vendredi 29 juin 2012

Bruno Coppens "Le Fond de l'ère effraie"


La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Spectacle écrit par Bruno Coppens
Mis en scène par Eric de Staercke
Avec Bruno Coppens et Pierre Poucet (pianiste-comédien)
Chansons d’Eloi Baudimont
Lumières de Benoît Lavalard

Le thème : Quand une fille de 20 ans vous assassine d’une phrase : « Ma mère aime beaucoup ce que vous faites ! »… Lorsqu’en parlant avec vos propres enfants, vous sentez que vous vivez en plein décalage horreur… Lorsque vous ne maîtrisez même pas l’option dictionnaire de votre portable… Y’a de quoi être vénère ! Bruno Coppens est un quinqua vénère. Alors, il va réagir… Et découvrir le secret de la jeunesse éternelle...

Mon avis : Bruno Coppens, c’est le chaînon manquant entre Raymond Devos et Vincent Roca. Comme eux, c’est un « Maître-mots », un homme qui a, poussée à son plus haut degré, l’éthique de la phonétique et une curieuse manie de manier le verbe. Non seulement il souffre de « dico »-tomie, mais il s’aime en tics ; en tics de langage. Et, paradoxalement, alors qu’il dénature les mots, on ne peut être qu’en bons termes avec lui… Bref, vous l’aurez compris, ne serait-ce qu’à travers le titre de son spectacle, Le Fond de l’ère effraie, Bruno Coppens est un redoutable manipulateur de la langue, de la conjugaison et de la grammaire. Comme son célèbre homologue Yves, il est lui aussi un paléontologue. Mais qui s’intéresse plus aux faux-syllabiques qu’aux fossiles.

Nous sommes dans un bar. Un bar où trône un piano. Un piano-bar, quoi. Riton, le barman, essuie les verres au fond du café, il n’a rien d’autre à faire que d’écouter les divagations de son dernier client, Bruno Coppens. Il n’a qu’une envie, c’est qu’il la ferme pour pouvoir fermer son petit établissement. Mais il est bien trop courtois pour être ferme. D’autant que Bruno lui confie qu’il fête ce soir son 50è anniversaire. Alors, magnanime, Riton paie sa tournée et condescend à écouter les réflexions de son client. C’est que sa vie n’est pas toute simple au Bruno. Il a des soucis avec un smart-phone particulièrement indiscipliné, des problèmes de communication avec ses deux enfants, et sa petite amie est en train de le quitter. Il traîne ses casseroles avec un mélange d’incompréhension et de philosophie. On peut dire qu’en plein questionnement, ce quinqua y est.

Bruno Coppens est également atteint d’une déformation, d’une forme rare de dyslexie. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il remplace des consonnes pas d’autres sans que cela n’altère la compréhension. Tout repose sur la consonance. C’est très, très drôle. Poétique et drôle. Par exemple : « 50 ans, ça cirrhose : à moi la vie en rôle ! »… Toujours aussi disponible et compréhensif, Riton se glisse devant le piano et accompagne Bruno dans une première chanson au titre on ne plus évocacateur, « Mon quinqua nerveux ». Car, tout au long du spectacle, quelques chanson vont venir illustrer les différents thèmes abordés (ou sabordés) par ce doux dingue.
Bruno Coppens joue avec les mots comme avec un Rubik’s cube. Il les triture dans tous les sens et dans tous les sons et ça donne un résultat parfaitement carré. Du genre : « On se fait du mauvais sang quand on voit comment les mots filent »… Il donne des noms aux objets, entonne le tango du GPS, narre une succulente histoire (belge) d’amour entre deux patates, ce qui se traduit par un exercice brillantissime avec force allitérations en « p », il se scarifie le torse en direct… A la suite d’une astucieuse trouvaille de mise en scène, il se métamorphose soudain en un clone de Dick Rivers avec blouson de cuir et banane puis, à travers un vibrant éloge de la graisse, il rend hommage à son modèle, Belge comme lui (mais qui n’était pas un plat « pays »), Raymond Devos.

