mardi 15 février 2011


Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 Paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir

Une comédie de Guillaume Labbé et Inan Ciçek
Mise en scène par Thierry Lavat
Avec Darius Kehtari (Stanislas), Emmanuel Donzella (Olivier), Sébastien Pierre (Albin), Juliette Galoisy (Hélène), Serge Noël (Vassil)

Ma note : 5,5/10

Le pitch : Stanislas annonce à ses deux meilleurs amis et à son épouse qu’il a gagné une fortune au loto, mais qu’il ne veut pas percevoir ses gains. Après le premier moment e stupeur, chacun d’eux va tenter de manœuvrer les trois autres pour tirer profit de la situation. Tous les coups sont alors permis…

Mon avis : Le postulat de départ de cette pièce est une excellente idée puisqu’elle va totalement à l’encontre de la logique : un gagnant du loto annonce à son épouse et à ses amis qu’il renonce au pactole. Quel sacrilège ! C’est faire contre bonne fortune mauvais cœur… Evidemment chacun à sa façon va se sentir spolié et réagir en fonction de son tempérament.

Présenté comme ça, on se dit qu’il y a là vraiment de quoi imaginer une comédie à la fois drôle et grinçante, voire teintée de cynisme. En fait, il y a un peu de tout ça, mais hélas, un manque accablant de rigueur fait que cette pièce vire dans le potache et le grotesque, avec force blagues faciles ou douteuses… Pourtant, ça démarre plutôt bien avec une présentation liminaire des principaux protagonistes, Stanislas et ses deux meilleurs amis, Olivier et Albin. L’épouse, très attendue, fera son entrée un peu plus tard, et le père bien après…
Très vite, les différents caractères sont dessinés. Stanislas, est très calme, c’est un animal à sang froid, aimable, tolérant, mais farceur. Le piège qu’il tend à sa garde rapprochée est diabolique, carrément inhumain… Olivier, c’est le gommeux ; il est très élégant, très content de lui (du moins en apparence), opportuniste et jaloux… Albin, c’est le baba-cool, un pique-assiette patenté, un profiteur chronique… Quant à Hélène, annoncée comme la septième merveille du monde, elle se montre d’abord sous un jour charmant ; c’est une épouse aimante, une amie chaleureuse, jouant sans affectation de sa saine sensualité…
Dès le départ, on a un peu de mal avec le personnage d’Albin. Il est vraiment too much. Comment peut-on être ami avec un zigoto de cet acabit ? Mais quand Stanislas annonce sa décision de ne pas percevoir son gros lot, tout part en brioche. En un millième de seconde, la douce Hélène se transforme en une furie hystérique. Il ne faut pas être très féru de psychologie pour constater que cette réaction aussi soudaine n’est absolument pas crédible. Il eût du y avoir une progression, une montée en puissance. Qu’elle démarre ainsi aussi vite, on n’y croit pas une seconde. Ce n’est pas rationnel. Alors elle s’agite, elle vitupère, elle crie, elle vampe Olivier (ce qui n’est pas très difficile). C’est trop gros. Vers la fin, quand elle essaie de se raccrocher aux branches, elle devient carrément pathétique. … De son côté, Albin continue d’en faire des tonnes jusqu’à en devenir pratiquement insupportable… Et lorsque Pavel, le père de Stanislas, arrive il se met illico au diapason en campant un personnage hyper caricatural et un tantinet lourdingue.

En résumé, pendant que ces trois-là sur-jouent et ne nous amusent guère, il y en a deux qui tirent leur épingle du jeu : Stanislas et Olivier. Stanislas (Darius Kehtari) parce qu’il tient sa ligne de deux ex machina. Son personnage est cohérent. Il devient observateur curieux de voir les dégâts causés par la tempête qu’il a levée. Même si, parfois, il est quelque peu dépassé par l’excès des réactions. Il garde le cap, avance ou recule ses pions sur l’échiquier en fonction des événements. C’est de loin lui le plus normal de la bande…
Quant à Olivier (Emmanuel Donzella), lui aussi reste campé sur ses positions tout au long de la pièce. En m’as-tu-vu sans scrupules, il est parfait. C’est le roi des faux-culs et il assume. Il va au bout de ses intentions, quitte à se montrer minable. Il s’en fout d’ailleurs, pour lui seul le résultat compte. Il veut tout, le fric et la copine de son ami. Emmanuel Donzella nous offre là une bien savoureuse prestation.

Enfin, pour en revenir à Hélène (Juliette Galoisy), Albin (Sébastien Pierre) et Pavel (Serge Noël), les pauvres, ce n’est pas de leur faute s’ils ne m’ont pas du tout fait rire et si je leur dois quelques soupirs accablés, ils jouent ce que le metteur en scène leur a demandé. Pour avoir déjà vu les deux premiers dans différentes pièces, je sais qu’ils sont capables de beaucoup plus de finesse et de justesse. Avec simplement un peu de modération, ils auraient pu rendre ces Chers amis supportables. Et puis, pour faire tout de même preuve d’un peu d’indulgence, n’oublions pas que c’est une première pièce. Il y a une bonne idée de départ, de bonnes intentions, de bons comédiens (du moins potentiellement), mais ils se sont laissés emporter par leur tempérament encore potache. Avec un peu de rigueur, ils devraient pouvoir nous pondre une deuxième œuvre bien meilleure…
Maintenant, c'est peut-être moi qui me montre trop exigeant car, tout au long de la pièce, la plupart des gens étaient pliés de rire. Je dois manquer de souplesse...

lundi 14 février 2011

Les lois de la gravité


La Manufacture des Abbesses
7, rue Véron
75018 Paris
Tel : 03 42 33 42 03
Métro : Abbesses / Blanche

D’après le roman de Jean Teulé
Adaptation de Marc Brunet
Mise en scène d’Elizabeth Sender
Avec Marc Brunet, Christian Neupont, Hélène Vauquois

Ma note : 7/10

L’histoire : Il est 21 heures. Une femme entre dans un commissariat. Elle vient avouer le meurtre de son mari commis des années auparavant. Mais après avoir écouté son histoire, le policier de permanence refuse d’’enregistrer sa déposition et de l’arrêter. Ces personnages fragiles, fêlés, mais déterminés vont s’affronter jusqu’à minuit/// A partir d’un fait divers, Jean Teulé nous embarque dans un huis-clos original, poignant et drôle.

