jeudi 22 avril 2010

Mathieu Madénian


Le Point-Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville

Spectacle mis en scène par Kader Aoun

Ma note : 7,5/10

Pitch : Venez découvrir le seul homme qui a réussi, en une heure de rire, à fédérer contre lui son ex, ses parents, sa grand-mère, Benoît XVI, la Ligue des Droits de l’Homme, le Kop de Boulogne, le Dalaï Lama, l’association des ex de Carla Bruni, le coiffeur-visagiste de Franck Ribéry, le père de Jean Sarkozy, le labrador de Gilbert Montagné, et la moitié de la communauté gay de Kaboul… Mathieu Madénian nous livre sa vision du monde et en profite pour se (et nous) venger des petites et des grandes humiliations de la vie.

Mon avis : A 25 ans, Mathieu Madénian a quitté son métier d’avocat pour ne plus plaider que sa cause. Quand il a jeté sa robe, ce n’était en tout cas pas aux orties. En effet, il a préféré cueillir ces herbacées urticantes pour les mêler au bouquet de réflexions qu’il nous livre sur scène. Parce que pour être piquant, le garçon est piquant.
Après une ébauche d’entrée en scène « à l’Américaines », il établit immédiatement une sorte de dialogue avec le public. Un public dans lequel il choisit quelques interlocuteurs privilégiés en fonction de leur âge, de leur façon de réagir à certains de ses propos, ou parce qu’ils ont une tête qui lui revient. Il ne les lâchera plus de la soirée, créant ainsi une espèce de running gag qui a l’heur de plaire à leurs voisins qui s’en trouvent ainsi épargnés. Mathieu Madénian ne triche pas. Il se raconte. Avec sincérité, avec honnêteté sans craindre de se moquer de lui-même. Remarquez, il y a de quoi quand on porte sur ses épaules le double fardeau d’être d’origine arménienne et Perpignanais. Alors, pour se venger, il n’hésite pas à s’en prendre aux autres minorités : les trisomiques, les nains, les Beurs, les Blacks, les handicapés, les homos, les personnes âgées, les asiatiques et, surtout, les filles. C’est son petit gène acide à lui…
Avec une évidente gourmandise pour un humour noir et grinçant, dans une sorte de stand-up à la sauce catalane, il se livre à un long témoignage dont il est le personnage central. Ses propos sont régulièrement émaillés de remarques, d’allusions et de saillies tout le temps drôles et souvent féroces (exemple, un conseil de son père : « Ne te bats jamais avec quelqu’un de plus moche que toi car, lui, il n’a rien à perdre »). Il possède un art consommé tout personnel de pratiquer l’effet double lame, ou l’effet kiss kool (pour les filles qui, a priori, ne se rasent pas). C’est-à-dire qu’il émet une objection qui nous dresse le poil (première lame), on pense qu’il en a fini quand il balance la deuxième qui, elle, coupe carrément dans le vif, provoquant sursaut de rire et quelques réactions délicieusement outrées. Et comme, vu la toile émeri qui recouvre ses joues, il n’utilise guère ce genre d’outil, ses fameuses lames sont extrêmement affutées. Avec ce champion du double salto, il faut toujours attendre la chute avant de passer à autre chose.
Et puis il reste une raison pour vous inciter à aller assister à son spectacle : jamais au cours de ma longue carrière, je n’ai vu un individu imiter aussi étonnement… la mouette (la mouette du Marais de surcroît, espèce très rare). C’est confondant de mimétisme et de réalisme. Rien que pour découvrir cette performance d’acteur…
Sans jamais s’épargner au passage, il nous narre par le menu son arrivée à Paris, sa découverte du métro et de ses usagers, il décrypte à sa façon certaines émissions télé, ironise sur Ben Laden, le pape et Ribéry, se moque gentiment de sa grand-mère Jeannette… Le dernier quart de son spectacle étant plus consacré à ses relations avec les filles (pisseuses et pleurnicheuses) et plus précisément avec son ex. Après nous avoir avoué « je suis mauvais en plan cul, je suis ceinture blanche », il nous confie son absolue adoration pour les seins. Un sentiment que presque toute la salle parage quel que soit le côté de la poitrine où l’on se trouve.
Mathieu Madénian est un peu comme un bon copain qui aime bien se mettre à délirer et faire le show devant une poignée d’intimes. Cet intarissable tchatcheur dégage une réelle sympathie. Car il a l’art de proférer les pires insanités en les gommant illico d’un sourire mi-sadique, mi-enfantin. Du coup, il peut tout faire passer. Il y a indéniablement un potentiel énorme chez ce garçon. Je pense qu’on ne va pas tarder à le voir gravir quatre à quatre les marches du succès et séduire les gens de télévision toujours à la recherche d’intervenant réactifs, dotés d’un redoutable sens de la répartie. « L’homme le plus drôle du 11è arrondissement » va bientôt dépasser les frontières de son quartier, franchir le périph et partir à la conquête de l’hexagone, voire déborder sur la Suisse, la Belgique et le Québec. Il n’y a vraiment plus de Pyrénées (Orientales)…

mardi 20 avril 2010

Camping 2


Un film de Fabien Onteniente
Scénario de Fabien Onteniente, Franck Dubosc, Philippe Guillard, Emmanuel Booz
Musique de Jean-Yves d’Angelo et Frédéric Botton
Avec : Franck Dubosc (Patrick Chirac), Richard Anconina (Jean-Pierre Savelli), Mathilde Seigner (Sophie Gatineau), Antoine Duléry (Paul Gatineau), Claude Brasseur (Jacky Pic), Mylène demongeot (Laurette Pic), Christine Citti (madame Chatel), Julie de Bona (Pauline), Enna Balland (Liza), Eric Naggar (le maire)…
Sortie le 21 avril

Ma note : 6,5/10

Synopsis : Arcachon. Mois d’août. Jean-Pïerre Savelli, employé aux Mutuelles d’Assurances de Clermont-Ferrand, apprend que Valérie, sa fiancée, veut faire un break. Pour se ressourcer et retrouver calme et sérénité, il décide de changer de destination de vacances… Il atterrit au Camping des Flots Bleus où il tombe sur Patrick Chirac et sa bande de campeurs irréductibles.

Mon avis : Et bien ce film m’a laissé une impression mitigée.
Voyons d’abord ce qui m’a le moins plu. J’ai trouvé le scénario assez décousu. On dirait une sorte de patchwork composé de pièces de couleurs et de tons différents que l’on a essayé tant bien que mal d’assembler. Cela donne un résultat plutôt disparate avec des scènes vraiment réussies et d’autres que l’on trouve incongrues, voire inutile (dans ce rayon je place par exemple les navettes entre la baraque à frites et le camping - idée mal exploitée -, ou l’ascension de la dune du Pyla – image au demeurant fort jolie - et le sitting à son sommet. Ça part sur une bonne intention et ça s’écroule comme un soufflé). Il y a aussi ça et là quelques saynètes qui tombent un peu à plat parce que psychologiquement peu plausibles (l’épisode archéologique entre autres ; qui aurait dû être mieux géré)… Donc du fait de cette succession quelque peu anarchique de scènes, le film souffre d’une certaine arythmie entre de grands moments de drôlerie ou d’émotion et des ajouts qui alourdissent l’action sans y apporter pas grand-chose.

