vendredi 2 octobre 2009

Le démon de Hannah


Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce d’Antoine Rault
Mise en scène de Michel Fagadau
Avec Elsa Zylberstein (Hannah Arendt), Didier Flamand (Martin Heidegger), Josiane Stoléru (Friede Heidegger), Jean-Marie Galey (Heinrich)

Ma note : 6/10

L’histoire : Martin Heidegger est le plus grand philosophe allemand du 20è siècle. Hannah Arendt a 18 ans, elle est son élève et elle est juive. Ils vivent un amour fou. Mais il l’abandonne et devient national-socialiste à l’arrivée de Hitler au pouvoir. Réfugiée en Amérique, elle revient pour la première fois en Allemagne en 1950 où il est interdit d’enseignement. Alors qu’elle a juré de ne jamais le revoir, 25 ans jour pour jour après leur première nuit d’amour, elle l’invite à la retrouver dans une petite chambre d’hôtel…

Mon avis : Le démon de Hannah est typiquement le genre de pièce à laquelle il est impossible d’attribuer une note en raison de la multitude de paramètres qui font qu’elle peut énormément plaire… ou moins. Ce 6/10 que je lui accorde ne concerne donc que mon point de vue et mon ressenti.
Elsa Zylberstein et Didier Flamand méritent un 10/10, et leurs deux complices, eux aussi, une excellente note. Les deux premiers sont de véritables stradivarius riches en émotion et en tempérament. Reste la manière dont on perçoit la partition qu’on leur a donnée à interpréter.
Le démon de Hannah est une pièce dense, profonde, intense. Nombreux sont les thèmes qui y sont abordés, thèmes qui vont du général (la deuxième guerre mondiale, le Nazisme, l’antisémitisme, la philosophie…) au particulier (les relations prof/élève, mari/épouse, la passion…). L’éventail est donc très large.

La première image de la scène propose une image très originale. Deux bureaux séparés par une cloison dont les baies vitrées donnent l’un sur New York, l’autre sur une ville allemande dévastée. Le premier est occupé par un jeune couple, Hannah et Heinrich, le second par un couple plus âgé, Martin Heidigger et son épouse Friede… En fonction de l’action, un bureau est éclairé et l’autre éteint.
La première scène consiste à un long monologue du célèbre philosophe allemand, une sorte de cours magistral qu’il donnerait dans un amphi dont nous, public, formons en quelque sorte l’auditoire. Ce discours, qui tient de la harangue, est une véritable apologie du Nazisme et de son maître à penser, Hitler… Par le truchement d’un flash-back, on découvre que Hannah, dans sa jeunesse, subjuguée par le talent oratoire, les idées philosophiques et la prestance de ce professeur au charisme indéniable, avait eu une liaison avec lui en 1925. Mais en marge de cette subtile et utile passerelle, j’ai trouvé le discours liminaire un peu longuet et trop docte.
Retour en 1950, époque où se situe la trame de l’histoire. Martin Heidegger, privé de chaire – mais également de chair car il faisait, selon les dires de son épouse, une grande consommation d’élèves – est devenu un homme frustré, amer, vindicatif. Alors que sa femme –magnifique Josiane Stoléru ! – est quelqu’un de beaucoup plus ancré dans la réalité, pragmatique et fine mouche. Elle connaît son Martin par cœur et elle appréhende toujours sa rechute.
En fait, la pièce commence à trouver son vrai rythme au bout d’une demi-heure, grâce en grande partie au jeu de Josiane Stoléru qui propose un comportement normal par rapport à son intellectuel de mari, et qui ne se prive pas de secouer le cocotier. Martin Heidegger apparemment ne vit que pour deux choses : la philosophie et le sexe. Si son épouse est plutôt admirative de sa première passion, elle n’adhère en aucune façon à la seconde, lui assurant même que jamais elle ne le quittera.