Mon avis : La bande son nous installe tout de suite dans un climat urbain. Comme nous allons être confrontés pendant plus d’une heure et demie au huis-clos d’un commissariat, les bruits extérieurs sont un rappel permanent à la vie et à la liberté. On sent la ville bruire tout autour et la proximité d’un port. C’est cette atmosphère que va délibérément quitter une femme. Une femme simple, banale, honnête qui, en refermant sur elle la porte de son appartement, a décidé en même temps de clore un important chapitre de sa vie. Tenaillée par le remords et
éprise de justice, elle vient en effet se constituer prisonnière pour le meurtre de son mari commis bien des années auparavant alors que l’enquête avait conclu sur un suicide…
Nous assistons alors à la rencontre de deux solitudes. Maintenant que sa décision est prise, la femme veut aller jusqu’au bout de son sacrifice expiatoire. Le problème, c’est qu’elle se retrouve en face d’un flic désabusé, fatigué, mais surtout formidablement humain. Et, en plus, il n’a visiblement pas envie, vu l’heure tardive, d’ouvrir une main-courante. Ça va donc être la confrontation de deux entêtements, une course contre la montre qui va entraîner ces deux paumés jusqu’au bout de la nuit. De leur nuit ?…

Parce que nous voyons évoluer devant nous deux êtres normaux, deux êtres que la vie n’a pas épargnés. Elle, elle a connu une vie conjugale qui n’était pas une sinécure. Il n’y avait que dans son métier de factrice qu’elle trouvait sa seule source de satisfaction, de plaisir car elle était socialement appréciée… Lui, il est un peu revenu de tout. Il en a trop vu des horreurs et des abjections. Alors que cette brave femme, répondant soudain à une impulsion, ait simplement poussé son ivrogne de mari dans le vide où il menaçait lui-même de se précipiter, il trouve ce forfait plus salutaire que condamnable. C’est plus un réflexe de survie qu’un crime. Et comme l’affaire est classée depuis belle lurette, pourquoi ne pas permettre à cette femme de continuer à vivre en paix ?

Cette pièce est une véritable tragédie. Deux destins vont basculer. Vers la rédemption et la liberté ou vers l’enfermement et le rejet de la vie ? On ne le saura qu’à la fin… Entre temps, ils se seront beaucoup parlé. Elle avec une certaine réticence teintée d’incompréhension ; lui, avec plus de volubilité, parce qu’il veut convaincre. Son ton bourru dissimule à peine la sympathie qu’il éprouve pour ce petit oiseau égaré mais têtu… Il y a aussi son collègue, sorte de planton, un brave flic proche de la retraite, qui apporte une note un peu plus légère dans cette atmosphère tendue et confinée. Il ne comprend pas toujours ce qui se passe, ou feint de ne pas comprendre. Lui aussi, il en a beaucoup vu. Foutu métier !
Ces trois individus sont d’autant plus attachants qu’ils nous ressemblent. On en oublie même souvent que l’on a affaire à des acteurs. Ils sont tout simples. A l’extérieur, ils sont confrontés aux mêmes problèmes que nous, à la même routine. Seulement, elle, elle a tué, et eux ils sont flics. La fonction va-t-elle l’emporter sur le cœur ? La loi va-t-elle se montrer plus forte que les sentiments ? Cette femme n’a-t-elle pas déjà assez souffert ? Il y a criminel et criminel…
L’écueil du pathos a été habilement évité dans ce huis-clos. Il arrive même que certaines situations ou réflexions nous arrachent un sourire, voire un rire ; un rire bref, un peu nerveux, parce qu’on est mal à l’aise et que l’on est en empathie avec ce trio. Que ferait-on à leur place ? Mais on est impuissant. La fin ne leur appartient qu’à eux. Et on ne pourra que l’accepter… Entre temps, on aura passé en leur compagnie un petit « voyage au bout de la nuit », touchant, émouvant, prenant, énervant. Un moment plein d’une banale humanité…

vendredi 11 février 2011

Toutou


Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Rome / Villiers

Une comédie d’Agnès et Daniel Besse
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Mimi Lempika
Avec Patrick Chesnais (Alex), Josiane Stoléru (Zoé), Sam Karmann (Pavel)

Ma note : 8,5/10

Le pitch : Alex a perdu Toutou, de quoi s’attirer les foudres de Zoé. Aiment-ils tous les deux autant leur chien ? L’absence de Toutou ouvre la boîte de Pandore des griefs conjugaux. En une soirée, l’amour pour leur chien, l’amitié pour leur ami Pavel, leur passé et leur présent, tout se rejoue. Il n’est pas anodin de perdre son chien…

Mon avis : Avec la première image, le drame est dit : Alex rentre dans l’appartement tenant à la main une laisse. Une laisse toute seule avec rien au bout… La simple vision de son embarras est comique. Il se sait en faute et il s’attend à un interrogatoire en règle de la part de Zoé. Passé l’interrogatoire, les reproches vont suivre et déferler. Chacun d’eux va s’installer dans son personnage, lui flegmatique et fataliste, elle désemparée et inquiète. Leur tout premier dialogue sur la disparition de Toutou est d’une drôlerie irrésistible. Le ton de la pièce est donné, oscillant en permanence entre le cocasse, le loufoque, l’absurde et, parfois, la charge émotionnelle.
Le couple formé par Josiane Stoléru et Patrick Chesnais fonctionne à merveille. Leur jeu est parfaitement huilé. Autant elle va se montrer d’une constance à toute épreuve tout au long de la pièce, autant lui va passer par toutes sortes d’états en fonction des événements. Son désarroi va la conduire à l’inquisition, puis à la suspicion et enfin à l’accusation. Elle a trouvé un os à ronger. Mais tout cela est proféré à peu près sur le même ton, ce qui la rend encore plus agaçante et redoutable pour ce pauvre Alex. Déjà suffisamment empêtré dans sa culpabilité, il n’a pas besoin qu’on ajoute du dénigrement aux reproches.

Et puis leur confrontation va connaître un moment de trêve avec l’arrivée intempestive du meilleur ami d’Alex, Pavel, lui aussi en plein désarroi, et qui est venu chercher auprès d’eux un peu de réconfort et beaucoup d’affection. Il ne pouvait pas tomber à plus mauvais moment. Instantanément, Alex et Zoé transfèrent leur inquiétude et leur animosité sur lui. Lui qui n’aimait pas Toutou et ne s’en cachait pas. Mais au lieu de jouer à la victime expiatoire, Pavel, déjà en état de stress, ne va pas se laisser faire. Au contraire, il réagit violemment, leur sortant ses quatre vérités. Et il sort à ses amis ébahis une diatribe anti chien qui confine à l’entreprise de démolition… Du coup Alex est écartelé entre la préservation de son amitié (car il reconnaît tacitement que certains de ses arguments sont loin d’être faux) et la gestion de la douleur de sa femme. Il est un peu comme un bouchon emporté par le courant, allant bon gré, mal gré, d’une rive à l’autre. Les nerfs sont désormais à vif. L’heure est aux règlements de compte. Les langues se délient, les reproches fusent, les aigreurs remontent à la surface… Mais tout cela sans qu’on ne cesse jamais de rire de bon cœur. Nous ne quittons jamais le registre de la comédie, même si, en toile de fond, c’est le problème de la communication dans le couple qui est traité, ainsi que la place qu’occupe dans le relationnel le langage sous-jacent.