Passons maintenant aux points positifs de ce deuxième volet des aventures de Patrick Chirac à la plage et de ses compagnons de camping.
Déjà, il se dégage de cet épisode beaucoup plus de tendresse et d’humanité que dans le premier qui était tout de même plus farce. Certains des protagonistes, Patrick en tête, laissent entrevoir des failles et leur fragilité. La plupart d’entre eux quitteront les Flots Bleus passablement transformés. C’est cet aspect humain prédominant qui rend le film plus attachant. Le personnage incarné par Richard Anconina (Jean-Pierre Savelli, le même patronyme que l’ineffable Peter de « Peter et Sloane ») y est pour beaucoup. Avec son mal-être, son agoraphobie et son hypocondrie, il est aux antipodes – et c’était voulu – du play-boy infatué qu’incarnait Gérard Lanvin. Autant de fragilité provoque de la compassion chez ses nouveaux « amis » qui ont plus envie de le protéger et de l’aider que de le traiter de haut…
On a dit que le personnage de Patrick Chirac laissait apparaître cette fois des aspects plus nuancés de sa personnalité, et bien il en est de même pour le couple Gatineau, formé par les excellents Mathilde Seigner et Antoine Duléry. Les scénaristes se sont apparemment bien appliqués pour faire évoluer sous nos yeux leur évolution. Mathilde, une fois de plus, est parfaite en épouse à la croisée des chemins, qui hésite à emprunter celui de l’adultère ou à rester sur celui de la légitimité. On comprend d’autant mieux ses états d’âme que le père Gatineau est insupportable de suffisance avec son côté m’as-tu-vu de parvenu. Elle apporte à Sophie une réelle sensibilité autant dans ses emportements (justifiés) que dans ses doutes (tout aus justifiés)… Quant à l’Antoine, son rôle a pris de l’épaisseur puisqu’il doit à un moment troquer sa panoplie de beauf content de lui pour celle du mari qui veut tout faire pour reconquérir sa belle. Seigner-Duléry, c’est de la valeur ajoutée, c’est du solide.
Et puis il y a le couple Pic. Claude Brasseur grimpe encore d’un palier dans la caricature et, si on le trouve parfois insupportable tant il en fait trop, il faut toujours garder à l’esprit que ce genre de bonhomme existe. C’est le genre de type qui n’a que ce mois de vacances pour se donner de l’importance, pour jouir d’un peu de considération de la part de ses congénères. N’est pas le plus ancien du camping qui veut. Ça lui boursoufle sacrément l’ego… Heureusement, Mylène Demongeot a une présence douce et apaisante. Les deux Pic auraient été pareils, c’eût été franchement indigeste. Elle aussi fait preuve de tolérance et d’humanité.
Deux autres comédiens m’ont également bien plu, Eric Naggar, qui joue le maire du Moulot, et j’ai été vraiment attendri par la jolie composition d’Enna Balland, la fillette de Richard Anconina. Elle est absolument craquante.

Pour terminer, dans l’éventualité d’un troisième volet, il faudra que les scénaristes – ils s’y sont tout de même mis à quatre – fassent preuve d’un peu plus de rigueur et d’imagination pour donner de l’épaisseur aux aventures de nos campeurs arcachonnais.

lundi 19 avril 2010

Ciao Amore


Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une comédie de Jérôme L’Hostky
Mise en scène de Philippe Sohier
Décor de JiPéCé
Avec Serena Reinaldi (Pascale), Christophe Alévêque (José)

Ma note : 8/10

L’argument : Non, elle n’a personne. Elle ne l’aime plus, tout simplement. Mais elle ne sait pas pourquoi. Le temps d’une soirée, ils vont voir défiler leur vie de couple. Dans un jeu ridicule, souvent absurde, parfois violent, ils vont s’étudier, s’insulter, se toucher, partir, revenir, essayer de se comprendre pour mieux se perdre aussitôt…
Comment s’aimer come au premier jour dans ce monde qui court plus vite que nos sentiments ? Pourquoi on s’aime, pourquoi on ne s’aime plus ? Mais surtout, comment faire pour s’aimer dans une société où l’individualisme règne en roi et l’épanouissement personnel est devenu le Graal ?

Mon avis : Décor : une chambre à coucher avec un grand lit en son milieu, une fenêtre qui donne sur la rue… Lui, José, arrive en fredonnant du Nino Rota. Immédiatement, il ne donne pas de lui une image des plus ragoûtantes. Un peu rustaud, il réclame son pastis, parle la bouche pleine, mange du pain sur le lit (bonjour les miettes !), et il parle, il parle… Il parle essentiellement de son boulot. Elle, Pascale, on ne la voit pas. Elle ne daigne lui répondre que sporadiquement. On sent une certaine incommunicabilité entre ces deux êtres.
Voilà, le décor est planté.
Et ça va être au tour de José de l’être, planté. Car une phrase hésitante sort mezzo voce de la bouche de Pascale, LA phrase qui tue : « Je crois que je ne t’aime plus »… Blanc ! José est K.O. debout. C’est le ciel (de lit) qui lui tombe sur la tête. Le temps que l’information arrive à son cerveau. Et quand elle y parvient, c’est comme si elle avait éternué dans un couloir d’avalanche. Les questions fusent, il la bombarde littéralement. Mais sous l’agressivité on sent percer un profond désarroi… Quant à elle, elle aimerait bien fournir des explications, mais elles elle ne les pas encore parfaitement intégrées. Elle sent confusément qu’elle n’éprouve plus de sentiment amoureux pour lui, mais encore faut-il pouvoir argumenter.
En fait cette situation les rend malheureux l’un et l’autre. Et c’est tout le charme de cette comédie alerte, grinçante, drôle et émouvante.

Les extraits de Ciao Amore que j’avais vus m’avaient amené à penser que j’allais assister à un bon spectacle. Erreur. J’ai assisté à un TRES bon spectacle. D’abord, psychologiquement, le duo tient remarquablement la route. Ce qui n’est pas si évident quand on doit camper en quelque sorte les archétypes masculin et féminin. Grâce à leur complémentarité, à leur complicité, l’alchimie fonctionne à merveille. Ce sont deux duellistes qui s’affrontent avec des fleurets pas toujours mouchetés. Il y a des assauts qui font mal. D’autant qu’ils ne portent pas de masque protecteur.