Nous en sommes donc là au deuxième acte, propice à un changement de décor. Les bureaux disparaissent, laissant la place à une chambre d’hôtel… C’est que, entre temps, Hannah Arendt, après avoir longtemps tergiversé, décide de se rendre à Freibourg, où réside son ancien professeur de philo. Elle est devenue elle-même une intellectuelle. Elle désire rédiger une étude sur la culture juive en Allemagne tout mettant une touche finale à son Histoire du totalitarisme… Et le couple se retrouve dans la chambre d’hôtel ! 25 ans après, où en sont les sentiments qu’ils ont éprouvé l’un pour l’autre, sachant qu’une guerre est passée par là et que chacun a pris des positions diamétralement opposées ? C’est là le nœud de la pièce. Nous devenons les témoins de l’analyse d’une passion entrecoupées d’échanges hautement philosophiques, portant essentiellement sur le Bien et le Mal. L’attraction physique va-t-elle réussir à dominer les désaccords idéologiques ? Le corps contre l’esprit, en quelque sorte. Le « démon » de Hannah va-t-il renouer avec les vieux démons de Martin Heidegger ?

Il faut bien reconnaître une chose : cette pièce, dont les faits se sont réellement déroulés, est malgré tout élitiste et le Verbe y tient une place prépondérante. Il vaut mieux ne pas être trop fatigué par sa journée de travail pour en capter toute la portée politico-philosophique.
En revanche, la prestation artistique d’Elsa Zylberstein et de Didier Flamand ne souffre d’aucune critique. Quelles compositions, ils nous offrent ! Ils sont un peu chacun l’archétype de leur sexe. Martin Heidegger, apparaît comme un être égoïste, lâche, ambitieux, manipulateur, profitant du pouvoir de séduction qu’il exerce sur ses jeunes élèves ; des travers que son esprit formidablement brillant ne peuvent excuser. Surtout quand il le met au service d’une cause aussi condamnable que le soutien à Hitler et au national-socialisme… Quant à Hannah, on la sent frémissante de passion au plus profond d’elle-même, on assiste à sa lutte entre ses sens et sa raison, mais quand elle a décidé de se donner, elle se donne et sans aucune réserve… C’est un peu là toute la différence entre les hommes et les femmes dans la gestion de leur libido, tout de même bien plus noble chez ces dernières. Enfin, pour conclure, on ne peut s’empêcher en voyant cette pièce de penser à Portier de nuit, le sadomasochisme en moins.

4 commentaires:

davidof a dit…

Au-delà de ses liens avec le nazisme, Heidegger est une personnage que je connais peu.... portant je connais sa petite-fille qui vivait à Munich. A l'epoque elle travaillait sur un histoire révisionniste de son grand-père et je me rappelle des tas de papiers et d'autres recherches dans sa maison. Elle semblait amer sur la façon dont son grand-père a été traité.

J'ai été surpris de voir que Elsa Zyberstein était dans une pièce de théâtre sur Heiddeger et votre critique a jeté un peu plus de lumière sur l'homme. Si je vivais à Paris, je serai tente d'aller voir la pièce.

Anonyme a dit…

Que s'est-il passé entre le 13 octobre et hier soir? J'ai trouvé le jeu d'actrice d'Elsa Zylberstein très décevant et vraiment pas à la hauteur des autres acteurs et de la pièce... Sentiment amer... Dommage !

Anonyme a dit…

Magnifique sujet et bon texte. Pas d'accord sur le jeu des acteurs avec Critikator.Si Didier Flamand et Josyane Stoleru tirent leur épingle du jeu,Elsa Zylberstein force sa voix pour exprimer la colère et l'émotion, en fait des tonnes et au total joue faux.Je l'avais pourtant appréciée dans LA PREUVE.
Vraiment déçu par cette occasion ratée.

Anonyme a dit…

Un Didier Flamand superbe et une Elsa Zylberstein decevante... il n'y a que les moments de coleres ou elle arrete de surjouer son personnage pour enfin vibrer d'emotion... dommage...