C’est une véritable performance de la part du couple d’auteurs que de réussir à nous amuser et à nous tenir en haleine avec un sujet aussi « bêtement » banal que la disparition d’un chien. Ils sont servis par un trio de comédiens particulièrement doués dans ce registre. Quels acteurs ! On les sent très proches de nous car, inévitablement, on opère un transfert. Ici le chien est prétexte à métaphore. On peut lui substituer un enfant. De même, le comportement de Pavel peut s’apparenter à celui d’un toutou qui vient quémander son lot de caresses. C’est une pièce très habile, très fine. Les caractères, masculins et féminin sont fort bien dessinés. On voit bien que Toutou a été écrit par un couple.

jeudi 10 février 2011

Une banale histoire


Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

D’après la nouvelle éponyme d’Anton Tchekhov
Traduction française d’Edouard Parayare
Adaptation et mise en scène de Marc Dugain
Décor de Noëlle Ginéfri
Costumes de Magda Oueslati
Avec Jean-Pierre Darroussin (Nicolaï Stepanovich), Alice Carel (Katia), Gabrielle Forest (madame Stepanovich), Michel Bompoil (Fedorovich), Adrien Bretet (L’étudiant)

Ma note : 7/10

Présentation : De lourdes insomnies portent le vieux professeur de médecine Nicolaï Spepanovich à se pencher sans concession sur son passé. Il a regardé Katia, sa pupille, grandir, aimer, puis sombrer. Ils partagent désormais les mêmes questions sans réponse sur l’amour, l’art, la science et bien d’autres sujets propres à masquer les étranges sentiments qui les unissent.

Mon avis : Une grosse performance de Jean-Pierre Darroussin qui frise le one man show. Il a laissé pousser une barbe où le sel domine nettement sur le poivre, ce qui lui donne un air plus âgé indispensable pour incarner le vieux professeur Stepanovich, usé et désabusé. Médecin brillant, excellent pédagogue, il se sait parvenu au terme de son existence. En raison de son total désintéressement, il a plongé sa famille dans la misère à un point tel qu’il ne peut même pas offrir le conservatoire de musique à sa fille. Humaniste – il est très proche de ses élèves -, épris de science et athée convaincu, il s’est laissé doucement glisser vers une misanthropie aigüe. Il en arrive au moment où il ressent le besoin de dresser le bilan de sa vie. Il veut partir comme il a vécu, avec dignité : « Il ne me reste plus qu’à ne pas gâter le final. Il faut mourir en homme ». Plus caustique que cynique, il aspire à la solitude, au grand dam des deux femmes de sa vie, son épouse, pragmatique et prévenante, et leur fille adoptive, Katia, avec laquelle il a longtemps entretenu une relation tendre et forte.

Servi par une superbe écriture, fluide et incisive, Jean-Pierre Darroussin donne une véritable épaisseur à son personnage. Avec une grande économie de gestes, mais avec, souvent, une lueur de malice dans l’œil et beaucoup de pertinence dans ses propos, il nous livre un jeu tout en subtilité, y compris dans ses silences. On suit aisément son cheminement psychologique. Il veut se débarrasser de toutes les scories de son existence pour réussir à se retrouver seul en tête-à-tête avec lui-même. Pour cela, il lui faut d’abord se détacher de sa femme et de sa famille. Il porte aussi un constat très lucide et désespéré de la société russe. Ayant toujours refusé les honneurs et la célébrité, il en est arrivé à un point où tout lui est indifférent. Et Darroussin, avec ses déplacements lents, sa voix douce mais ferme, est très convaincant. Il nous fait aimer et admirer cet homme qui a beaucoup donné à son métier et qui est revenu de presque tout.

Bien sûr, Une banale histoire n’est pas une pièce des plus guillerettes. Mais elle vaut et par son interprétation et son intensité. Il s’en dégage quelque chose qui appartient au domaine à la fois de l’intelligence pure et de la sensibilité. Alors qu’il sent que son corps le lâche irrémédiablement, l’esprit et la réflexion de Stepanovich sont toujours aussi vifs. On ne peut que s’en sentir troublé…

mercredi 9 février 2011

L'Illuminé


Théâtre Dejazet
41, boulevard du temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Spectacle écrit et mis en scène par Marc Hollogne
Avec, sur scène : Marc Hollogne (Le Chevalier de Casignac), Laurent Dauvillée (Gastille), Nicolas Goret (Le Père Gorette)… Sur l’écran : Rufus (Maître Vaubard), Mathilda May (La Comtesse de Leauvive), Michel Jonasz (Le Comte de Leauvive), Angela Delfini (Bella), Jean-Paul Bordes (Monsieur de Vellasse), Nathalie Gillet (La Gouvernante)…

Ma note : 5,5 /10

L’histoire
: En 1788 se dessine une révolution qui n’en est encore qu’à ses tout premiers balbutiements : la révolution… industrielle !
En moins de dix ans, depuis que Rousseau a refermé les pages de sa vie, l’invention des « pompes à vapeur » bouleverse la cadence naturelle qui relie l’homme à la nature. L’instinct du Chevalier de Casignac lui hurle qu’il faut interdire la multiplication de ces machines qui permettent au mouvement mécanique de remplacer l’effort musculaire.
Fans un langage riche en illuminations métaphoriques, L’Illuminé évoque entre autres l’ordinateur, le GPS, tout cet environnement d’aujourd’hui truffé de dépendances technologiques…

Mon avis : L’Illuminé est le troisième spectacle estampillé « Cinéma-théâtre » de Marc Hollogne que je vois. Le tout premier, Marciel monte à Paris avait été un véritable choc artistique et émotionnel. C’était du jamais vu. J’avais rarement été aussi emballé. C’était tellement original et novateur, et tellement plein de candeur, de tendresse et d’humour… Je me suis donc précipité pour découvrir le deuxième spectacle, Marciel en campagne. J’en avais même fait la pub avant de l’avoir vu, ravi que j’étais de voir réédités cette performance et ce traitement pittoresque. Hélas, patatras, je n’ai pas retrouvé ces sensations qui m’avaient tant exalté. Ce spectacle m’avait paru poussif, besogneux et mal abouti. J’avais quitté la salle déçu et dépité.
Hors donc, Marc Hollogne est de retour avec un nouveau projet on ne peut plus ambitieux. Toujours fidèle à son procédé de cinéma-théâtre, il nous entraîne cette fois à la fin du 18è siècle, à une toute petite encablure de la Révolution Française.