Christophe Alévêque est comme un poisson dans l’eau avec ce rôle que l’on pourrait croire écrit par lui tant il colle à l’image de l’humoriste que l’on connaît. A part que dans ce jeu de renvois qu’impose la présence d’une partenaire, il est bien obligé de laisser apparaître autre chose que son personnage de one-man show. Je pense à sa réelle tendresse. Si, comme d’habitude, il excelle dans sa prestation de macho bourru, faux-cul, égocentrique et fielleux, là où il se révèle, c’est quand il joue au clown triste. Il est particulièrement émouvant dans ce registre dans lequel il faut bien avouer sa sensibilité. Et on voit bien que ce n’est pas un rôle de composition. Christophe nous déploie tout l’éventail de la comedia dell arte. Il possède surtout toute une panoplie d’expressions et de mimiques qui traduisent très bien le fond de sa pensée. Il est en fait une sorte de concentré du comportement masculin avec ses principaux travers et son inavouable fragilité. Il se complaît dans de petites vengeances hypocrites, les ; en signe d’impuissance, il se défoule sur les objets ou il devient grossier ; il a peur des mots et, paradoxalement, il se montre beaucoup plus pudique qu’elle. Enfin, il possède quand même une qualité que l’on ne peut absolument pas lui dénier : il est fan d’Eddy Mitchell…

Et Elle, justement. D’abord, elle est une très, très nice people ; très agréable à, regarder. Serena Reinaldi c’est le prototype parfait de l’éternel féminin. Elle joue de la prunelle à ravir, quand elle sourit, elle illumine la scène. Son rire éclate comme une cascade rafraîchissante. Elle est confondante de naturel. En un mot, elle est vivante. Bien sûr, comme toutes les femmes, elle est bien plus finaude que son compagnon et, surtout, elle est beaucoup plus franche. Elle, les mots ne lui font pas peur. Même quand ils sont crus, ce qui a pour effet de désorienter encore plus le José. Elle joue juste, simple, avec juste ce qu’il faut d’italiennerie dans la fantaisie.

Cette pièce ne peut pas nous laisser insensible car ce couple qui s’affronte, qui essaie de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là, c’est nous qui sommes mis en face de nos propres questionnements, de nos propres manques. La grande leçon que l’on peut tirer de Ciao Amore, c’est qu’il faut toujours privilégier le dialogue. Il FAUT se parler, se dire les choses. Mais il est vrai que c’est généralement plus difficile pour les garçons.
Enfin, au-delà de la comédie pure, l’auteur glisse subrepticement quelques thèmes de société qui donnent à la pièce une dimension un peu plus universelle.
C’est du bon théâtre, distrayant autant qu’intelligent. On s’amuse avec les acteurs autant qu’on s’amuse de nous avec l’effet miroir. Bref, on passe une très bonne soirée. (sauf en matinée, bien sûr).

jeudi 15 avril 2010

Attila, reine des Belges (ou l'odyssée d'une mère)


Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin / Notre-Dame des Champs

Ecrit et interprété par Marie-Elisabeth Cornet
Coécrit et mis en scène par Samuel Légitimus et Laurent Dubost

Ma note : 7/10

L’argument : Dans une maternité de Bruxelles, Jacqueline, enceinte de… deux ans et demi, refuse d’accoucher. La médecine est impuissante, le mari désespéré. Pour libérer l’enfant, Carole, chamane new-age, va plonger dans la mémoire de la mère et nous faire vivre un voyage fantastique entre ciel et terre.

Mon avis : Avant de tenter toute analyse et digression critiques, on ne peut quitter le Lucernaire que complètement abasourdi par la performance scénique et physique que vient d’accomplir Marie-Elisabeth Cornet. Quelle présence, quel bagage !
Maintenant, essayer de rendre compte fidèlement de cette pièce c’est tout simplement pas possible tant c’est riche, foisonnant, et déstabilisant. C’est un peu comme pénétrer dans un labyrinthe sans le précieux fil d’Ariane. En même temps, ce parcours à l’aveugle est totalement jouissif puisqu’on va de surpris en surprise, d’audace en audace. C’est qu’elle ne joue pas petit bras la Marie-Elisabeth. Elle interprète carrément une soixantaine de personnages. Certains très fugitifs, et d’autres bien plus consistants comme ce démiurge assisté de son égérie Félicité, ce GI texan, ce douanier belge, comme Nicole, cette bigote affligée d’un hoquet chronique…
Pour cela, et pour que l’on comprenne bien à qui l’on a affaire, elle utilise tout un éventail de subterfuges : accents (belge, hongrois, américain… elle zozote), imitations (de Gaulle…), bruitages, propos et onomatopées cabalistiques, elle adopte des gestuelles caractéristiques, prend des poses pas naturelles du tout, elle fait même l’autruche et le tyrannosaure ! Elle a pour seul accessoire une cape qui, selon l’usage qu’elle en fait, devient manteau, jupe, châle, lange… Bien aidée par une bande-son efficace et des jeux de lumières subtils, elle nous prend par la main et nous entraîne dans un voyage spatiotemporel qui par du Big Band (eh oui) pour aller jusqu’au baby boom.

Dit comme ça, ça peut sembler très abstrait mais en fait tout est cohérent. Il y a une vraie logique dans son délire. Le personnage clé de cette saga fantastique est Carole, la chamane à l’accent belge. Appelée à la rescousse par un directeur de clinique impuissant à faire accoucher une patiente enceinte de deux ans et demi, elle va utiliser sa science et ses pouvoirs pour remonter à la source du problème. Alors que le nouveau (?)-né, déjà équipé de son cartable, est prêt à franchir le col pour entrer à l’école, Jacqueline – c’est la parturiente – s’obstine à le retenir en son sein, au grand désespoir de son mari. Pour connaître la raison de ce refus, Carole va s’introduire dans sa mémoire pour entraîner Jacqueline dans une manœuvre de régression. Là, la définition du Petit Larousse s’impose pour nous en expliquer le mécanisme : « retour du sujet à un état antérieur de sa vie libidinale par suite de frustrations ». Accrochez vos ceintures, l’Orient-Express s’engage sur des montagnes russes !

En une succession de tableaux animés par une multitude de personnages, Marie-Elisabeth Cornet, nous fait revivre le parcours vers l’exil d’une famille hongroise persécutée par les Bolchéviks… C’est du grand art. La comédienne possède une science consommée du mime. Très souple, très mobile, toujours en mouvement, elle est fascinante. Elle n’hésite pas à interrompre le fil de son histoire abracadabrantesque pour s’amuser avec le public. Avec ses yeux clairs et son sourire chaleureux ou espiègle, elle nous enveloppe littéralement dans son châle qu’elle agite devant nous comme une muleta.
Et Attila là-dedans, direz-vous ? Et bien, Attila, c’est une truie transformée en bijouterie sur pattes pour des raisons de survie. Esprits cartésiens s’abstenir…
Et pourtant… Et pourtant, au fur et à mesure que se déroule l’écheveau quasi inextricable de l’histoire, on commence à entrevoir quelques vérités. Certains thèmes abordés ne nous semblent soudain pas anodins : l’immigration, la foi, l’adoption… ça donne à réfléchir. Si bien que l’on commence à se douter que cette épopée au traitement volontairement absurde est nourrie par un fonds autobiographique. Et on se prend à regarder la jeune femme autrement. Derrière ce grand sourire et cette fantaisie se cachent sans doute quelques fêlures, quelques souffrances très personnelles. Diable, l’histoire d’Attila ne serait-elle que la transposition théâtrale d’une thérapie ? Il suffit d’attendre la fin pour que la comédienne enfonce le clou et ouvre enfin les vannes de sa profonde humanité.
Ancienne pensionnaire du fameux Cirque du Soleil, Marie-Elisabeth Cornet, est une artiste totale. Et il faut déployer un sacré talent pour réussir à nous entraîner dans un tel délire. Attention, il faut avoir le cerveau entièrement disponible pour profiter pleinement de cette extravagante odyssée, riche et dense. Devant une telle performance, on ne peut que reconnaître que pour réussir à attiser notre intérêt en jouant ainsi Attila, cette comédienne, c’est vraiment quelqu’Hun.