Devant ce déferlement étourdissant de jeux de mots et de dé-tricotage de sens, on ne peut pas se laisser aller au moindre moment d’inattention. Dans la salle, les gens gloussent de contentement. Comment rester insensible quand il nous raconte l’idylle de deux allumettes ? Ou quand il se mue en mime et remet tout à deux mains ?... Ses mots roses ne sont jamais tristes, et ses mots cœur sont attendrissants. Si parfois le mot ment, il a toujours le verbe haut. Le mot naît de sa pièce. Une pièce qui se termine en un grand jeu interactif et joyeux avec le public, à partir des deux mots « Allo » et « Ici », un jeu dont je vous laisse en découvrir tout le sel, un jeu dans lequel Bruno Coppens fait encore une fois preuve d’une incroyable virtuosité et d’une incomparable vivacité d’esprit.

mercredi 27 juin 2012

Dis-moi oui !


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce de Louis-Michel Colla
Mise en scène par Etienne de Balasy
Scénographie de Sarah Bazennerye
Costumes de Pauline Gallot
Musique d’Hervé Devolder
Lumières de Romi Poonoosamy
Avec Eric Laugérias (Dédé), Jean-Baptiste Martin (Vincent), Angélique Thomas ou Noémie Elbaz (Marie), Julie Victor (Liliane)

L’histoire : En ce petit matin d’août, Vincent, jeune étudiant au chômage, se pose de graves questions existentielles : pourquoi a-t-il eu l’idée saugrenue de s’improviser cambrioleur ? Et comment cette petite erreur d’appréciation a-t-elle pu déchaîner un tel déferlement de quiproquos, rebondissements, mensonges abracadabrantesques et autres improvisations hasardeuses ? Il y a des matins comme ça où il vaudrait mieux rester couché…

Mon avis : Dis-moi oui ?... Et bien oui… Je leur adresse un grand OUI aux quatre comédiens qui apportent tout leur talent et toute leur énergie pour faire vivre cette pièce et en faire un vrai divertissement. Grâce à leur générosité, à leur complicité et à leur fantaisie, on ne s’ennuie pas une seconde en dépit d’une intrigue pour le moins tirée par les cheveux. Cartésiens s’abstenir.
En effet, à vouloir accumuler les quiproquos et les rebondissements à un rythme échevelé, on en perd de la rigueur et de la crédibilité. Ici, les ficelles sont grosses, énormes et l’auteur a tiré dessus jusqu’à les rendre si ténues que l’on craint qu’elles le lâchent. Or, si elles ne craquent pas, c’est parce que les comédiens s’emploient d’une façon telle qu’ils réussissent à nous captiver quand même. Tout cela, on le doit à leur jeu.

Toute l’action se déroule dans la chambre à coucher d’une jeune fille. Il fait nuit, nous sommes au mois d’août, un monte-en-l’air vêtu de noir et cagoulé fait irruption par la porte-fenêtre. Il s’est hissé jusqu’à ce sixième étage à l’aide d’une corde. On comprend vite que l’on a affaire à un amateur tant il est maladroit. Mais comme il pense que l’appartement est vide de son occupante habituelle, il n’est pas inquiété par le bruit qu’il fait. Hélas pour lui, le lit est occupé par une jeune femme qui, évidemment, est réveillée en sursaut par le boucan qu’il fait. Hélas pour lui, la jeune femme est armée. Hélas pour lui, la jeune femme est un juge. Hélas pour lui, la jeune femme est particulièrement rouée…
Il va d’en suivre un jeu du chat et de la souris, chacun tentant à tour de rôle de prendre le dessus. Avec ses dialogues décalés, le début de ce bras de fer est réellement plaisant. Il y a un petit côté comédie américaine. On pense à Charade, avec Cary Grant et Audrey Hepburn. Jean-Baptiste Martin, qui joue Vincent, le cambrioleur en herbe, a le charme et l’élégance légère du premier, Julie Victor, qui campe Liliane, la juge, a la pétulance et l’esprit mutin de la seconde. Leur petite joute est très agréable à voir, du moins jusqu’à ce qu’elle commence un peu à tourner en rond par manque d’arguments.