Les premières images de ce qui apparaîtra finalement un peu comme un conte philosophique sur le thème de la révolution industrielle sont absolument magiques. On est immédiatement charmé par la qualité de la reconstitution, la beauté des costumes, l’esthétique sépia de la photographie. Car ce spectacle est très ambitieux. On imagine le temps, l’énergie et les moyens que Marc Hollogne a dû dépenser pour obtenir un tel résultat. Cet homme est un ultra perfectionniste, un méticuleux, un passionné. Son Chevalier de Casignac est une sorte de Don Quichotte parti en croisade contre les moulins de la modernité symbolisés ici par la machine-outil. Le propos est donc louable.
Si nos yeux sont comblés par le décorum, par l’image, en revanche nos oreilles le sont moins par ce qu’elles vont essayer de capter pendant une heure et demie tant c’est fumeux, nébuleux, à la limité de l’hermétique. Le texte écrit par Marc Hollogne est excessivement intellectuel. Trop de langage châtié tue l’effet, ça en devient redondant. Et que dire de cette explosion d’alexandrins qui ont plus tendance à nous anesthésier qu’à nous enflammer. Il a voulu faire du style, élever très haut sa prose et ses vers, mais il en résulte un spectacle excessivement verbeux dont on décroche très rapidement.
Il ne nous reste que le jeu des comédiens. Marc Hollogne, à qui on ne peut reprocher sa folle générosité, se livre à une sorte de one man show, à une formidable performance d’acteur que l’on est obligé de saluer et d’admirer. Sa tirade sur « la femme idéale » est un grand moment… Mais il a beau se démener, se dépenser sans compter, ses propos grandiloquents anéantissent sa folle énergie. Un peu plus de simplicité eût rendu sa pièce bien plus accessible (je pense notamment au jeune public).
Quant aux acteurs qui évoluent sur l’écran, on ne peut rien leur reprocher. Ils jouent et disent ce qu’on leur a donné à jouer et à dire. Et c’est toujours un bonheur que de retrouver un Rufus, un Michel Jonasz et une Mathilda May joliment vibrante d’émotion difficilement contenue.
Bref, mieux vaut ne faut pas être fatigué par sa journée de travail pour aller rôder du côté du théâtre Dejazet et essayer d’extraire la substantifique moelle du message visionnaire que notre Chevalier idéaliste tente de nous faire passer. Ce spectacle est vraiment trop élitiste. Peut-être vaut-il mieux le lire que le voir. Bien que, je tiens à le redire, esthétiquement et techniquement, c’est une totale réussite.

mardi 8 février 2011

Une journée ordinaire


Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre Septembre

Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Avec Anouchka Delon (Julie), Alain Delon (Julien), Elisa Servier (Carine), Christophe de Choisy (Arnaud)

Ma note : 7/10

L’histoire : Entre un père et une fille, la séparation est inéluctable. Un jour, elle part avec un autre, il faut l’accepter, faire bonne figure. Pas facile de donner à un inconnu ce qu’on a de plus précieux…
Julie a 20 ans. Elle rêve de liberté et d’émancipation. Et en plus elle est amoureuse. Seulement voilà, elle vit seule avec son père, veuf depuis douze ans, qui n’a nullement l’intention de la voir quitter la maison. Alors, elle lui propose un marché : lui présenter son amoureux et faire la connaissance dans la même soirée de la femme que son père voit depuis plus de deux ans.

Mon avis : Hier soir, lundi, avait lieu la générale d’Une journée ordinaire. Lorsqu’une pièce a Alain Delon en tête d’affiche, le tout Paris veut en être. Et, de fait, le parterre était somptueux : Jean-Paul Belmondo, Mireille Darc, Jean-Pierre Marielle, Agathe Natanson, le professeur Cabrol, Nadine Trintignant, Claudia Cardinale, Jean-Loup Dabadie, Jean Piat, Muriel Robin, Mathilde Seigner, Bernard Tapie, Roland Giraud, Maaïke Jansen, Brigitte Fossey, Mathilda May, Shirley et Dino, Chantal Ladesou, Nana Mouskouri, Nicole Calfan, Dany Brillant, Jacques Séguéla, Corinne Touzet, Jean-Luc Reichmann, Flavie Flament, Christian Morin, Danièle Gilbert, Christine Lagarde… Impressionnant !

Mais revenons à la pièce… D’abord, je trouve que le titre est imparfait car on a vraiment l’impression que l’action se déroule sur plusieurs jours. Vivre tout ce à quoi on assiste en 24 heures est tout bonnement irréalisable. Un autre titre, peut-être un peu moins imprécis, eût été judicieux. Mais c’est toujours mon foutu côté cartésien qui me joue des tours. En fait, seul le mot « ordinaire » est adapté. En effet, ce que vivent les quatre protagonistes de cette pièce est de l’ordre du banal, du quotidien. Ce genre de péripétie sentimentalo-filiale est effectivement courante et dans la logique des choses de la vie.
L’action se déroule pour la majeure partie dans le salon cossu que partagent un père et sa fille, Julien et Julie. Dans le noir, un menuet de Mozart distille ses notes alertes. Dès le lever de rideau, cette musique est la première pomme de discorde entre eux. Simple conflit de générations en matière des goûts musicaux. Cette première divergence va servir de prétexte à Julie pour provoquer une discussion plus sérieuse. Elle a 20 ans, elle est amoureuse, elle étouffe auprès de ce père hyper protecteur et elle aspire à la liberté. C’est qu’elle a du caractère la damoiselle ! Elle prend les choses en main, mène le débat et pousse son père à reconnaître la liaison qu’il entretien depuis deux ans avec Carine. Cette relation enfin avouée va lui servir de monnaie d’échange pour faire accepter la sienne à son père… Evidemment, rien ne va se passer comme chacun le souhaiterait.

Cette pièce a été écrite sur mesure par Eric Assous pour Alain Delon. Pendant près de deux heures, le comédien va faire étalage de tout l’éventail de son talent. On peut dire ce qu’on veut de lui, mais c’est un sacré acteur. Et ce qui est agréable, c’est qu’il n’en rajoute pas. Servi par des dialogues plutôt bien ficelés, dans la moindre réflexion, dans la moindre mimique, il fait preuve d’une remarquable finesse de jeu. Sur le plan psychologique, partagé qu’il est entre son amour filial et sa peur de voir sa fille s’envoler, il est parfaitement défendable. Il est aussi bon dans la drôlerie que dans l’émotion. La scène de la première rencontre avec le petit copain de sa fille, où il se comporte en mâle dominant, est un joli moment de comédie qu’il mène de main de maître. Et, à la fin, quand la souffrance le submerge, les mots qu’il profère, dictés par l’amertume, en dépassant sa pensée, étalonnent la profondeur de son chagrin. Dans la salle, le silence est compact.