lundi 12 avril 2010

Les héros du cinéma 2009 / Trophées du Public


La deuxième édition des « Héros du cinéma / Trophées du Public » s’est déroulée le 5 avril dernier dans le cadre chaleureux et coquet du cabaret La Nouvelle Eve.
Cette fois, l’organisateur, Patrick Jorge, avait reçu le soutien du site Allociné, ce qui apporte à cette manifestation une totale légitimité et une plus grande lisibilité.
Je rappelle que le palmarès de cette cérémonie, qui intervient quelques semaines après les Césars, est entièrement déterminé d’après les votes du Public. Cette spécificité, les comédiens et les réalisateurs y sont particulièrement sensibles puisqu’ils doivent leurs distinctions uniquement à ceux qui ont fait le succès de leur film : les spectateurs. C’est la raison pour laquelle, à l’instar de la toute première édition et en dépit de la date - le lundi de Pâques – ils étaient venus en grand nombre.
Ainsi, dans cette jolie salle de la Nouvelle Eve, autour des tables ce cabaret, pouvait-on voir, visiblement heureux d’être là : Juliette Arnaud, Patrick Bouchitey, Zabou Breitman, Grace de Capitani, Vincent Cassel, Alain Corneau, Vladimir Cosma, Michel Crémadès, Jean-François Dérec, Jean Dujardin, Antoine Duléry, Michel Hazanavicius, Lucien Jean-Baptiste, Jean-Pierre Jeunet, Gérard Jugnot et sa compagne Saïda Jawad, Rémy Julienne, Alexandra Lamy, Michel La Rosa, Pascal Légitimus, Claude Lelouch, Paul Lilienfeld, Philippe Lioret, Valérie Mairesse, Bernard Menez, Radu Mihaileanu, Edouard Molinaro, Claude Pinoteau, Jean-Marie Poiré, Pascale Pouzadoux, Firmine Richard, Pierre Richard, Daniel Rialet, Elisa Servier, Omar Sy, Fred Testot, Tex, Eric Toledano, Nadine Trintignant, Marthe Villalonga… Excusez du peu ! Et pour une cérémonie somme toute encore très confidentielle.

Mais ce qui en fait le charme, c’est son atmosphère et son ton. Le climat n’est ni guindé, ni compassé. Tout se passe à la bonne franquette dans une ambiance bon enfant et encline à la déconnade. Pour tout dire, c’est un joyeux foutoir où personne, quel que soit son statut, ne se prend au sérieux. L’animateur de la soirée, Patrick Jorge, est pour beaucoup dans le caractère simple, convivial et enjoué de cette remise de prix. C’est un passionné, un amoureux du cinéma et des gens, acteurs et réalisateurs. Inutile de lui demander de longs discours avec des phrases ronflantes et mielleuses. Il est tout simplement naturel. Dans la salle, ça s’interpelle, ça rit de bon cœur, ça ne pose pas, ça ne se la pète pas.
Certains lauréats, et non des moindres, reconnaissaient qu’en dépit de leur œuvre, ils n’avaient jamais été récompensés auparavant. Edouard Molinaro, par exemple. Il fallait également voir la joie d’une Juliette Arnaud et, surtout, le réel bonheur d’Omar Sy qui, brandissant fièrement son trophée, clamait qu’il voulait le partager avec son « frère » Fred Testot. Et, évidemment, lorsque l’on retrouve réunis sur une même scène deux énergumènes comme Jean Dujardin et Antoine Duléry, deux as de l’improvisation ne reculant devant aucune bêtise, le délire est assuré.

Vous l’aurez compris, Les Héros du Cinéma sont aux antipodes des Césars. Ils méritent tout autant d’avoir désormais droit de cité car, quelque part, ils sont encore plus légitimes puisque reflets de la reconnaissance du public. Mais, surtout, il ne faut pas que l’ambiance change car cette cérémonie peu cérémonieuse est un grand moment de partage, de rigolade et d’amour. Et ça, ça n’a pas de prix… Hormis ceux du Public…


PALMARES DES 2è TROPHEES DU PUBLIC
HEROS DE CINEMA 2009

Réalisateurs primés
(Avec plus de 3.300.000 de fans sur Allociné)

Décennie 60/70 : Georges Lautner (Les Tontons flingueurs), Edouard Molinaro
(Oscar, Hibernatus)
Décennie 70/80 : Claude Lelouch (L’Aventure, c’est l’aventure, Itinéraire d’un enfant gâté), Alain Corneau (Série noire)
Décennie 80/90 : Jean-Marie Poiré (Le Père Noël est une ordure, Papy fait de la résistance), Claude Pinoteau (La Boum)
Décennie 90/2000 : Michel Hazanavicius (La Classe américaine), Les Inconnus (Les 3 frères), Jean-Paul Lilienfeld (Quatre garçons pleins d’avenir)
Décennie 2000/2009 : Zabou Breitman (Se souvenir des belles choses), Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain), Philippe Lioret (Je vais bien, ne t’en fais pas), Radu Mihaileanu (Va, vis, et deviens), Yann Moix (Podium), Eric Toledano et Olivier Nakache (Nos jours heureux)

Acteurs préférés du Public

Révélation Féminine : Juliette Arnaud
Révélation Masculine : Firat Ayverdi et Lucien Jean-Baptiste
Meilleure Actrice dans un second rôle : Alexandra Lamy
Meilleur Acteur dans un second rôle : Omar Sy
Meilleur Acteur Populaire : Pierre Richard
Meilleure Actrice Populaire : Marthe Villalonga
Meilleur Acteur Actuel : Gérard Jugnot
Meilleure Actrice Actuelle : Josiane Balasko
Meilleur Actrice 2009 : Isabelle Adjani
Meilleur Acteur 2009 : Jean Dujardin

Trophées d’Honneur :
Vladimir Cosma (Compositeur)
Rémy Julienne (Cascadeur)

Les « Héros du Cinéma 2009 »

Film Révélation : La Première étoile (de Lucien Jean-Baptiste)
Meilleurs Films Box Office et satisfaction du Public :
Tellement proches (d'Eric Todelano et Olivier Nakache)
OSS 117 (de Michel Hazanavicius)
Incognito (d'Eric Lavaine)
De l'autre côté du lit (de Pascale Pouzadoux)
Meilleur Film (pour la Note de satisfaction) :
La Journée de la jupe (de Jean-Paul Lilienfeld)