Heureusement, l’arrivée d’Eric Laugérias va relancer la machine. Au départ, on ne sait pas trop qui il est. On pense qu’il est le mari de la jeune femme, puis celui de Marie, l’occupante officielle des lieux. Enfin, au bout d’un certain temps, on apprend qu’il est le père de Marie. La seule chose dont on soit sûr c’est que, vu le costume, il est capitaine de gendarmerie. Tout au long de cette pièce, Eric Laugérias va se livrer à un numéro de haute voltige. Est-ce dû à l’uniforme ? Toujours est-il qu’il a des mimiques et des postures qui ne vont pas sans rappeler Louis de Funès. Cette comparaison vaut compliment car il le fait avec finesse, en y mettant suffisamment de nuances et de retenue pour ne pas tomber dans la caricature. Il a hérité avec Dédé d’un personnage intéressant pour un acteur. Il est en effet la seule personne honnête de ce quatuor. Autant ses trois partenaires sont menteurs, machiavéliques, vicelards, autant il est droit dans ses rangers, rigide dans ses valeurs, naïfs dans ses sentiments. En plus, derrière le polo bleu ciel siglé Gendarmerie, bat un cœur de brave homme, un brave homme qui se bagarre avec sa déontologie de militaire. Le père est en opposition avec l’officier de police judiciaire. Il est sans cesse tiraillé entre ces deux fonctions. Honnêtement, il nous livre là une prestation irrésistible de drôlerie…

Mais, pour que ce personnage remarquablement construit fonctionne, il lui faut des comparses qui tiennent le rôle de révélateur. Et là encore, je dis « oui » au casting. J’ai déjà évoqué Jean-Baptiste Martin. Il est, contre son gré, le pivot de l’histoire. Bien que pendant les trois-quarts de la pièce, il se retrouve empêtré comme une mouche dans une toile tissée par deux araignées vénales et vénéneuses, il se refuse à jouer les victimes expiatoires. Il semble se décourager un moment, puis il réagit et se rebelle. Pour cela, il se dépense sans compter et il mouille le tee-shirt au propre comme au figuré. Il ne s’économise pas le bougre.
Et puis il y a les deux jeunes femmes. Julie Victor apporte à Liliane sa réelle fantaisie, sa rousseur flamboyante, son charme coquin sans être jamais provocant, sa roublardise et aussi sa candeur. Elle veut jouer les fortes femmes, mais sa fragilité et son désarroi prennent parfois le dessus, la rendant infiniment plus humaine. En plus, elle a des trouvailles rigolotes, n’hésitant pas à sortir avec à-propos un jeu de mot visiblement non écrit par l’auteur. Sa propension à la plaisanterie ne la met en revanche jamais à l’abri d’une surprise devant les pitreries contrôlées de Laugérias… Quant à Noémie Elbaz – c’est elle qui tenait le rôle de Julie mardi soir – c’est une petite tornade pleine d’enthousiasme et de fougue. Elle non plus ne fait pas dans la demi-mesure. Elle improvise un vrai personnage de boulevard avec sa tonicité, sa folie, ses outrances. Jolie, sensuelle, espiègle et pétillante, enjôleuse avec son père, elle fait preuve d’un sacré tempérament. D’autant que, quelque part, c’est elle la manipulatrice, celle qui manigance tout. Dans un drame, elle serait haïssable. Mais dans une comédie, on accepte aisément son machiavélisme ; qui n’est en fait que le système d’auto-défense d’une biche aux abois.