Elisa Servier a hérité là d’un de ses plus jolis rôles au théâtre. Il n’est pas très développé, mais il est intense. Dans la première scène qu’elle partage avec Alain Delon, elle manie d’abord à la perfection l’humour et la dérision. Elle voit si clair dans son jeu qu’elle s’en amuse et le titille sur sa frilosité et son entêtement « Tu portes ton deuil comme d’autres portent la Légion d’honneur ! ». Puis, voyant qu’il persévère dans sa promesse fait à un « fantôme », elle explose et vide son sac. La femme blessée prend alors le pas sur la femme amoureuse. Elle vibre de tout son être. Elle est bouleversante… Et la dernière scène lui permettra de porter magnifiquement l’estocade… Mais, chut, il ne faut pas tout dire.

La grande révélation de cette Journée ordinaire, c’est Anouchka. Evidemment, tout le monde n’avait d’yeux que pour cette nouvelle héritière de la dynastie Delon. On ne peut qu’admettre que l’art de la comédie est dans ses gènes. Elle est étonnante d’aisance, de facilité, de présence. Pourtant, elle a hérité là d’un rôle écrasant. C’est une jolie fleur qui s’épanouit à l’ombre du Commandeur. Ne pouvant nous mettre à sa place, on ne sait pas si c’est plus rassurant ou plus encombrant d’avoir pour partenaire un père aussi monstrueux (dans le sens « monstre sacré », bien sûr). En tout cas, dans le moindre registre, elle joue juste et avec un naturel qui ne peut, dans son cas, qu’être inné. Elle est vraiment épatante. Elle est assurément promise à une belle carrière.

Quant à Christophe de Choisy, il est impeccable dans le peu qu’il a à faire et qui n’est pas si simple que ça à jouer. Le père de sa copine, c’est quand même Alain Delon ! Difficile de l’oublier. Il sait garder ses distances, il reste dans la retenue, même si certaines de ses réactions, tout juste maîtrisées, laissent à penser qu’il a son caractère. Il forme un joli couple, moderne et crédible, avec Anouchka.

Même si cette comédie douce-amère n’est pas la pièce de l’année, même si elle tarde un peu à trouver son rythme en raison d’un départ un tantinet poussif, il reste le privilège de voir Delon sur scène. C’est vraiment un immense soliste. Devant ce prestigieux parterre, il a tenu à offrir un récital de haute volée. Rien n’est plus excitant pour un homme de cet acabit que de se savoir observé, étudié, ausculté. Devant un tel auditoire, on veut donner sa pleine mesure, on veut justifier son statut. Maintenant, reste à savoir s’il prendra autant de plaisir chaque soir devant des salles plus « communes ». Un Delon a besoin d’être rare. Un stradivarius a-t-il envie de se métamorphoser en crin-crin ? Espérons que pour sa fille et ses deux autres partenaires il ait envie de se montrer toujours aussi généreux.

lundi 7 février 2011

Les Sea Girls fêtent la fin du monde


La Nouvelle Eve
25, rue Fontaine
75009 Paris
Tel : 08 20 20 90 92
Métro : Blanche / Pigalle

Spectacle conçu et interprété par Judith Rémy, Prunella Rivière, Elise Roche, Delphine Simon
Mis en scène de Patrick Haudecoeur
A la guitare, Dan Panama ou Benoît Simon
Aux percussions, Guillaume Lantonnet
Arrangements de Fred Pallem
Costumes de Carole Gérard
Décor de Christel Lefèbvre

Ma note : 7/10

Le spectacle : Elles sont absurdes. Déraisonnables. Démentes. Détraquées, même ! Mais qu’elles sont drôles ! Pour leur nouveau spectacle, Les Sea Girls sont absolument restées fidèles à elles-mêmes… en pire. Craignant que la fin du monde ne soit trop proche, elles s’adaptent et comptent bien en profiter.
Si la chanson est au cœur du spectacle, elles s’adonnent aussi à d’étranges rituels. C’est le grand esprit du music-hall qui les guide. Les Sea Girls se rêvent meneuses de revue. Leurs costumes s’épluchent, s’échangent ou rétrécissent… Les Sea Girls consomment définitivement l’existence avec jubilation, sans aucune modération, mais avec un grand sens pratique.

Mon avis : C’est toujours un grand bonheur que de retrouver Les Sea Girls sur une scène. Dans leur cadre familier de La Nouvelle Eve, elles nous présentent leur tout nouveau spectacle, bizarrement baptisé « Les Sea Girls fêtent la fin du monde ». C’est suffisamment incongru et décalé pour que l’on sache à quoi s’en tenir. Décidément, ces quatre donzelles sont définitivement barrées. Et très loin. Barrées, certes, mais également classieuses et hyper professionnelles ainsi qu’en témoigne leur formidable entrée en scène pour laquelle elles arborent de magnifiques tenues.
Après cette première chanson qui sert en quelque sorte d’exposition, c’est parti pour un patchwork de tableaux toniques et burlesques, truffé d’une foultitude d’astuces de mise en scène, de bruitages, de postures délirantes, de grimaces, de chorégraphies improbables, de chutes, de crêpages de chignon, de détournements, de parodies et même de tours de magie assez lamentables. Elles ne reculent devant aucune audace, devant aucune provocation. Le ridicule, elles s’en tapent comme de leur première brassière. Ce sont des jusqu’au-boutistes de la fantaisie la plus débridée, d’espiègles adeptes de la déconne buissonnière.

Leur spectacle est un feu d’artifices permanent. Chaque numéro est un véritable sketch. Les univers musicaux sont variés : la country, la chanson a cappella, le flamenco, le rock, le swing, le boléro, la musique orientale… Elles nous emmènent dans leur trépidant voyage à la découverte de contrées qu’elles peignent à leur façon : le Far-West, l’Espagne, le Japon, Acapulco, la Laponie… Les variations de température, elles s’en tapent car elles sont constamment en jet lag. Elles déploient leurs armes et leurs charmes, se lancent dans des chorégraphies frénétiques, s’offrent un instant une parenthèse au romantisme approximatif, démolissent les contes de fée, se mettent à piailler des hispaniolades, se métamorphosent en infirmières (bonjour le fantasme !), elles jouent du popotin, se font lascives et sensuelles, passent sans transition de la pin-up à la gourdasse, de la poésie au sordide, rendent hommage aux Andrew Sisters, nous entraînent dans une pathétique scène de balloche, nous posent un lapin à faire couiner de jalousie Chantal Goya… J’en passe et des pires.