Meilleur Film (Box office et satisfaction du Public) :
Le Prophète (de Jacques Audiard)
Welcome (de Philippe Lioret)

Meilleur Film 2009 (Classement général)
Le Concert (de Radu Mihaileanu)

jeudi 8 avril 2010

Les nouvelles brèves de comptoir


Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 21
Métro : Champs-Elysées Clémenceau / Franklin-Roosevelt

D’après les ouvrages de Jean-Marie Gourio
Adaptation de Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio
Mise en scène de Jean-Michel Ribes
Avec Alban Casterman, Laurent Gamelon, Annie Grégorio, Patrick Lagardes, Chantal Neuwirth, Marcel Philippot, Alexie Ribes, Hélène Viaux
Décor de Jean-Marc Stehlé
Costumes de Juliette Chanaud
Musique de Reinhardt Wagner

Ma note : 8,5/10

L’argument : Jean-Michel Ribes : « Le bistrot est un espace de liberté, un caisson de résonances où des individus dont la parole et le discours sont peu ou prou neutralisés dans leur travail, dans la rue, dans leur foyer, se mettent soudain à parler. Ce lieu produit et distribue de l’alcool, mais aussi du langage, celui que l’on écoute ou pas, de tous ceux qui se sentent exclus. Le café est un endroit de banalité où l’on trouve des pépites. Jean-Marie Gourio, dans ces débits de boisson, se met sur une fréquence d’écoute particulière : il guette le génie populaire, il devient le découvreur d’un langage qui naît là, comme d’autres trouvent de l’or dans la boue. Le trésor ici c’est une parole qui redit le monde venant de gens qui n’ont pas la parole ».

Mon avis : Venir dans un bistrot pour y boire du petit lait c’est déjà en soi fort de café. C’est pourtant ce qui m’est arrivé au théâtre du Rond-Point…
Décor immuable : un bistrot niché entre les bâtiments gris d’un quartier populaire. Dans ce bistrot à la fois unique et multiple car à chaque nouveau tableau le bar change de patron(s) et d’emplacement. Et la clientèle aussi évolue selon l’endroit, l’heure ou la saison : retraité, postière, étudiante, médecin, croque-mort, poissonnier, écrivain, égoutiers, SDF, groupe folklorique, alsacien de surcroît (et là il faut souligner la variété et la qualité des costumes) … C’est la vie qui défile ; vous, nous, eux. Et tous ces gens parlent. Ils sont dans un endroit où ils se sentent en confiance. Ils n’y ressentent pas la pression qu’ils peuvent connaître dans leur boulot ou, parfois, dans leur foyer. Leur parole est libérée, ils ont un auditoire. Il y en a pour tous les goûts, on y aborde tous les sujets, on y commente l’actualité, on y philosophe, on y râle, on apostrophe… Et de ces cerveaux le plus souvent embrumés par l’alcool jaillissent de splendides fulgurances, des réflexions plus profondes qu’il n’y paraît, certaines empreintes de poésie, d’autre carrément scatologiques. C’est la tragi-comédie humaine.

Enoncer pendant près de deux heures un florilège de brèves de comptoir n’est pas un exercice des plus aisés. Par essence, une brève, c’est concis. On n’a à peine le temps d’en apprécier une que, déjà, une autre jaillit. Les comédiens sont en permanence sur le fil du rasoir. Ils font dans la dentelle, c’est de la haute précision, de la jonglerie verbale. Certaines sentences sont d’une logique irréfutable, d’autres nous font plonger dans un abîme d’absurdité. C’est insensé tout ce qui peut sortir d’un cerveau humain. Devant un tel foisonnement, une telle richesse, une telle variété, le public n’a que peut le temps de rire s’il veut profiter de la saillie suivante. Alors, dans la salle, on entend des murmures de satisfaction, des approbations rapides, des ronronnements brefs. Bref, on savoure. On est maintenu dans une espèce d’état de jubilation permanente. Parfois, l’observation émise par tel ou telle est tellement drôle et inattendue que les applaudissements fusent. C’est vraiment une ambiance particulière, rare dans un théâtre. Une espèce de communion d’esprit, une messe dont on ne se soucierait que de la qualité du vin qui repose dans les burettes.

Pour égrener les perles de cette philosophie de comptoir, il faut des comédiens particulièrement agiles d’esprit pour composer leur personnage en quelques secondes, émettre LA réflexion, pour aussitôt passer à autre chose. C’est une partie de ping-pong à huit sur une table de bistrot. Plus ils récitent leurs verres, plus on boit leurs paroles. Grand moment de dégustation. Quelques scènes sont particulièrement grandioses. Laurent Gamelon en croque-mort aviné pris en flagrant délit de cuite ; ou bien cette magistrale scène de choré-soûlo-graphie d’une poésie surréaliste interprétée par Chantal Neuwirth et Marcel Philippot…
Ces Nouvelles brèves de comptoir nous font passer un délectable moment de comédie pure dans laquelle le personnage principal est le verbe, le verbe populaire, celui de la vie. Celui de l’eau de vie aussi.

vendredi 2 avril 2010

En attendant la gloire


Théâtre Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Une pièce de Jérémy Lorca
Mise en scène par Anne Séquillon
Avec Mélanie Page (Audrey), Valérie Bègue (Julie), Jérémy Lorca (David), Nadine Capri (Janine)

Ma note : 6,5/10

L’histoire : Suite à une dispute avec son mari, Janine vient s’installer provisoirement chez sa fille Audrey et David, son gendre. Elle y fait la connaissance de leur amie Julie, une fille à papa sans le sou. Cette vendeuse en charcuterie autoritaire et envahissante va être plongée dans l’univers décalé de trois jeunes comédiens en galère. A leur contact, elle va révéler sa vraie personnalité, ce qui va perturber les rapports des uns et des autres…