Dis-moi oui ! est une pièce où domine le comique de situation. Et il y a quelques scènes qui sont absolument désopilantes. Il y en a même une, celle où les deux jeunes femmes se parlent pour la première fois, qui est assez touchante car elles se montrent enfin elles-mêmes, avec leur vulnérabilité… En conclusion, une fois que l’on a décidé de faire abstraction des énormités de l’intrigue, de l’aspect ubuesques des rebondissements et du surréalisme des ressorts, si l’on se contente uniquement de se focaliser sur le jeu des comédiens, on passe une soirée somme toute très divertissante. Un spectacle rafraîchissant pour l’été, quoi.

lundi 25 juin 2012

Ladies Night


Alhambra
21, rue Yves Toudic
75010 Paris
Tel : 01 40 20 40 25
Métro : République / Jacques Bonsergent

Une pièce de Anthony Mc Carten, Stephen Sinclair, Jacques Collard
Mise en scène par Thierry Lavat
Chorégraphie de Mélanie Dahan
Décors d’Olivier Prost
Costumes d’Anne-Cécile Le Quéré
Lumières de Madjid Hakimi
Avec Linda Hardy (Glenda), Bruno Sanches (Benoît), Julien Tortora (Manu), Alain Azerot (Wes), Luc Tremblais (Gérard), Patrick Rocca (Bernie), Bruno Paviot (Jacky), Xavier Martel (Steph).

L’histoire : Dans une société en crise, une bande de copains touchés par le chômage décide de se lancer dans un dernier défi : faire un striptease comme les Chippendales ! Leurs motivations ? Se prouver qu’ils sont capables d’exister au-delà de leur détresse sociale, familiale et morale. Malgré la difficulté du challenge, ils resteront unis grâce à Glenda, ex-daanseuse, qui les soutiendra et les mènera jusqu’au show final…

Mon avis : Cette pièce est inspirée par le film de Peter Cattaneo, The Full Monty, sorti en 1997. On l’a transposée de Sheffield pour le Nord de la France, région elle aussi durement touchée par le chômage… Elle a été créée pour la première fois en France en 2000 avec entre autres Lisette Malidor, Olivier Marchal, Manuel Blanc, Pierre Cosso… Douze ans après, reprise à l’Alhambra avec une nouvelle distribution, elle est hélas toujours autant d’actualité.

Ladies Night est une comédie sociale sur fond de chômage. Six hommes, pour la plupart anciens mineurs, se retrouvent désoeuvrés, mal dans leur tête, mal dans leur peau. Ils recherchent vainement du boulot et leur mise à l’écart du monde du travail a de douloureuses répercussions sur leur quotidien. Et plus particulièrement dans leur vie de couple et de père. La seule chose qui les tient, c’est un solide lien d’amitié. Comme toujours quand on se trouve dans l’adversité, on se réfugie dans l’ironie. C’est la façon pudique et un peu con des mecs de ne pas se monter de l’affection. Ils se chamaillent comme des gamins, se vannent, se provoquent, en viennent presque aux mains. Mais un transfert de cible et une cannette de bière ont tôt fait de les rabibocher.

Dans cette version 2012, le casting est parfait. Nous avons d’abord affaire à des êtres humains, à des êtres simples avec des physiques banals. Ils sont tellement leurs personnages, qu’on en oublie qu’on est au théâtre. Au-delà de la détresse de leur situation professionnelle et familiale, c’est lorsqu’ils sont ensemble qu’ils existent socialement. Ils se disent tout de leurs problèmes respectifs. Et soudain, le gris de leur morne existence s’éclaire d’une petite, toute petite, lueur d’espoir, un projet complètement fou auquel ils vont s’accrocher comme à une bouée de sauvetage. Toute leur énergie va être focalisée sur ce pari insensé : créer tous les six un numéro de striptease intégral à la façon des Chippendales ! Pourtant, à part Manu (Julien Tortora), ils n’en ont ni la plastique, ni le look. Et puis, il faut apprendre à bouger, à se dévêtir artistiquement sur une musique entraînante. Ce n’est pas vraiment leur truc. C’est là qu’intervient Glenda (Linda Hardy), ex-danseuse, comme eux à la ramasse, mais qui, contrairement à eux, a encore la niaque. Elle va les prendre à bras-le-corps, au sens propre. Elle va devoir composer avec leurs complexes, avec leurs peurs et avec leur fierté de mâle.
Par rapport au millésime 2000, j’ai trouvé que Linda Hardy apportait un petit quelque chose de plus réaliste que Lisette Malidor, qui était plus hiératique, plus inaccessible. La Glenda 2012 est plus proche de ces losers, elle est du même milieu qu’eux, elle est de leur famille ; alors, elle n’a pas de problème pour les comprendre et pour les amener là où elle veut les amener. Elle sait comment il faut leur parler.