En tout cas, on ne peut pas leur reprocher de jouer petit bras. Elles ne ménagent pas leur peine. Pour parvenir à un tel degré de drôlerie, il faut énormément bosser. Sous la houlette du facétieux Patrick Haudecoeur, Les Sea Girls ont gagné en rigueur et en efficacité. Mais peut-être au détriment cette spontanéité un peu gauche qui m’avait tant séduit lors de leur premier spectacle ; spectacle qui m’a laissé un souvenir inoubliable. Peut-être aussi parce qu’il avait ce charme de la première fois... Et puis je n'aime pas trop leur ultime chanson sur les prénoms. Je l'ai trouvée un peu facile. Elles méritent mieux en matière de bouquet final.
Je ne peux donc que vous recommander d’aller vérifier par vous-même ce qui se passe sur la scène de La Nouvelle Eve. Il faut voir Les Sea Girls au moins une fois dans sa vie.

vendredi 4 février 2011

Le Temps du Gourdin


Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Une comédie écrite par Philippe de Chauveron
Mise en scène par Xavier Letourneur
Décors de Thierry Benoist
Costumes de Régina Gothe
Musique d’Alain Bernard
Avec Franck Jouglas, Loïc Legendre, Tatiana Rojo, Manon Rony, Fred Saurel, David Talbot

Ma note : 7/10

L’histoire : Kif, Gruk, Torch et Bongo sont des homo-sapiens. Ils vivent dans une grotte non chauffée et ils ont le blues. Ils ont froid, ils ont faim, et dès qu’ils mettent le nez dehors ils se font attaquer par des tyrannosaures. Leur vie est un enfer ! Et puis un jour, tout bascule quand ils rencontrent par hasard Gibonna et Pouffa, deux superbes femelles qu’ils invitent dans leur grotte pour une petite soirée… au coin du feu, car Torch vient de l’inventer. Sex, drugs et rock’n’roll au temps de la Préhistoire…

Mon avis : Une machine à remonter très loin dans le temps nous dépose devant une grotte décorée de peintures pariétales à faire pâlir celles de Lascaux. Elle est occupée par quatre colocataires aux profils et aux caractères très différents. Il y en a un qui déprime, qui râle sur tout, un autre (Torch) plutôt cool et pragmatique. Cela donne des discussions stériles et truffées d’anachronismes… On risquerait l’ennui si deux événements ne venaient pas bousculer ce morne train-train. Le premier, qui passe presque inaperçu – et pourtant – c’est l’invention du feu par le bien-nommé Torch. A part lui, personne ne réalise la portée de cette trouvaille pour l’humanité. C’est tout juste si ses congénères y prêtent attention… Le second, c’est l’irruption dans leur vie et dans leur tanière de deux femelles. Deux femelles classiques, à savoir séduisantes, malines, opportunistes, râleuses, manipulatrices… Des femmes, quoi ! Aussitôt, la routine est bouleversée. Ces messieurs commencent à faire des projets, envisageant même de fonder une famille (sinon, on ne serait pas là)…

Le Temps du Gourdin est une comédie que l’on suit avec plaisir. C’est fou comme ils nous ressemblent ces homo-sapiens. Surtout au niveau des défauts. Finalement, on n’a pas tellement évolué. On est toujours ronchon, profiteur, jaloux, homophobe, misogyne… Bref nos lointains ancêtres nous offrent le gourdin pour se faire battre. Ces personnages ne sont en fait pas si caricaturaux que cela. Hormis peut-être celui qu’interprète Fred Saurel, qui est un véritable psychopathe inquiétant et obsédé. Des énergumènes comme celui-là, il vaut mieux ne pas en croiser un au détour d’une caverne. Surtout quand on est une femelle !

On s’amuse bien devant les aventures de nos six aïeux. Les décors sont sympa, rendus réalistes par la présence d’une carcasse de bison. Les costumes ne sont certes pas d’époque, mais ils en donnent l’illusion. Les dialogues sont vifs, bien écrits, agrémentés de saillies bien venues et de jeux de mots approximatifs (mais il faut être indulgent car ils étaient en train de les inventer). Et, en même temps, l’auteur, sous couvert de comédie, s’est amusé à distiller quelques vérités bien analysées et quelques messages de tolérance. Ce Temps du Gourdin n’est pas assommant du tout, c’est même un bon divertissement, une Préhistoire drôle…

Rachid Badouri "Arrête ton cinéma !"


Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 45 23 35 45
Métro : Grands Boulevards / Cadet

Ma note : 6/10

Présentation : Pour la première fois en France, Rachid Badouri présente son spectacle Arrête ton cinéma !. Fan de Michael Jackson qu’il imite à la perfection, Italian lover gominé, Chinois plus vrai que nature, gangsta rappeur, stewart, ou organisateur de soirées latines, il enfile tous les costumes avec une aisance folle et met le feu aux planches avec son sens inné de la « dance » qui rythme tout le spectacle.

Mon avis : Rachid Badouri arrive chez nous annoncé à grand renfort de trompettes. Ex-révélation du Festival Juste pour rire, il est devenu en trois-quatre ans une immense star de l’humour au Québec où sévit, paraît-il, une authentique « badourimania ». Comme nombre de ses collègues chanteurs ou humoristes, il a franchi l’océan pour tenter de conquérir le public français.
Je pense, qu’effectivement, il va trouver ici son public. Mais je ne suis pas convaincu que ce soit le plus large possible ; le plus inter-générationnel en tout cas. Il va plaire aux jeunes, ça c’est pratiquement certain, et moins aux plus âgés car, chez lui, la forme est bien plus efficace que le fond. Ceci dit, pour être honnête, il a plus d’atouts dans sa manche que de mauvaises cartes.

Les premières informations que l’on reçoit de lui sont très positives. Il est élégant, sympathique, très expressif, il bouge et danse avec une facilité insolente, et il fait admirablement la poule qui se déplace... Tout de suite, il annonce la couleur : il est certes né à Montréal, mais ses origines, comme son nom l’indique, sont marocaines (« Le ghetto arabe au Québec, c’est moi ! ». Alors il va jouer énormément sur cette double culture. Et, pour la matérialiser de façon plus concrète, il va utiliser un personnage omniprésent dans son spectacle, son père. Car Rachid est écartelé entre tradition et modernité. Les Etats-Unis, tout proches, sont bien plus fascinants pour lui que la terre de ses racines. Il se sent plus d’affinités avec un Travolta époque Tony Manero dans Saturday Night Fever qu’avec un Chaabi. Il veut jouer les latin lovers, pas les berbères lovers. Ce qui, bien sûr, dépasse l’entendement du paternel. Le jeune homme puise dans cet antagonisme quelques saynètes savoureuses. Il évoque aussi les problèmes d’intégration de son père, sa découverte des idiomes québécois et ses difficultés avec l’apprentissage de l’anglais. Mais il s’en sert surtout pour illustrer le conflit des générations.

