mercredi 10 février 2010

Alexandra David-Néel "Mon Tibet..."


Théâtre du Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Michel Lengliney
Mise en scène par Didier Long
Décor et costumes de Tim Northam
Avec Hélène Vincent (Alexandra David-Néel), Emilie Dequenne (Marie-Madeleine)

Ma note : 8/10

L’argument : Exploratrice, orientaliste, féministe, cantatrice, écrivain, Alexandra David-Néel voyage pendant quinze ans à la découverte des régions inexplorées du Tibet. A la fin de sa vie, autoritaire et fantasque, elle revit avec sa collaboratrice les aventures qui ont marqué son destin d’exception.

Mon avis : L’histoire commence avec l’arrivée dans la maison de Digne de la nouvelle secrétaire d’Alexandra David-Néel, Marie-Madeleine. Le salon n’est pas des plus accueillants. Il est dans un désordre indescriptible. Dans un coin, un fatras d’objets hétéroclites jonche le sol. On y distingue pêle-mêle des livres, une vieille TSF, une malle, un casque, quelques boîtes, des magazines, des classeurs, une béquille, etc… Et, comme mobilier, trois pauvres sièges disparates, une vieille chaise-longue, une petite table sur laquelle trône une Remington… Si le salon n’est pas franchement accueillant, que dire de la réception d’Alexandra David-Néel ? On sent que ça ne va pas être du gâteau pour une Marie-Madeleine impressionnée par l’aura de la vieille dame. Une vieille dame qui apparaît illico bien autoritaire et acariâtre. Il y a de quoi rebuter les meilleures volontés. On savait que la célèbre aventurière possédait un caractère bien trempé, mais son handicap – elle est percluse de rhumatismes qui l’empêchent de se déplacer – ne fait qu’accentuer encore son humeur bougonne. Mais si « la femme aux semelles de vent » ne peut plus se traîner qu’avec l’aide d’une canne et d’une béquille, son esprit, lui, vole avec toujours autant de vivacité et d’intelligence.
Voici donc le décor planté. D’un côté une femme très âgée, tyrannique, misanthrope, ronchon, impatiente, injuste ; de l’autre une jeune femme douce, réservée, patiente, tolérante, avide de savoir. C’est en fait la fameuse recette du tandem si apprécié au cinéma qui est appliquée dans cette pièce. Comment ces deux femmes vont-elles cohabiter, comment leurs sentiments respectifs vont-ils évoluer ?

La construction de cette pièce est remarquable. Elle est composée de va-et-vient incessants entre la maison des Alpes de Haute-Provence et les contreforts de l’Himalaya. On passe sans transition des petites tracas du quotidien (la maladie, les nuisances sonores extérieures…) à l’infiniment grand que sont le Tibet et la spiritualité. Les dialogues sont vifs, percutants, parsemés de métaphores. Le caractère de la vieille dame est à l’encan : avec une mauvaise foi confondante, elle passe elle aussi sans transition de la plus blessante causticité à la prévenance. Le texte est émaillé d’une quantité de réflexions savoureuses : « C’était un voluptueux, j’étais une cérébrale », dit-elle en parlant de son mari ; « Faut-il que l’amour tutoie la stupidité ! » ; « la tendresse est le meilleur terreau de l’amour » ; « Le repos me tue »… Quand ce n’est pas Alexandra David-Néel qui s’envole dans l’évocation de ses souvenirs, c’est Marie-Madeleine qui, voulant satisfaire sa curiosité, lui pose des questions dont les réponses constituent autant de passionnants flash-back. Il n’est pas besoin de connaître la vie de l’exploratrice-féministe-bouddhiste pour apprécier cette pièce à se juste valeur. C’est un bonheur de jeu et d’intelligence. Ce n’est pas ennuyeux une seconde. Alexandra David-Néel a connu un destin hors du commun. C’est une pionnière, une voyageuse infatigable qui, à l’âge de cent ans, se permet de faire renouveler… son passeport ! Un personnage unique !
Et pour le camper ce personnage, il fallait une comédienne elle-même hors norme. Bien servie par ce texte brillant avec ses descriptions emplies d’exotisme, ses répliques assassines, Hélène Vincent est formidable de bout en bout. En dépit de son handicap physique, elle déborde de vitalité. Le corps est usé, mais l’esprit demeure, ne serait-ce que dans la malice de son regard, ou les mimiques de son visage expressif. La performance est telle qu’elle mériterait de décrocher un Molière.
Afin que toute la saveur de ce jeu puisse ressortir dans tout son éclat, il fallait un contrepoids, un révélateur. Et Emilie Dequenne nous livre ici une prestation qui en dit long sur son potentiel. Pas facile d’exister face à cette grande dame qu’est Hélène Vincent. Et bien, elle est épatante. Modeste, calme et dévouée, elle parvient à devenir indispensable à la vieille dame. Elle évite avec grâce les boulets rouges qui lui sont adressés, esquive les propos agressifs, slalome entre les propos malveillants et parfois méprisants… Sa seule rébellion est lorsqu’on évoque son Algérie natale, une Algérie qu’elle revendique française. Alors qu’Alexandra David-Néel est pour la liberté des peuples.

Le tonnerre d’applaudissements qui salue les deux comédiennes à l’issue de la représentation vient couronner un grand moment de théâtre. Ce genre de théâtre qui nous rend plus riche ; plus riche de sensations, d’enseignements, de plaisir (on rit très souvent devant les saillies émises par la centenaire). C’est une pièce tous publics qu’il faut voir et qu’il faut recommander.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tout à fait d accord ! jeu magnifique des deux actrices et très belle pièce découverte grace à ma passion pour alexandra david neel !
bettyboop91@gmx.fr