Ladies Night est une pièce où l’on rit beaucoup. Cette brochette de comédiens, avec ses personnages si bien typés, est touchante de naïveté et de maladresse. Les dialogues sont simples et efficaces, les vannes savoureuses. On est avec eux, on est eux. On n’a aucune difficulté à se projeter dans leur trip. Aussi irréaliste fût-il.
D’ailleurs le public ne s’y trompe pas, qui réagit comme les spectateurs – et surtout spectatrices – de ce cabaret, qui les encourage, qui les chambre, et se dresse spontanément pour saluer et applaudir leur performance. Si bien que l’on passe un bon moment de partage et de convivialité avec ces Metallo Boys qui nous sont si chair...

mardi 19 juin 2012

Garnier et Sentou


La Cigale
120, boulevard de Rochechouart
75018 Paris
Tel : 0 892 68 36 22
Métro : Pigalle / Anvers

Ecrit et interprété par Cyril Garnier et Guillaume Sentou
Mis en scène par Patrice Soufflard
Lumières de David Chaillot

Infos : Ce soir, 19 juin, le rideau rouge de la Cigale tombera pour la dernière – a priori – des représentations parisiennes du duo Garnier & Sentou. Pour assister à leur spectacle, il faudra désormais soit vous rendre en Avignon où ils se produiront du 7 au 28 juillet au théâtre des Béliers, soit guetter leur passage chez vous lors de leur tournée prévue en province de septembre à décembre 2013. Mais, entre temps, vous pourrez vraisemblablement les retrouver dans une pièce de théâtre qu’ils devraient jouer à Paris à la rentrée 2012…

Mon avis : Pour être honnête, Garnier et Sentou, je les connaissais peu et mal jusqu’à ce que je les découvre dans une pièce, A deux lits du délit, dont ils partageaient la vedette avec Arthur Jugnot. Dans ce vaudeville moderne particulièrement trépidant, ils m’avaient emballé par leur brin de folie, leur dynamisme et leur sens du rythme. Non seulement ils se révélaient excellents comédiens, mais ils étaient sidérants d’énergie. Sous la baguette de Jean-Luc Moreau, ils métamorphosaient parfois cette pièce en un véritable cartoon mâtiné de film burlesque des années 30… Et puis, je les ai retrouvés avec un plaisir sans cesse renouvelé dans leurs prestations télévisuelles dans l’émission de France 2, On n’ demande qu’à en rire, dont on ne sera jamais assez reconnaissant à Laurent Ruquier de l’avoir imaginée puis fait grandir jusqu’à créer une formidable troupe.

C’est donc avec une certaine gourmandise que je suis allé les voir dans LEUR spectacle à eux, à la Cigale. J’avais envie de les voir sur la longueur. Pour cette première soirée de leurs dernières parisiennes, ils recevaient le soutien de certains de leurs juges (Catherine Barma, Eric Métayer) et arbitre (Laurent Ruquier), ainsi que de leurs pairs (Nicole Ferroni, les Kicékafessa). Quant au public, il est patent qu’il est presque entièrement composé de téléspectateurs fidèles de l’émission. C’est un public différent de celui des habitués des salles de théâtre car il se croit toujours dans son salon face au petit écran. C’est-à-dire, qu’il est plus réactif, moins policé donc plus turbulent. C’est un public chaud qui n’hésite pas à faire ses réflexions tout haut et à donner son avis. Ce public-là est né avec la Star Academy. Il faut donc apprendre à le gérer et savoir pratiquer l’interactivité. Chose que Garnier et Sentou maîtrisent à la perfection.