En effet, le spectacle de Rachid Badouri est très autobiographique. Il nous raconte sa vie, ses différents jobs, ses rencontres, son boulot de stewart, on le voit grandir. A 9 ans, il est fan des ninjas et de Michael Jackson, puis il se passionne pour le rap ; à 16 ans, il découvre le Maroc ; à 18, il aspire à devenir « Gino boy ». Au grand dam de son père, il se fait appeler Ricardo et teste les effets de la vodka sur les filles. Enfin, il succombe à une boulimie de films. Cette cinéphilie galopante est prétexte à un de ses meilleurs sketchs dans lequel il se livre à une scène d’action des plus épiques sur une bande-son redoutablement efficace.
Tout au long de son show, tout est prétexte à danser, une discipline dans laquelle il excelle véritablement. Mais ce qui est bien, c’est qu’il n’en rajoute pas. Il sait arrêter ses chorégraphies avant qu’elles ne tournent à la démonstration.
Pour conclure, Rachid Badouri tient remarquablement la scène. Il a de la tchatche, du bagou, il a un corps et un visage en caoutchouc et, surtout, comme je le disais en préambule, il est extrêmement sympathique et chaleureux. Le public l’adopte facilement… Maintenant, si je ne me suis pas foncièrement ennuyé, j’ai trouvé son spectacle gentillet, avec une sensation de déjà vu et de déjà entendu, même s’il a une vraie personnalité. Et, à mon goût, ça manque un peu de matière. Néanmoins, je suis sûr qu’il va fédérer un public jeune, prompt à s’emballer devant ses pas de danse, ses grimaces et ses accents. C’est tout le bonheur que je lui souhaite car on voit que, même s’il est facile, il a énormément travaillé pour en arriver là.

Warren Zavatta "Ce soir dans votre ville"


Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ma note : 8/10

Présentation : Comédien, musicien, jongleur, acrobate, petit-fils du grand Achille, ce romano des temps modernes ne renie rien, mais ose dans cette performance spectaculaire, drôle et caustique, mettre à mal avec sincérité et humour, le « merveilleux » monde du Cirque dans lequel il a grandi à ses dépens.

Mon avis : J’avais découvert Warren Zavatta en mars 2009 au théâtre Trévise où il se produisait une fois par semaine et j’avais été séduit par l’originalité et le ton de son spectacle.
Après une tournée de 150 dates, il a choisi de planter son chapiteau fictif pour quatre mois à la Gaîté Montparnasse où je me suis empressé de retourner le voir, histoire de vérifier s’il avait su garder sa belle sincérité. Et bien, de nouveau, je me suis laissé embarquer par son tour de piste aussi drôle que sensible.
Warren Zavatta est un homme entier. Il a choisi de tourner en dérision tous les pensums et tous les sacrifices que sa condition d’enfant de la balle, de surcroît petit-fils du plus célèbre clown français de l’histoire du Cirque, lui avait imposés. Il prend un ton détaché, voire ironique, mais les blessures sont là, en filigrane, dans les non-dits. Et, parfois, le ressentiment se fait plus fort, et il balance, de façon un peu abrupte. Papy Achille lui a carrément « pourri » sa jeunesse. Et pourtant…

Pourtant, sans cet héritage gravé dans son ADN, il n’aurait jamais interprété de one man show en forme de thérapie. Rien ne sert de lutter et d’essayer d’aller contre les liens du sang. Il est né Zavatta, il a reçu la formation d’un Zavatta, il a dû apprendre toutes les disciplines circasiennes (sauf l’acrobatie parce que trop grand). Il sait donc tout faire, et il nous le prouve en s’en moquant. Il jongle avec ses souvenirs, il crache du feu comme il crache ses vérités, il se crame littéralement devant nos yeux ébahis. Il joue même du saxo. Curieusement, il est plutôt mal embouché avec la trompette, l’instrument estampillé patriarcal. Trop connoté sans doute, le « biniou » !

Non seulement on assiste à un spectacle total entrecoupé de numéros de cirque, mais on est très à l’écoute de ce qui est dit. 1 m 92 d’hypersensibilité goguenarde, ça ne laisse pas indifférent. Ce spectacle ne ressemble à aucun autre. D’une part en raison de sa facture, de son aspect hybride et, d’autre part, en raison de la personnalité de l’artiste et de son authenticité. Il nous la joue bourru et, parfois même désinvolte, alors qu’on le sent débordant de tendresse et de pudeur. Ce grand garçon est un paradoxe extrêmement attachant.
En conclusion, s’il a choisi de s’installer à la Gaîté, c’est tout un symbole car, en conformité avec l’adage, il vaut mieux en rire plutôt que d’en pleurer. Warren Zavatta a choisi la bonne attitude…

jeudi 3 février 2011

Arnaud Ducret "Pareil... mais en mieux"


Petit Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Textes d’Arnaud Ducret, Jérôme Commandeur, Karim Adda
Mise en scène de Karim Adda

Ma note : 8/10

Présentation : La légende raconte qu’il a surgi du chaos le 6 décembre de l’an 78 afin de faire rire les femmes, les enfants, les vieux, les nains, les gays… les vieux nains gays. Certains disent qu’il a un don venu d’ailleurs, d’autres de nulle part.

Mon avis : Ce garçon a tout pour lui. Avec son physique de jeune premier qui ne se la pète pas, aussi cool qu’il est charismatique, il s’empare de la micro-scène du Palais des Glaces avec l’aisance d’un vieux briscard et la fougue d’un adolescent. Il possède un des éventails les plus larges qu’il m’ait été donné de voir. Son entrée, avec un jeu à plusieurs personnages – donc à plusieurs voix - est originale. Et, d’emblée, il casse son image de beau gosse en se moquant de lui-même. Léon, son premier portrait, porte en lui tout le terroir du bocage normand avec accent rouenais et débit à faire fuir un drakkar de Vikings. Rien de tel pour perdre d’un coup tout pouvoir de séduction… On remarque au passage que sa production n’a pas lésiné sur les moyens en lui permettant de se déplacer à mobylette sur son terrain de jeu. Mais ne vous inquiétez pas, il ne pollue pas…
Du deux-roues au cheval, il n’y a qu’un changement de monture et de Rouen à Jeanne d’Arc, il n’y a qu’un petit tas de cendres. Une habile digression, et le voici en pucelle très cavalière juchée sur un destrier si impétueux qu’il pourrait gagner le Prix de l’Arc-de-Triomphe. Car il est très, très physique. Et vachement souple aussi. Et il chante et danse super bien. Il est même équipé d’une beat-box. Il ne ménage pas sa peine, il y va à fond, prend des postures, excelle en expressions en tous genres, fait des bruitages, jongle avec les accents, et il n’a même pas peur de se ridiculiser… On dirait qu’il est plusieurs. Ce qui est d’ailleurs le cas…