Mon avis : La première scène préfigure en quelque sorte une des lignes directrices de cette comédie, à savoir les relations parents-enfants. En l’occurrence, David, 24 ans, est en conversation téléphonique avec sa mère et il lui raconte des salades éhontées pour attirer sa commisération. Sur un ton pleurnichard, il joue au garçon fragile et sensible, alors que tout chez lui n’est que calcul. Cette attitude nous offre illico la deuxième ligne directrice de la pièce : on a affaire à un comédien. Du moins, à un apprenti comédien. C’est ce que sont également Audrey, la jeune femme avec laquelle il partage l’appartement dans lequel va se dérouler l’action, et Julie, leur amie.
Tous trois vivent la même expérience et partagent les mêmes espoirs de réussite professionnelle. Ils connaissent les galères des castings, les petits boulots peu reluisants mais alimentaires, et les petites bouées de sauvetage que constituent les pubs. Ils sont également tous trois à la recherche d’une liaison sentimentale stable. Mais ils vivent tout cela différemment en fonction de leurs caractères respectifs. Audrey est une jeune femme plutôt sage, un brin candide, rêveuse, romantique et profondément généreuse ; elle est, en tout cas, la plus équilibrée du trio… David, lui, est légèrement encombré aux entournures par une homosexualité qu’il peine à affirmer. Il est terriblement hypocondriaque, gentiment narcissique, voire un peu chochotte, mais tout de même sympathique… Et Julie, fille à papa qui a grandi dans le confort matériel, se révèle capricieuse, futile, fantasque, frivole, assez portée sur la bouteille (l’alcool lui servant en fait de béquille) ; mais elle est également d’une nature joyeuse et insouciante.
La vie de nos trois amis s’écoule donc ponctuée par les coups de fil de leurs agents artistiques respectifs, les propositions d’emploi et les panouilles. Et pendant que ça rêve de décrocher le rôle de sa vie, ça babille, ça minaude, ça geint, ça s’amuse ; ça vivote quoi. Mais ce train-train va soudain être bouleversé par l’arrivée d’une tornade, Janine, la mère d’Audrey, qui vient demander asile à sa fille suite à un grave différend avec son mari.
La pièce, jusque là assez plan-plan, bascule. Vendeuse de charcuterie dans une grande surface, Janine est un être envahissant, autoritaire, égocentrique et excentrique. Et en plus, elle ronfle ! La gentille vie feutrée d’Audrey et David en est durement secouée.

On l’aura compris, la pièce prend sa véritable vitesse de croisière à l’irruption tempétueuse de Janine. Elle donne un sacré coup de pied dans la fourmilière. Et, puisque les profils psychologiques de chacun ont été largement dessinés dans la première partie, chacun réagit en fonction de sa personnalité. Et c’est très cohérent. Julie s’acoquine avec Janine. David se replie sur lui-même et se réfugie dans le yoga. Quant à Audrey, qui est la plus concernée puisqu’il s’agit de sa mère, elle vit de plus en plus mal son comportement. Entre les deux femmes la tension va monter jusqu’au règlement de compte, un affrontement violent qui constitue une des scènes les plus fortes de la pièce, une scène-clé qui nous fait soudain nous rapetisser dans notre fauteuil.
Car En attendant la gloire n’est pas qu’une simple comédie. Comme je l’ai dit en préambule, les rapports mère-fille ou fils pour Audrey et David, et père-fille pour Julie, occupent une place prépondérante dans l’histoire. Plus importante même que les désirs de réussite de nos trois comédiens putatifs. Paradoxalement, on se sent peu concerné par leurs problèmes professionnels ; peut-être parce qu’ils sont loin de nous et de notre quotidien. C’est vrai que, derrière les rires que soulèvent des dialogues parfois acides et de bonnes saillies, ils nous apparaissent quelque peu pathétiques. Tous. En quête permanente d’un bonheur sociologique et affectif, ils sont en souffrance…

Les plus. Les quatre comédiens sont vraiment bons chacun dans son registre.
Mélanie Page (Audrey) est touchante de gentillesse et de naïveté. Elle est « aimable » dans le sens étymologique du terme. On la prend en affection, on a vraiment envie qu’elle s’en sorte. Au moins sentimentalement, car il n’est pas sûr qu’elle soit taillée pour la dureté du milieu qu’elle aspire d’intégrer. Sur le plan de la comédie pure, elle joue tout en nuances et elle démontre toute l’étendue de son talent dans la fameuse scène du règlement de compte. Et puis, ce qui ne gâche rien, elle est très, très agréable à regarder…
Jérémy Lorca (David) est un peu l’élément catalyseur du quatuor. Auteur de la pièce, il s’est donné un rôle plutôt linéaire, assez en retrait. Par ses postures, ses regards, ses expressions, il utilise beaucoup le registre de l’intériorisation. Ce qui équilibre le climat de la pièce quand on affronte ces deux mini-tornades que sont Janine et Julie.
Valérie Bègue, néophyte en la matière, m’a bluffé par son aisance. Pourtant, elle n’a pas un rôle des plus faciles car il lui faut jouer quelques scènes particulièrement impudiques comme un gros chagrin, une grosse cuite, une grosse euphorie. Et bien elle s’en sort remarquablement. Le ton et les regards sont justes, elle semble effectivement taillée pour la comédie. Et au moment des saluts, on la voit tellement rayonnante que son bonheur nous fait plaisir. Elle porte aussi tout au long de la pièce de fort jolies tenues.
Nadine Capri (Janine) est un rouage essentiel de la mécanique. Elle apporte la note de folie, de démesure. Si, au début, elle force un peu le trait – après tout son rôle justifie qu’elle se montre insupportable pour tout le monde, spectateurs y compris -, tout doucement elle prend son rythme. Peu à peu son armure se fendille et l’extravagance s’efface devant l’émotion. Reste donc au final une prestation plutôt réussie.
Tous les quatre sont véritablement attachants.

Les moins. D’abord et surtout la bande-son. C’est la première fois que je suis confronté dans un théâtre à une débauche aussi insupportable et horripilante de décibels. A un moment on a même droit à une musique qui s’apparente plus au film d’horreur qu’à la comédie. Je suis sûr qu’en baissant le volume, certains intermèdes musicaux nous seraient même agréables… Autre chose, si vous n’êtes pas un mordu de séries télé, vous allez être largué par de fréquentes allusions aux sitcoms américaines. Quant à la parodie de Fort Boyard, je l’ai trouvée trop puérile, trop cartoonesque pour y adhérer.

En conclusion, même si elle manque parfois un peu de fond, En attendant la gloire est une pièce plutôt sympathique, bien servie par des comédiens convaincants.

jeudi 1 avril 2010

François Morel "Le soir, des lions..."


Textes de François Morel
Musiques de Reinhardt Wagner et Antoine Sahler
Disques Polydor/Universal

Ma note : 8/10

Voici un album qui m’a rempli de bonheur. Grand amateur de chansons à texte, fervent adorateur de Brassens, amoureux des Brel, Ferrat, Ferré, Aznavour, Nougaro, Perret, Lavilliers, Balavoine, Souchon, Renaud et de quelques autres, je suis heureux de saluer l’arrivée dans cette noble famille d’un nouveau membre : François Morel. Un soir, des lions… est un album qui fait du bien à l’âme, au cœur et aux trompes d’Eustache. Une écriture ciselée, des mélodies efficaces et des arrangements riches et variés, chez François Morel, pour paraphraser ce bon vieux Georges, « il n’y a rien à jeter ».
Tour à tour tendre et truculent, nostalgique et engagé, romantique et coquin, faussement candide et violemment dénonciateur, il y a vraiment du chien chez cet ex-Deschiens aux multiples talents.
Personnellement, sur la plus haute marche du podium, la chanson pour laquelle je ressens la plus grande adhésion, c’est Le bon Dieu entre nous. Sur la deuxième marche, je hisse Cas sociaux, et sur la troisième, Faut pas exagérer… A vous de vous faire une idée. Voici, titre par titre, ce que j’en ai ressenti :

