dimanche 14 février 2010

On purge bébé... Léonie est en avance


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Palais-Royal

Deux pièces de Georges Feydeau
Mises en scène par Gildas Bourdet
Avec Cristiana Reali, Dominique Pinon, Pierre Cassignard, Marie-Julie Baup, Corinne Martin, Marc Guillaumin, Sylviane Goudat

Ma note : 7,5/10

On purge bébé
L’histoire : Monsieur Follavoine cherche à décrocher le marché des pots de chambre incassables à destination de l’armée française. Pour tenter de conclure l’affaire, il invite à dîner Chouilloux, fonctionnaire influent du ministère des Armées, son épouse, et l’amant de celle-ci. Mais ce jour-là, le fils Follavoine, constipé, ne veut pas prendre sa purge… et rien de se passe comme prévu.

Léonie est en avance
L’histoire : Léonie est sur le point d’accoucher avec un mois d’avance. Les mauvaises langues se délient, les règlements de compte et les mesquineries entre beaux-parents et gendre vont bon train. L’arrivée d’une sage-femme tyrannique finit de chambouler toute hiérarchie dans la maison, et ce qui devait être un moment de joie va tourner à la catastrophe.

Mon avis : Si tant est qu’un Feydeau soit académique, ce n’est pas au théâtre du Palais-Royal qu’il y est distribué. En effet, dans les deux pièces qui y sont jouées, On purge bébé et Léonie est en avance, par la volonté d’un metteur en scène, Gildas Bourdet, c’est à du Feydeau sur-vitaminé auquel on assiste. Et dans le moindre registre. Le décor d’abord. On ne peut le situer dans aucune époque. C’est une explosion de couleurs à dominante verte et rouge qui ne sert finalement qu’à mettre les personnages en valeur… Les costumes ensuite. Ils sont d’une élégance et d’une audace rarissimes. Ils sont soignés au détail près, les motifs des guêtres de monsieur Follavoine, sont identiques à ceux du déshabillé de son épouse. Sur le plan pur de l’esthétique, c’est franchement réussi. Et enfin, le jeu des acteurs. Quand on dit que c’est sur-vitaminé, on frise quasiment l’euphémisme. L’irruption de Cristiana Reali dans le salon des Follavoine équivaut à une tornade sur un îlot des Caraïbes. En tenue de nuit, papillotes sur la tête, elle affole littéralement son pauvre mari incapable d’endiguer cette énergie dévastatrice. Elle est incroyable. Exubérante, excessive, elle crie, elle pleure, elle vitupère, elle se gausse, elle ricane, elle en fait des caisses, et elle nous scotche à notre fauteuil. Le metteur en scène, c’est évident, a demandé du rythme, du rythme et du rythme. Les deux pièces ne souffrent d’aucun temps mort.
Pour cela, il fallait un casting sans faille, le moindre personnage amenant sa part de perturbation et de folie. Dans On purge bébé, Pierre Cassignard fait tout ce qu’il peut pour essayer de contrôler la situation. C’est que son avenir professionnel est en jeu. S’il parvient à ce que ses pots de chambre équipent l’armée française, c’est lui et les siens qui ne seront plus jamais dans le besoin. Il faut qu’il fasse preuve de patience vis-à-vis de son épouse et de diplomatie envers le sieur Chouilloux, qui peut l’aider à réussir son coup. Mais, manque de pot, le fiston est constipé. Ce qui contrarie fortement madame Follavoine, d’autant que l’entêté gamin refuse de prendre sa purge.
On a compris, le prétexte de cette première pièce ne vole pas très haut. Niveau écriture, ce n’est pas du meilleur Feydeau. Mais finalement, c’est tout-à-fait secondaire car on est tellement happé par la frénésie ambiante qu’on a plus la sensation de se trouver au cœur d’un cartoon que dans un boulevard. Dans ce registre tous les comédiens sont absolument remarquables.

Cassignard c’est l’Auguste. Il assume ses deux rôles de victime avec une élégante résignation. Dans la première pièce, il est incapable de tenir les rênes de ce cheval emballé qu’est son épouse. Dans la seconde, il se fait bouffer par tout le monde, par sa femme, par sa belle-mère, par son beau-père, par l’infirmière… Malgré tout, il réussit le tour de force de préserver une certaine dignité. Même si le trait est forcé, on peut se reconnaître dans quelques attitudes hélas bien masculines… Dominique Pinon agit dans les deux pièces comme un accélérateur de particules. Comme s’il en était encore besoin ! Il apporte un autre grain de folie, tant sur le plan physique que sur celui du jeu, démontrant une fois de plus son aisance dans tous les registres… La dame qui interprète la domestique dans la première pièce et l’épouse de Dominique Pinon dans la deuxième, formant avec lui un couple à la Dubout, est un personnage fellinien. Marie-Julie Baup, une fois de plus, déborde de fantaisie, qu’elle joue une coquette frivole et nunuche, ou une femme enceinte capricieuse et tyrannique… Et puis il y a Corinne Martin, toute jeune comédienne qui réalise l’exploit de se faire passer pour un garçonnet, malgré ses anglaises aussi flamboyantes que les cheveux de sa mère…
Enfin il y a Cristiana Reali… Depuis quelque temps, elle a acquis une autre dimension. Jusqu’il y a quatre-cinq ans elle se cantonnait dans des rôles de facture plutôt classique. Mais dans ses deux dernières prestations théâtrales, le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle s’est lâchée. Epoustouflante dans Good Canary dans un rôle dramatique avec son personnage d’écorchée vive, cette fois-ci elle laisse exploser une nature volcanique qu’elle avait laissé entrevoir dans La Locandiera. Elle va très loin dans le délire. Dans Léonie est en avance, vêtue d’un costume d’infirmière qui la fait plus ressembler à Dark Vador qu’à une sage-femme, elle est affublée d’un horrible dentier, d’épais sourcils, de disgracieuses moustaches, d’un arrière-train fort rebondi et d’un accent improbable mais haut en décibels. De Good Canary à cette version frénétique de Feydeau, elle opère un grand écart magistral et y prend, de toute évidence, un énorme plaisir. Maintenant, toutes les aventures théâtrales lui sont ouvertes et possibles. Elle n’a plus rien à prouver. Elle n’a plus qu’à se faire plaisir et à nous surprendre encore et encore.

Pour finir si, comme je le dis plus haut ces deux pièces de Feydeau ne sont pas des chefs d’œuvre sur le plan de l’histoire, loin de là, il reste qu’on ne peut pas bouder son plaisir devant la cadence infernale imposée par des comédiens qui, tout comme nous, s’amusent comme des petits fous. Dans ces temps de crise ces deux pièces agissent comme une bonne « purge » salutaire pour évacuer la morosité ambiante.

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