samedi 11 décembre 2010

La Nuit d'Elliot Fall


Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Tel : 01 43 66 01 13
Métro : Ménilmontant

Une pièce de Vincent Daenen
D’après une idée originale de Jean-Luc Revol
Musique originale de Thierry Boulanger
Scénographie de Sophie Jacob
Costumes d’Aurore Popineau
Chorégraphies d’Armelle Ferron
Avec Denis d’Arcangelo (Préciosa), Sinan Bertrand (Le médecin, Jack-Line, Basile, Hash-Hash, Snif-Snif, un papillon), Christine Bonnard (Mimi, la Marraine, Schnouf-Schnouf, Gabrielle, Une fleur), Olivier Breitman (Le Comte Lovejoy), Flannan Obé (Elliot Fall), Sophie tellier (Mme Von Leska, Scarlett, jeune femme Shoe addict)

Ma note : 8/10

L’histoire : Mais que se passe-t-il à Moon Island en cette monstrueuse nuit d’orage ?
Mimi, la fille adorée de la milliardaire madame Von Leska, se meurt. Ou plutôt, elle se végétalise et se transforme petit à petit en plante fleurie. Une seule solution : suivre les directives d’une vieille légende oubliée et trouver l’élu qui saura lui donner le baiser ultime et salvateur. C’est la mission qui incombe à Préciosa, gouvernante du manoir et fée à l’occasion.
Elle a une nuit pour trouver Elliot Fall, croquemort de son état et sauveur désigné. Mais c’est sans compter sur l’horrible Comte Oswald Lovejoy… Car il faut bien un méchant dans toutes les histoires…

Mon avis : La première chose qui attire l’œil et qui le charme dans cette pièce, c’est son « graphisme ». Sur le plan de l’esthétique pure, c’est totalement réussi. Décors minimalistes mais suffisamment explicites, costumes colorés et originaux, panoplies de toute beauté… Tout au long de l’histoire, on nous distille des clins d’œil et des références aux contes de notre enfance, aux séries télés, aux comédies musicales et au cinéma. C’est suggéré avec une grande finesse sans jamais grossir et alourdir le trait. Le premier tableau par exemple m’a fait irrésistiblement penser à La Famille Addams.
Deuxième plaisir : les voix chantées… Les six artistes sont tous d’excellents interprètes et lorsqu’ils chantent en harmonie, à deux ou plus, c’est très agréable à entendre.
Enfin, il y a l’histoire… Rocambolesque et intrigante à souhait.
« C’est quand on a peur que le rire est le plus sublime » profère le Comte Oswald Lovejoy, et cette phrase résume à elle seule le climat de cette pièce qui réunit tous les codes du roman noir en le saupoudrant sans vergogne d’une bonne dose de burlesque… La trame est simple : la fidèle Préciosa va-t-elle réussir à ramener à temps Elliot Fall pour qu’il sauve d’un baiser fougueux la « belle » endormie au milieu de ses floraisons ? Le problème, c’est que sa route va être semée d’embûches. Rayon mauvaises rencontres, elle va être gâtée entre une louve androgyne assoiffée de sang ou des hommes-cochons qui ne sont pas vraiment des gens bons. Sans compter l’exécrable Comte qui rôde et qui veut faire capoter sa mission dût-il avoir recours à sa grande spécialité, le meurtre.

Cette pièce est construite en une succession de tableaux tous plus réjouissants les uns que les autres, générant à chaque fois de grands moments de comédie et de drôlerie. Mais ce n’est pas que du Grand Guignol avec une galerie de personnages caricaturaux ou outrés. Au contraire, les beaux et grands sentiments ont leur place tout au long de l’intrigue. Tour à tour, la maman, la gouvernante, le croquemort, la strip-teaseuse, les ursidés nous montrent qu’ils ont du cœur. Mais est-ce que le Bien vaincra le Mal ? On ne le saura qu’à la fin.
Bien sûr, il faut aimer l’humour noir et s’amuser de la cruauté gratuite pour goûter tout le sel de ce conte pour adultes-qui-sont-restés-des-enfants. Vous vous souvenez, quand on tremblait de plaisir à avoir peur et quand on était attiré par les ambiances morbides. On attise notre côté sale gosse. Il faut sans doute faire preuve d’une saine perversité pour se délecter du traitement résolument brutal apporté à cette histoire. C’est parfois bestial (et pour cause), toujours truculent, souvent cru et sensuel. Et il y a en permanence cette distance qui fait que l’on passe son temps à rire des tribulations des différents personnages.

Les six artistes sont en tous points remarquables. Ils savent tout faire : jouer la comédie, chanter, danser (ah ce poignant tango de la mort !)… Et ils osent tout. Ils ne reculent devant aucun effet. Si chacun a droit à plusieurs morceaux de bravoure, on ne peut toutefois que mettre en évidence la prestation de Denis d’Arcangelo dans le rôle de Préciosa. Quelle présence. Il/elle a l’art du geste et de la mimique justes. Son personnage est tellement haut en couleurs qu’il emporte d’emblée l’adhésion du public. Il y a des moments où il est tellement confondant de naturel qu’on ne dirait pas qu’il joue.
Mais chacun est vraiment bon. Ce modèle de théâtre musical est avant tout une œuvre chorale. Il faut aussi souligner la présence « live » de trois musiciens qui colorent de rythmes les différents tableaux.
En tout cas, je ne m’attendais pas à un tel spectacle et je me suis vraiment régalé. Il faut que le bouche à oreille lui attire tout le public qu’il mérite. D’autant que la salle du Vingtième Théâtre est conçue de telle façon que l’on voit parfaitement bien de partout, ce qui n’est hélas pas le cas de tous les théâtres, surtout des plus prisés.

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