mercredi 24 novembre 2010

La Parisienne


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce d’Henri Becque
Mise en scène par Didier Long
Décor de Jean-Michel Adam
Costumes d’Aurélie Secondé
Musique de François Peyrony
Avec Barbara Schulz (Clotilde Du Mesnil), Jérôme Kircher (Lafont), Didier Brice (Adolphe Du Mesnil), Alexandre Guansé (Simpson), Candice Crosmary (Adèle)

Ma note : 7/10

Résumé : Dans sa dernière comédie, la plus connue et la plus réussie, Henri Becque, ami de Zola et de Rodin, plante un superbe et inquiétant personnage de femme ambitieuse, intrigante, jouissant des hommes qui l’entourent tout en les manipulant avec une redoutable efficacité…

Mon avis
: La Parisienne repose entièrement sur la personnalité de son héroïne, Clotilde, une petite bourgeoise, mère de famille, qui trompe son ennui en trompant son mari… Dit comme ça, c’est un peu réducteur car le trait est beaucoup plus fin qu’il n’y paraît.
D’abord, je tiens à souligner la qualité du texte qu’Henri Becque a fait dire à ses comédiens voici déjà 125 ans. Tout, dans cette pièce, repose en effet sur le verbe, jusques aux réflexions émises par la domestique, Adèle, lucide et fine mouche. La Parisienne n’est donc qu’une succession de joutes verbales énoncées dans une langue remarquable. De l’aveu même de Barbara Schulz, c’est la plus jolie pièce qu’elle ait eu à dire. Et elle y prend visiblement un plaisir de gourmande.

Barbara Schulz… Encore une fois, elle éclabousse la scène de toute sa présence. Elle en est le pivot, le chef d’orchestre qui mène à la baguette et son mari et son amant. Là où je ne suis absolument pas d’accord avec le petit préambule de présentation figurant dans le dossier de presse, c’est lorsqu’on qualifie Clotilde d’« ambitieuse ». Pour moi, elle n’a d’autre ambition que de s’amuser aux dépens de ses deux « hommes » et, si l’occasion lui en est donnée, des autres qui croiseront sa route. Clotilde est une coquette. Elle aime être courtisée. Elle est plus dans la forme que dans le fond. Pour être plus clair, elle est plus dans le spirituel que dans le charnel. Elle n’aime rien tant que de manipuler ses proies. C’est la chatte qui fait patte de velours avec la souris et s’en amuse. Le jeu vaut plus que le passage à l’acte. Pendant les trois quarts de la pièce, en manipulatrice rouée, elle tire les ficelles avec délectation de ses deux marionnettes. Jusqu’au moment où, à son tour, elle est elle-même victime de l’indifférence d’un séduisant garçon sur lequel elle a jeté son dévolu. C’est l’arroseuse arrosée. Pour la première fois quelqu’un ne joue pas à son jeu et lui impose sa propre partition. Pour la première fois on la délaisse et on veut la quitter. Alors, pour la première fois, on la découvre désarmée. Mais son désappointement est de courte durée. Clotilde se ressaisit très vite et rebondit en reprenant son ancien jouet qu’elle avait mis de côté…

Barbara Schulz, dont c’est la troisième pièce en deux ans, se permet, avec le personnage de Clotilde de distiller toute l’étendue de son talent. La Parisienne n’est pas une pièce physique. Tout y est concentré sur les mots et la façon de les dire et de les interpréter. Elle excelle dans ce jeu tout en retenue, en finesse, où tout est souligné par la moindre expression. Elle possède véritablement un des registres les plus complets qui soient et c’est un bonheur pour le spectateur de la voir véritablement habitée par son personnage. Un personnage entièrement résumé dans cette phrase empreinte de pragmatisme : « Nous sommes bien faibles avec celui qui nous plaît mais nous revenons toujours à celui qui nous aime ». C’est-à-dire qu’elle sait précisément jusqu’où elle peut aller trop loin. La mauvaise foi, qu’elle gère en virtuose, est sa seconde nature ; alors que, évidemment, elle ne supporte pas le mauvais esprit chez les autres (ça, c’est bien féminin !)… Après avoir campé une malade mentale qui exorcise peu à peu ses démons grâce aux vertus de la psychanalyse dans Paroles et guérison, une prostituée frivole, égoïste et manipulatrice dans Le Donneur de bain, elle aborde avec La Parisienne un autre terrain de jeu dans lequel elle est tout aussi à l’aise. Le théâtre est fait pour elle, et réciproquement.

Bien sûr, si le jeu de Barbara nous fascine autant, c’est aussi dû à la réplique subtile que lui offrent ses partenaires. Jérôme Kircher est parfait en amant possessif et jaloux, pusillanime et velléitaire. Sous l’emprise de ses sentiments attisés par une coquine qui fait souffler le chaud et le froid, il est touchant de maladresse. Il souffre des mauvais traitements qu’elle lui inflige mais, tel un chien battu, in continue à quémander ses caresses. Il propose un jeu très original, tout en hésitations, en paroles et en gestes ébauchés qui nous le rendent plus sympathique que ridicule… Didier Brice apporte au rôle du mari une réelle bonhommie. Il est beaucoup plus préoccupé par son avenir professionnel que par la conduite de son épouse. C’est un gentil, un modeste conscient de l’être. Alors que tout est réuni pour qu’il le soit, lui non plus jamais ridicule. Ses soucis sont ailleurs.
Alexandre Guansé n’a qu’une scène mais elle est essentielle – et il la joue fort bien - pour nous permettre de faire le tour de la mentalité profonde de Clotilde et de sa façon de fonctionner. En fait, elle est insubmersible.
Et puis il y a cette maline d’Adèle (Candice Crosmary), domestique moderne, dupe de rien, et qui s’amuse beaucoup des facéties de sa maîtresse. En fait, elles sont très complices.

J’ai également beaucoup apprécié ces deux scènes de séduction jouées à mots feutrés sous les yeux du mari. Ce sont deux jolis moments de comédie et une remarquable habileté de mise en scène.
Pour finir, on l’aime bien cette Parisienne car elle est beaucoup plus joueuse que vénale. C’est sa façon à elle de mettre un peu de piment dans une existence qui, sans cela, serait plutôt morne et terne.

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