Lorsque, un peu plus haut, j’utilise les mots de « cartoon » et de « film burlesque », je crois que ce sont les deux piliers sur lesquels Garnier et Sentou on construit leur univers. Déjà, leur entrée en scène est surprenante. C’est celle de deux gymnastes qui se livrent à quelques exercices d’échauffement. Quand on se prête à ce genre d’acrobaties, c’est signe que l’on fait entièrement confiance en son partenaire, qu’il saura vous tendre la main et vous renvoyer la balle au bon moment. Entente physique donc et entente spirituelle. Car ces deux là s’entendent comme larrons en foire. Leur complicité est jouissive et communicative. Pourtant, ils commencent leur spectacle avec un différend d’ordre artistique qui les amène à une sévère dispute. Tout cela pour nous amener à leur premier sketch, celui de « La Baignoire ». On entre de plain-pied dans l’absurde. Ça ne veut absolument rien dire, ça n’a ni queue ni tête, mais les images que ça engendre sont savoureuses et les jeux de mots qui l’émaillent sont d’un très, très bon niveau. C’est un exercice de style qui nécessite une grande virtuosité dans le timing…

Les dix sketchs qui suivent nous entraînent dans un monde qui leur est propre. Il y a de la musique et des chansons avec des détournements de tubes sur le thème de la maladie dans lesquels on découvre le vrai talent vocal de Sentou (voix chaude et mélodieuse). Il y a le goût du travestissement avec une certaine Stéphanie Garnier enjôleuse, entreprenante et bêtasse à souhait. Il y a une page scientifico-saugrenue avec le mode de fonctionnement en coupe des cordes vocales qui donne lieu à un numéro très visuel. Comme ils sont très physiques, le visuel est primordial dans leur spectacle, il compte autant que les mots… Ce qui les amène tout naturellement à une séquence chanson de gestes. Un simple panneau leur suffit derrière lequel ils se livrent à une série de gags exclusivement visuels (nous y revoici), puis qui se transforme en un urinoir propice à une rencontre croquignolette entre un fan et une star du sifflement… Toujours aussi visuel, suit un sketch entre un pseudo ventriloque et sa marionnette aux désirs d’indépendance, ce qui, une fois encore, permet à Sentou de faire preuve d’une incroyable souplesse et maîtrise corporelle…
Ce qui est épatant avec eux c’est que, même quand leur texte est moyen, ils réussissent à la sublimer par leur jeu, leur loufoquerie, leur prodigualité… Après avoir joué aux petits soldats chargés de surveiller la salle tout en se livrant à des réflexions à volonté intellectuelles sur l’art ou sur d’autres thèmes, ils nous proposent un de leurs trois meilleurs sketchs (avec la Baignoire et la 3D), celui que l’on pourrait baptiser « le coming-out ». C’est Pagnol qui quitte le Château de sa mère pour le Stade Vélodrome, c’est César qui est devenu supporter de l’Ohême. Un grand moment de comédie pure, dans lequel on boit de la petite (cane)bière… Pour le dernier numéro, place aux filles ; deux nunuches plus vraies que nature qui se préparent pour le mariage de leur copine Cléo en égrenant un chapelet de niaiseries et de banalités et répètent leurs chorégraphies en prévision de la soirée dansante.
En guise de rappel, ils terminent leur show avec ce qui est déjà devenu un véritable tube, la 3D. On l’a vu sur France 2 et au Casino de Paris et on ne s’en lasse pas tant c’est original, inventif et cocasse.

Et c’est une salle spontanément debout qui remercie ces deux énergumènes autant pour leur humour et leur générosité que pour la sympathie qu’ils dégagent.
Garnier et Sentou s’inscrivent dans la tradition des duos comiques français comme Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, les Frères ennemis, Chevallier et Laspalès… Ils ont chacun leur personnalité, leur registre. Ça fonctionne parfaitement. Et ils sont tellement complices et heureux d’être ensemble qu’on peut parier qu’ils sont là pour un sacré bout de temps. D’autant qu’ils n’ont pas fini de grandir… et de nous surprendre.

mercredi 13 juin 2012

Folles Noces


Théâtre 14
20, avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Tel : 01 45 45 49 77
Métro : Porte de Vanves
T3 : Didot

Spectacle écrit et interprété par Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor
Accompagnés au piano par Florian Digne
Lumières de Julien Simon
Costumes de Christelle Yvon

Le pitch : l’histoire est simple : Catherine et Jean-Paul vous invitent à leur mariage… Défilent alors le souvenir de leur première rencontre, le cauchemar pour élaborer le menu, l’intervention d’invités surprise… Un feu d’artifice de sketchs, de chansons fantaisistes et de parodies délirantes pour fêter le plus beau jour de leur vie.