1/ Faut pas exagérer
Chanson remarquablement écrite dans laquelle l’artiste s’amuse à nuancer son sens indéniable de l’autodérision en le pimentant d’une pincée de contentement de soi et d’autosatisfaction. Sacré exercice de style. Où est la vérité ? On s’en doute, elle est à l’opposé de la suffisance… Chanson amusante qui décrit l’évolution des sentiments. Au départ, dans l’enthousiasme flamboyant des amours débutantes on frise l’idéal dans le regard de l’autre. On est dans l’émerveillement benêt, aveugle et puéril quand, soudain, un grain de sable s’immisce dans cette belle mécanique jusque là parfaitement huilée : la jalousie. Et là l’idole aux sentiments d’argile tombe de son piédestal. C’est un véritable petit bijou sur la loi de la relativité avec utilisation fort réjouissante du name dropping (Clooney, Guitry, Wagner, Doisneau, Emile Louis ( !)…)

2/ Cas sociaux
Histoire tragicomique inspirée des chansons réalistes d’antan sur une musique guillerette et swingante. A côté de celle du héros, l’enfance de Cosette est idyllique. Jusqu’à la pirouette perfide du dernier couplet dans lequel François Morel se fait satirique et mordant en se mettant dans la peau d’un parvenu sans scrupules avec clin d’œil appuyé du côté des nantis et d’une philosophie de vie égocentrique et m’as-tu-vu qui nous prépare des lendemains qui déchantent.

3/ le bon Dieu entre nous
Après une courte introduction ambiancée liturgique d’où effleure discrètement la ritournelle de « ce n’est qu’un au revoir », le gars François traduit sur un ton léger avec voix retenue l’absence irremplaçable de ceux à qui l’on tenait et qui nous ont quittés. Le fond est lucide et grave, empreint de fatalisme. C’est tout simplement le constat d’un gros manque, l’évocation des souvenirs de moments d’échange et de partage somme toute banals mais qui jalonnent notre existence de petits plaisirs essentiels. Et ces moments-là, quand on ne les vit plus, s’exacerbent et nous font cruellement défaut… Et selon que l’on est croyant ou pas, on se poise des questions sur l’existence de Dieu… C’est sans doute la chanson la plus brassensophile de l’album.

4/ La fille du GPS
François Morel développe là un fantasme de plus en plus répandu. C’est vrai que l’on a tendance à essayer de matérialiser physiquement la dame à qui appartient la voix suave qui s’adresse à nous via le GPS. Et bien sûr, on en vient à l’idéaliser cette femme qui nous tient si gentiment compagnie… D’une voix susurrée, il joue à l’homme sous dépendance. Si bien que de l’auto à la libido il n’y a qu’un pas qu’il franchit allègrement pour terminer en apothéose dans une sorte de parodie de la version de Je t’aime moi non plus interprétée par Bourvil et Jacqueline Maillan. Et, élément qui ajoute du sel à l’histoire, la voix de la dame du GPS est celle de Yolande Moreau, au timbre si reconnaissable.

5/ L’épouvantail
Poésie pure que cette histoire d’épouvantail. Sur un très agréable arrangement jazzy, il décrit les heurs et malheurs, les inconvénients et les avantages de cet emploi ô combien indispensable. C’est qu’il n’est pas peu fier de sa mission l’empaillé.

6/ C’est pas
Chanson en forme de dialogue à bâtons rompus entre un homme et une femme, Helena Noguerra prêtant sa jolie voix mélodieuse à celle-ci. Un soupçon de mauvaise foi, un brin d’honnêteté, ce n’est finalement pas si facile que ça de déclarer son amour et son besoin de l’autre. Chanson toute en finesse, chanson en trompe-l’œil, très agréable à entendre et, pourquoi pas, à méditer quand on veut s’adresser à l’être – plus ou moins – aimé.

7/ Pas belle
Piano romantique pour accompagner le portrait mélancolique d’une jeune femme débordante de qualités, mais… mais que la nature n’a pas gâtée question beauté. Si bien que toute une accumulation de compliments ne peuvent atténuer sa souffrance intérieure. C’est touchant de justesse. Elle est terrible à vivre cette réalité face à laquelle on est malheureusement impuissante car c’est un terrible handicap à vivre pour une jeune fille. François Morel se montre en empathie par rapport à un problème que l’on n’évoque pas souvent.

8/ Eloge de la lecture
Etat des lieux après un soir de fête. Face aux multiples dégâts en tous genres, face à un appartement dévasté, souillé et salopé, il a la nausée. Il est vrai que cet inventaire apocalyptique des désastres a de quoi donner « mal à la tête »… Devant tant d’amis aussi indélicats, il se dit que la solitude a du bon. Mais ce n’est que tout au bout du bout de la chanson qu’il l’admet en privilégiant le confort moral d’ « un bon livre au lit ». Mais quand on devine l’homme plutôt sociable et enclin aux agapes entre amis, on se prend à penser que cette bonne résolution ne va pas faire long feu. En tout cas, bonjour le nettoyage !

9/ La sera, leoni
Valse lente pour rendre hommage à Marcello, patron d’une pizzeria, amateur de bel canto, et à son épouse, la plantureuse et accueillante Antonia (qui se trouve avoir la voix de Juliette)… Tableau pittoresque et haut en couleurs d’un Fellini de banlieue sud qui lui permet de faire étalage de ses connaissances dans la langue de Dante.

10/ Fatigué fatigué
Quand le souvenir de la peste brune va hanter un moribond jusque dans sa tombe, quand il est le témoin de dessous la terre des actes répugnants de jeunes néo-nazis venus profaner sa dernière demeure et celles environnantes… Comment peut-on goûter au repos éternel quand de tels agissements, ignobles et lâches, se perpétuent. Idée forte que d’utiliser ce subterfuge de se glisser dans la pensée d’un trépassé pour s’indigner et s’inquiéter de la réapparition d’une idéologie que l’on espérait elle aussi très passée.

11/ Petit homme
Chanson en forme de comptine pour faire état d’un fait divers (d’un fait d’hiver, plutôt) : le décès d’un SDF dans sa maison de carton. Façon pour lui, enfin libéré, d’être plus heureux mort que vivant. En stigmatisant au passage l’indifférence des passants – la nôtre - François Morel aborde la relation de ce drame sur un ton presque badin qui n’en rend que plus fort son propos. Mais on peut craindre toutefois que cette chanson en forme de « pirouette » il l’ait hélas écrite pour des « cacahuètes »…

12/ C’était comment déjà
Nostalgie du temps passé en forme de complainte. Apparemment tout était mieux avant : les saveurs, les odeurs, les filles, les plaisirs, les relations, le climat, les distractions… Tout, quoi. Mais finalement, et si ce n’était pas jeunesse qui était tellement mieux… avant ?

