée d’octobre.
Ne sachant rien de ce que nous allions voir hormis un numéro présenté quelques jours auparavant à la télévision, celui de deux gentlemen de la City en costume rayé trois-pièces et chapeau melon se livrant à une prestation mano a mano époustouflante et particulièrement inventive. Ce numéro, accompli par deux authentiques gymnastes de très haut niveau, la plupart du temps au ralenti et toujours avec le sourire, intervient d’ailleurs en deuxième position dans l’ordre du spectacle. Vraiment bluffant !

Maintenant, que dire du reste ? Ce n’est pas vraiment que ce soit impossible à décrire. Quand on l’a vu, c’est même très facile de le raconter. Le hic, justement, c’est qu’on ne se sent pas le droit d’en dévoiler toutes les surprises, toutes les performances, tous les gags, toutes les extravagances, toutes les audaces. Oui, parce qu’il y aussi des audaces au programme… Il faut venir dans cette salle de Bobino redessinée par Gérard Louvin, vierge de toute information, avec son âme d’enfant et sa faculté d’émerveillement intacte.
Les numéros s’enchaînent les uns après les autres sans le moindre temps mort. On rit énormément, sauf quand on a le souffle coupé par une prouesse qui nous laisse tout ébaubi. Certains numéros provoquent spontanément quelques standing ovations enthousiasmées. En plus, en raison de la proximité avec eux, on voit des artistes heureux d’être là ravis de nous enchanter, de nous surprendre, de nous faire rêver (il y en a pour tous les sexes) et parfois même de nous laisser totalement pantois.
La Clique nous offre donc une soirée qui ne ressemble à aucune autre et d’un niveau absolument remarquable. C’est un spectacle familial, chaque membre de la famille pouvant avoir son propre niveau de lecture, de ravissement et d’exaltation, un spectacle qui se poursuit dans nos têtes bien après que la dernière note de musique ait retenti car on a longuement envie d’en parler et de partager ses impressions. Il y a incontestablement deux-trois numéros dont vous vous remémorerez sans doute longtemps…
Alors, comme nous y incite leur slogan : « Just go ! ». Allez-y, vous n’en reviendrez pas…

En revanche, on n’a pas le droit de ne pas citer les artistes et d’indiquer leur spécificité sans trop en dire non plus.
Par ordre d’entrée en scène : Cabaret Décadanse (manipulateurs marionnettistes), The English Gents (notre duo d’athlètes équilibristes précités), Miss Behave (illusionniste excentrique et callipyge qui apparaît en fil rouge, aussi rouge que sa tenue de cuir ultra moulante), Mario, Queen of the Circus (un avatar des Village People, fan de Freddie Mercury, qui jongle autant avec les mots qu’avec la musique et les objets), Ursula Martinez (ou l’art de faire disparaître un chiffon rouge sans rien dissimuler), Captain Frodo (un stupéfiant contorsionniste émule de Valentin le Désossé), David O’Mer (un superbe play-boy qui réussit à la fois à prendre son bain, à s’essorer et à se faire sécher), Yulia (gymnaste accomplie, version féminine du Seigneur des anneaux)… Et bravo aux musiciens qui les accompagnent en live !

Victor


Un film de Thomas Gilou
Avec Pierre Richard (Victor), Lambert Wilson (Courcelle), Clémentine Célarié (Sylvie Saillard), Antoine Duléry (Guillaume Saillard), Sara Forestier (Alice), Mohamed Hicham (Paco), Marie-France Mignal (la mère de Sylvie), Jacqueline Corado Da Silva (Hyacintha), Raphaël Bongiorno (Félix Saillard), Manon Chevalier (Marguerite Saillard)
Sortie le 7 octobre 2009

Ma note : 6,5/10

L’histoire : Alice, jeune stagiaire dans un magazine people, se prend d’affection pour son voisin de palier, Victor, charmant vieillard érudit abandonné de tous et sur le point d’être expulsé de son logement. Elle va bientôt trouver une solution à son problème : organiser un concours au sein de son journal dont le gain sera l’adoption de Victor. A l’issue du casting, c’est la famille Saillard qui gagne le droit de l’accueillir. Mais l’arrivée du sémillant octogénaire, censée apporter joie et bonne humeur, tourne rapidement à l’aigre. Les failles de chacun éclatent au grand jour et bouleversent le cadre d’une famille qui semblait pourtant bien sous tout rapport…