Arnaud Ducret sait tout faire, tout jouer. Il pratique l’humour noir comme la gaudriole potache, Il est capable de passer sans transition de la gonzesse maniérée et bien barrée au karaokéyeur ringard en train de massacrer sans vergogne All By Myself, ce qui est carrément criminel et dégueulasse pour Eric Carmen ; il joue aussi bien le chorégraphe homo (pléonasme), que l’ex-chauffeur de salle qui balance sur la télé ou le fan un peu simplet de Michael Jackson…
Bref, il a « en magasin » toute une galerie de personnages absolument épatants. Mais non seulement ses créatures sont gratinées, mais il les fait intelligemment évoluer dans des contextes ou dans des situations qui ont du sens, ce qui les rend encore plus drôles. Vous n’en saurez pas plus car il FAUT aller le voir. Vous allez tomber sous le charme et serez conquis par sa folle inventivité et sa saine débauche physique. Pareil, mais en mieux est un spectacle on ne peut plus total. Arnaud Ducret est immédiatement sympathique. Grâce à la proximité avec le public du Petit Palais des Glaces, il installe un climat de connivence et de convivialité absolument réjouissant. J’ai pris beaucoup de plaisir avec ce garçon. En tant que spectateur, s’entend…

mardi 1 février 2011

Rien à déclarer


Un film de Dany Boon
Scénario et dialogues de Dany Boon
Avec Benoît Poelvoorde (Ruben Vandevoorde), Dany Boon (Mathias Ducatel), Karin Viard (Irène Janus), François Damiens (Jacques Janus), Laurent Gamelon (Duval), Bruno Lochet (Tiburce), Julie Bernard (Louise), Bouli Lanners (Bruno Vanuxem), Olivier Gourmet (Le prêtre), Philippe Magnan (Le Divisionnaire Mercier), Guy Lécluyse (Grégory Brioul), Zinédine Soualem (Lucas Pozzi)…

Ma note : 7/10

Synopsis : 1er janvier 1993 : passage à l’Europe. Deux douaniers, l’un Belge, l’autre Français, apprennent la disparition prochaine de leur poste frontière situé dans la commune de Courquain (France) et Koorkin (Belgique).
Francophobe de père en fils et douanier trop zélé, Ruben Vandevoorde se voit contraint et forcé d’inaugurer la première brigade volante mixte franco-belge… Son collègue français, Mathias Ducatel, considéré par Ruben comme son ennemi de toujours, est secrètement amoureux de sa sœur. Il surprend tout le monde en acceptant de devenir le coéquipier de Vandevoorde et de sillonner avec lui les routes de campagne frontalières à bord d’une 4L d’interception des douanes internationales.

Mon avis : Il est sûr qu’après son extravagant succès des Ch’tis, Dany Boon est attendu au tournant. Et, de fait, l’ensemble des critiques, qu’elles soient belges ou françaises, ne l’ont guère épargné. Certains reproches sont justifiés, d’autres sentent le règlement de compte atrabilaire… Je me souviens avoir écrit au moment de la sortie des Ch’tis que ce n’était pas là la comédie de l’année, mais qu’on y passait un agréable moment. Personne n’aurait pu prédire à ce film les scores surréalistes qu’il a atteints. Faire mieux que La Grande vadrouille, ça laisse pantois… Mais bon, après tout, c’est le public qui a raison.
Très honnêtement, j’ai passé un bon moment avec Rien à déclarer, même s’il est truffé de poncifs et de lieux communs, s’il est tout-à-fait prévisible, c’est une vraie bonne comédie. Comme beaucoup, elle repose sur un binôme totalement antagoniste. Le bon, le doux, le gentil Dany Boon, et le survolté, l’enragé, le fanatique Benoît Poelvoorde. Le principe est éculé, mais il marche à tous les coups.
Une des forces de ce film, c’est sa distribution jusqu’au plus petit rôle. Le couple de restaurateurs formé de Karin Viard et de François Damiens est savoureux. Karin sait tout jouer, elle est excellente en épouse accablée par la balourdise de son mari qui devient, en raison des événements opportuniste puis vénale. Quant à son Jacques de mari, c’est une andouille magnifique, un brave mec un peu bas de plafond, mais il veut tellement se rendre utile qu’il en devient touchant. C’est Rantanplan.
Laurent Gamelon campe un truand inquiétant, impitoyable, violent et dénué de tout scrupule. Il nous la joue à l’américaine. Très bonne idée que de lui avoir confié ce rôle de méchant. Et il paraît d’autant plus cruel que sa tête de Turc, Bruno Lochet, est un garçon timoré, un malfrat à la petite semaine, conscient de ses milites très peu élevées et donc fataliste. C’est un loser né. Il est tout simplement grandiose.
Bouli Lanners tire lui aussi son épingle du jeu en subalterne souffre-douleur de Benoît Poelvoorde.
Enfin, révélation de ce film, Julie Bernard apporte une note de fraîcheur, d’authenticité. Elle est parfaite en jeune femme écartelée entre son amoureux transi et pusillanime, mais tellement brave, et sa famille de francophobes exacerbés qu’elle aime bien quand même. Elle va être l’aiguillon qui va pousser Dany Boon à enfin prendre quelques initiatives plus ou moins réussies. Dany Boon a eu le nez fin en allant la chercher pour le rôle de Louise…

Sincèrement, on se laisse embarquer par cette histoire tout simple agrémentée d’un bon lot de scènes particulièrement cocasses. Il y en a trois ou quatre qui sont vraiment à se tordre (je pense à l’épisode du chien renifleur par exemple). Alors, que ça plaise ou non à quelques pisse-froid, ce film va marcher. C’est une bonne comédie avec des personnages picaresques, voire caricaturaux, mais tellement humains. Il ne fera certes pas ses 20 millions d’entrées, mais il va atteindre des chiffres très conséquents. C’est couru d’avance. On ne se prend pas le chou, on voit s’ébattre des personnages qu’on aime bien. Quant à ceux qui reprochent à Poelvoorde d’en faire trop, je ne suis pas d’accord avec eux. Il est dans sa logique de cow-boy wallon raciste et obtus. Il est à fond dans son personnage. Et il nous offre quelques numéros de bravoure qui sont réellement réjouissants.
Avec son passeport vers le succès, ce film, très populaire, est parti pour tutoyer les sommets du box office. On parie ?