13/ La bassine
Eloge d’une bonne vieille recette campagnarde de nos grand-mères : le bain de pieds réparateur dans une bassine d’eau « pas trop chaude » saupoudrée au gros sel de cuisine. Le bonheur par les plantes, la benoîte soupe aux oignons, les yeux dans les yeux d’un œil-de-perdrix ! Simplicité dans l’extase, façon surannée de prendre son pied.

14/ C’est pourquoi qu’on vit
Réflexion pseudo philosophique qui complète et conclut quelque part « C’était comment déjà ». Questions sans réponses, tentatives d’énumérations de ce que l’on trouve de plus plaisant dans notre existence. On ne reste que dans le subjectif, dans le sensitif, dans le fugitif, dans le personnel, dans le ponctuel et, surtout, dans l’à-peu-près. Pourquoi qu’on est là, se demande le petit enfant ? Bien malin qui peut apporter des réponses à cette question. Eternel dilemme pour un parent.

Tout le plaisir est pour nous


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet

Une pièce de Ray Cooney et John Chapman
Adaptée par Sébastien Castro
Mise en scène par Rodolphe Sand
Avec Virginie Lemoine, ou Véronique Barrault, ou Armelle, Thierry Redler, Laurence Badie, Sébastien Castro ou Laurent Hugny, Gaëlle Lebert, Jean-Marie Rollin, Pauline Klaus, Steve Ricard

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Un éditeur parisien vit en parfaite harmonie avec sa délicieuse épouse dans un superbe appartement. Cette belle harmonie va être sérieusement ébranlée lorsqu’à la suite de coïncidences malencontreuses, trois couples illégitimes vont tenter, sans concertation, de vivre dans cet appartement leur première nuit de passion…

Mon avis : C’est un confortable appartement cossu qui va servir de décor à à un invraisemblable maelstrom adultéro-sentimental. Je n’ai pas souvenir d’une pièce qui comportât autant de quiproquos. Son auteur, le Britannique Ray Cooney, grand spécialiste du genre puisqu’on lui doit entre autres des œuvres aussi déjantées et mouvementées que Le vison voyageur, Stationnement alterné, C’est encore mieux l’après-midi, Panique au Plazza, Impair et père, Espèces menacées, Chat et souris…, y bat sans doute son record.
C’est totalement invraisemblable, complètement farfelu, mais on se laisse emporter par la tourmente parce qu’on se dit « pourquoi, après tout… ». Un mensonge en entraînant un autre, les péripéties s’imbriquent avec une implacable précision. C’est de l’absurde poussé dans sa plus extrême logique. Comme je l’ai annoncé en préambule, les quiproquos, devenus ainsi plausibles, s’enchaînent les uns aux autres à un rythme effréné.
Dans une adaptation particulièrement enlevée de l’ineffable Sébastien Castro, que je tiens pour un de nos plus formidables acteurs comiques (Le comique, Mission Florimont, Amour et chipolatas…), les comédiens s’en donnent à cœur joie, chacun dans des emplois différents, avec des caractères parfaitement dessinés qu’ils tiennent de bout en bout, ce qui donne une vraie cohérence à l’histoire.
Le couple hôte d’abord… En fait, le pivot central de la pièce est la maîtresse de maison. Tout passe par elle et elle va tenter pendant plus d’une heure et demie de contrôler une situation absolument ingérable. Heureusement, elle a de la ressource et de l’imagination à revendre. Le problème, c’est qu’à vouloir tout le temps arranger les affaires des autres et protéger ses amis, c’est elle qui se retrouve en butte à la pire des suspicions de la part de son mari. Dans la version que j’ai vue, c’est Véronique Barrault qui officiait pour la toute première fois. Elle a été vraiment formidable. On ne peut pas dire que l’auteur lui a réservé un rôle de tout repos puisqu’elle passe presque sans transition de son statut de maîtresse femme avec la tête sur les épaules à celui de fantasme sexuel déterminée par la force des choses à tromper son mari. Comment fait-elle pour ne pas se départir de sa maîtrise dans les situations les plus rocambolesques quand elles ne sont pas carrément ridicules ? C’est du grand art, la preuve d’un grand métier… Son éditeur de mari, Thierry Redler, tient plutôt un emploi de contre poids. C’est une sorte de rocher qui résiste aux éléments déchaînés. Sérieux comme un pape, frisant même la rigidité, il fait rire par état permanent de contrarié. C’est lui sans doute qui est le plus dépassé par les événements. Très préoccupé par l’avenir de sa maison d’édition, il n’est aucunement préparé à subir les affres du cocufiage. Il est droit, il est honnête, il est amoureux de sa femme, c’est un mec bien. Il est certes passablement irrité par la présence envahissante du décorateur d’intérieur, mais sinon il est plutôt du genre à rester impavide. Ce qui va être de plus en plus difficile pour lui… Je ne connaissais pas cette facette fantaisiste de Thierry Redler et c’est une belle découverte. Il est très à l’aise dans ce registre et confirme ainsi qu’il est un comédien de tout premier plan avec un éventail de jeu très étendu.

Laurence Badie hérite dans cette pièce d’un rôle en or, du sur-mesure. Sans jamais en rajouter, sans jamais tomber dans la caricature, elle apporte un décalage permanent par rapport à la folie ambiante. Elle suit son cap et son idée sans trop se laisser perturber par l’agitation qui règne autour d’elle. Mais comme elle y porte un regard plus naïf qu’inquisiteur, elle génère là aussi une belle source de quiproquos (c’est terrible, il n’ya pas de synonyme à quiproquo qui puisse être suffisamment précis, alors pardonnez-en l’usage répétitif). C’est une douce petite vieille qui, bien qu’aimant les animaux, n’a apparemment jamais connu le loup, ce qui la rend excessivement puritaine. Et comme elle est une auteure à succès, elle prend un aspect considérablement « bankable » aux yeux de notre éditeur qui a besoin d’asseoir l’économie de sa boîte.
Et puis il y a bien sûr Sébastien Castro qui ne fait que confirmer là son formidable talent comique. Poil à gratter au début, il va être pris à son tout bien involontairement par la patrouille. Quand on ne peut plus avoir la maîtrise des événements, il faut bien essayer de s’y adapter et d’improviser. Sans grande chance hélas de réussite. Il fonce alors dans les imbroglios avec un certain entrain et une louable bonne volonté, ce qui, bien sûr, n’est pas toujours au goût de tout le monde. En dépit de son nom bien méditerranéen, Sébastien Castro excelle aussi dans les compositions estampillées british. Il est en effet plutôt flegmatique et distancié. Et puis il a la chance d’avoir une voix au timbre grave et traînant si personnel qu’elle en devient un atout supplémentaire générateur de rire.
Le reste de la troupe se met largement au diapason de ce quatuor drolatique avec une énergie jubilatoire et une bonne dose de folie ;
Ray Cooney a encore frappé. On passe au théâtre Rive Gauche plus d’une heure trente de rire ininterrompu ce qui, avouons le, par les temps qui courent, est toujours appréciable. La mécanique fonctionne irrésistiblement, il n’y a plus qu’à se laisser aller et alors, tout le plaisir est - aussi - pour nous.