Mon avis : Victor, c’est une fable. Une fable à morale et amorale.
A morale, parce que ce film véhicule au départ un joli message de générosité et d’altruisme. Alice (Sara Forestier) est totalement sincère quand elle veut venir en aide à son vieux voisin totalement désemparé. Elle ne peut se résoudre à le laisser ainsi à l’abandon. Son attitude nous fait donc ouvrir les yeux sur le manque d’attention et d’intérêt dont on fait souvent preuve vis-à-vis de nos aînés. La plupart du temps, c’est de solitude qu’ils souffrent le plus. Bien sûr Victor a le refuge de ses chers bouquins, mais cela ne remplace malheureusement pas la communication et la relation humaine.
Amoral parce que rien n’est jamais tout rose dans notre société aux sentiments frelatés par l’intérêt, l’appât du gain, la notoriété. Ces moteurs-là ne peuvent pas tourner tout seuls sans ce fieffé carburant qu’est le mensonge… Au départ, quasiment tout le monde semble honnête et pétri de bons sentiments. Quasiment tout le monde est plutôt sympathique. Mais plusieurs grains de sable vont enrayer cette apparente jolie mécanique…

En préambule, il faut souligner l’originalité du générique constitué de naïfs dessins d’écoliers. Ensuite, on fait progressivement connaissance avec les principaux protagonistes de l’histoire. Alice possède la fraîcheur des gens qui ont encore à l’âme une certaine candeur. Elle est honnête et intègre et Sara Forestier lui apporte justesse et crédibilité… Courcelle, le patron du magazine people Global, est un peu trop caricatural. Lambert Wilson a dû s’en donner à cœur joie en composant un personnage aussi peu estimable, capable de toutes les compromissions et de toutes les bassesses pour faire augmenter le tirage de son journal… Monsieur Saillard est un brave homme, c’est indéniable. Bien sûr, ce n’est pas un philanthrope, le montant du chèque l’intéresse plus que l’adoption proprement dite. Et, peu à peu, pris dans le tourbillon médiatique, il se laisse étourdir par la célébrité. En cela il reste hélas tout simplement humain et nombre d’entre nous adopteraient le même comportement. Antoine Duléry, sobre et tout à fait normal, continue à affirmer sa place de parfait comédien, quel que soit le registre que l’on lui demande… Madame Saillard est superbement interprétée par Clémentine Célarié. Un peu rigide, un peu sentencieuse, c’est une intégriste de la nutrition, elle n’est pas spécialement marrante, mais on voit bien que c’est elle qui fait tourner la maison. Du coup, elle est quelque peu engluée dans son quotidien au détriment de son propre épanouissement. Jusqu’à ce que ce cher Victor lui ouvre les yeux et lui re-titille la libido. Un joli rôle à facettes pour une Clémentine Célarié très convaincante… Et puis il y a Victor. Une composition absolument jouissive pour Pierre Richard. Rarement il lui a été donné d’interpréter quelqu’un d’aussi trouble. Victor a une vraie épaisseur. Sa vraie personnalité est difficile à cerner car il est multiple. Tout autant ermite érudit et réservé que tyran domestique et calculateur, observateur malin de la société qui l’entoure (il est ainsi capable de « détecter les cons », ce qui le rend redoutable), de manipulé il devient manipulateur. Et il parvient tout de même à rester plutôt sympathique. Quand ses mirettes bleues se font humides et qu’il prend un regard de cocker, comment ne pas s’attendrir et tout lui pardonner ? Une superbe prestation que Pierre Richard accomplit tout en finesse.

Victor, ou les vieillards au pouvoir ? Un peu et pas vraiment, car le pouvoir est volatile et il se complaît à changer de main. Ce scénario aurait pu être écrit par Molière qu’il avait vécu à notre époque. Dans cette comédie satirique, où le cynisme prédomine (sauf dans le personnage d’Alice), les rires sont souvent grinçants. Et c’est bien comme ça. Le loupe est mise sur nos petits travers, nos petites bassesses et aussi sur ce que nous pouvons avoir de bon. Allons, tout n’est pas perdu…

vendredi 2 octobre 2009

Le démon de Hannah


Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce d’Antoine Rault
Mise en scène de Michel Fagadau
Avec Elsa Zylberstein (Hannah Arendt), Didier Flamand (Martin Heidegger), Josiane Stoléru (Friede Heidegger), Jean-Marie Galey (Heinrich)

Ma note : 6/10

L’histoire : Martin Heidegger est le plus grand philosophe allemand du 20è siècle. Hannah Arendt a 18 ans, elle est son élève et elle est juive. Ils vivent un amour fou. Mais il l’abandonne et devient national-socialiste à l’arrivée de Hitler au pouvoir. Réfugiée en Amérique, elle revient pour la première fois en Allemagne en 1950 où il est interdit d’enseignement. Alors qu’elle a juré de ne jamais le revoir, 25 ans jour pour jour après leur première nuit d’amour, elle l’invite à la retrouver dans une petite chambre d’hôtel…

Mon avis : Le démon de Hannah est typiquement le genre de pièce à laquelle il est impossible d’attribuer une note en raison de la multitude de paramètres qui font qu’elle peut énormément plaire… ou moins. Ce 6/10 que je lui accorde ne concerne donc que mon point de vue et mon ressenti.
Elsa Zylberstein et Didier Flamand méritent un 10/10, et leurs deux complices, eux aussi, une excellente note. Les deux premiers sont de véritables stradivarius riches en émotion et en tempérament. Reste la manière dont on perçoit la partition qu’on leur a donnée à interpréter.
Le démon de Hannah est une pièce dense, profonde, intense. Nombreux sont les thèmes qui y sont abordés, thèmes qui vont du général (la deuxième guerre mondiale, le Nazisme, l’antisémitisme, la philosophie…) au particulier (les relations prof/élève, mari/épouse, la passion…). L’éventail est donc très large.

La première image de la scène propose une image très originale. Deux bureaux séparés par une cloison dont les baies vitrées donnent l’un sur New York, l’autre sur une ville allemande dévastée. Le premier est occupé par un jeune couple, Hannah et Heinrich, le second par un couple plus âgé, Martin Heidigger et son épouse Friede… En fonction de l’action, un bureau est éclairé et l’autre éteint.
La première scène consiste à un long monologue du célèbre philosophe allemand, une sorte de cours magistral qu’il donnerait dans un amphi dont nous, public, formons en quelque sorte l’auditoire. Ce discours, qui tient de la harangue, est une véritable apologie du Nazisme et de son maître à penser, Hitler… Par le truchement d’un flash-back, on découvre que Hannah, dans sa jeunesse, subjuguée par le talent oratoire, les idées philosophiques et la prestance de ce professeur au charisme indéniable, avait eu une liaison avec lui en 1925. Mais en marge de cette subtile et utile passerelle, j’ai trouvé le discours liminaire un peu longuet et trop docte.
Retour en 1950, époque où se situe la trame de l’histoire. Martin Heidegger, privé de chaire – mais également de chair car il faisait, selon les dires de son épouse, une grande consommation d’élèves – est devenu un homme frustré, amer, vindicatif. Alors que sa femme –magnifique Josiane Stoléru ! – est quelqu’un de beaucoup plus ancré dans la réalité, pragmatique et fine mouche. Elle connaît son Martin par cœur et elle appréhende toujours sa rechute.
En fait, la pièce commence à trouver son vrai rythme au bout d’une demi-heure, grâce en grande partie au jeu de Josiane Stoléru qui propose un comportement normal par rapport à son intellectuel de mari, et qui ne se prive pas de secouer le cocotier. Martin Heidegger apparemment ne vit que pour deux choses : la philosophie et le sexe. Si son épouse est plutôt admirative de sa première passion, elle n’adhère en aucune façon à la seconde, lui assurant même que jamais elle ne le quittera.

Nous en sommes donc là au deuxième acte, propice à un changement de décor. Les bureaux disparaissent, laissant la place à une chambre d’hôtel… C’est que, entre temps, Hannah Arendt, après avoir longtemps tergiversé, décide de se rendre à Freibourg, où réside son ancien professeur de philo. Elle est devenue elle-même une intellectuelle. Elle désire rédiger une étude sur la culture juive en Allemagne tout mettant une touche finale à son Histoire du totalitarisme… Et le couple se retrouve dans la chambre d’hôtel ! 25 ans après, où en sont les sentiments qu’ils ont éprouvé l’un pour l’autre, sachant qu’une guerre est passée par là et que chacun a pris des positions diamétralement opposées ? C’est là le nœud de la pièce. Nous devenons les témoins de l’analyse d’une passion entrecoupées d’échanges hautement philosophiques, portant essentiellement sur le Bien et le Mal. L’attraction physique va-t-elle réussir à dominer les désaccords idéologiques ? Le corps contre l’esprit, en quelque sorte. Le « démon » de Hannah va-t-il renouer avec les vieux démons de Martin Heidegger ?

Il faut bien reconnaître une chose : cette pièce, dont les faits se sont réellement déroulés, est malgré tout élitiste et le Verbe y tient une place prépondérante. Il vaut mieux ne pas être trop fatigué par sa journée de travail pour en capter toute la portée politico-philosophique.
En revanche, la prestation artistique d’Elsa Zylberstein et de Didier Flamand ne souffre d’aucune critique. Quelles compositions, ils nous offrent ! Ils sont un peu chacun l’archétype de leur sexe. Martin Heidegger, apparaît comme un être égoïste, lâche, ambitieux, manipulateur, profitant du pouvoir de séduction qu’il exerce sur ses jeunes élèves ; des travers que son esprit formidablement brillant ne peuvent excuser. Surtout quand il le met au service d’une cause aussi condamnable que le soutien à Hitler et au national-socialisme… Quant à Hannah, on la sent frémissante de passion au plus profond d’elle-même, on assiste à sa lutte entre ses sens et sa raison, mais quand elle a décidé de se donner, elle se donne et sans aucune réserve… C’est un peu là toute la différence entre les hommes et les femmes dans la gestion de leur libido, tout de même bien plus noble chez ces dernières. Enfin, pour conclure, on ne peut s’empêcher en voyant cette pièce de penser à Portier de nuit, le sadomasochisme en moins.