Mon avis : C’est tout simple : Vous aimez la chanson, vous aimez la comédie, vous aimez les parodies et, surtout, vous aimez vous amuser et rire de bon cœur, sans arrière-pensées, Folles Noces est un spectacle tout à fait approprié.
En fait, tout est dans le titre. Nous, public, nous avons le privilège d’être invités à la cérémonie et aux festivités qui entourent le mariage de Catherine et Jean-Paul. Le problème, c’est que nous allons être confrontés à un mariage absolument pas conventionnel car ces « noces » vont se révéler complètement « folles ». Ils nous donnent en quelque sorte le droit d’asile… Dès l’entrée en scène, le ton est donné. En robe et costume de mariés, nos tourtereaux s’avancent dans l’allée centrale dans une horrible cacophonie de casseroles malmenées qui couvre les accents mélodieux de la Marche nuptiale. Cette farce de mauvais goût perpétrée par de mauvais plaisants de la famille de Jean-Paul, n’a pas, mais alors pas du tout, l’heur de plaire à Catherine. Qui ne se gêne pas pour le lui dire, ce qui donne droit à la première scène de ménage. Car Jean-Paul n’a pas l’intention de se lasser faire. S’en suit un échange d’« amabilités » perfides et de remarques de plus en plus persifleuses, une surenchère dans les noms d’oiseaux et les épithètes les plus colorés. Tout cela en musique et sur un texte admirablement écrit… Après ça, comment voulez-vous que leur relation s’établisse dans la plus parfaite harmonie. C’est foutu. Heureusement, chez eux, la désunion fait la force. La cérémonie va se transformer en joute verbale et en règlements de compte entrecoupés de tentatives de retour à la raison et à la sérénité.

Tous les dialogues sont habilement saupoudrés d’extraits de chansons hyper connues, ce qui est fort réjouissant car nous pouvons, dans notre for intérieur, finir leurs phrases en même temps qu’eux.
La deuxième chanson qu’ils interprètent nous plonge alors dans un total délire, dans une débauche d’énergie burlesque. Nous nageons en plein détournement. La chanson ainsi massacrée n’est autre que L’Avventura, de Stone et Charden, elle est exécutée dans une sorte de twist frénétique, avec poses et chorégraphie grotesques. Après un tel moment, nous savons que ces deux là ne vont plus s’imposer aucune limite. Folie annoncée, folie il y a, et sans demi-mesure. Sauf au piano, car il faut saluer la qualité d’instrumentiste de leur accompagnateur, Florian Digne, un musicien à l’aise dans tous les registres.

Après Stone et Charden, nos deux hurluberlus vont ratisser large. Ils revisitent des chansons de Juliette, Dutronc, Bourvil, Thiéfaine, Michel Legrand, Dranem, Georgius, les Frères jacques, Elli Medeiros, Colette Renard, et nous distillent à bon escient des extraits de tubes de Jeanne Mas, Graeme Allwright, Sardou, Gilbert Montagné, Renaud, Dalida, Zizi Jeanmaire, Sacha Distel, Goldman, Claude François… C’est un joyeux « hétéroclite parade » qui survole toute l’histoire de la chanson française. Ils ne sont pas sectaires.
Or, pour pouvoir interpréter un tel éventail de chansons, il faut être sacrément doué. Et sur le plan vocal, et sur celui du jeu. Catherine et Jean-Paul nous offre une véritable performance dans ces deux domaines.
Loin de moi l’idée de vous dévoiler à quelles pitreries ils vont se livrer, quels accoutrements ils vont revêtir pour camper tel ou tel personnage.

En revanche, je me dois de souligner l’incroyable prestation de Jean-Paul Delvor. Cet homme est complètement barré. Il chante, danse, s’agite, se trémousse, gesticule ; il est sans cesse en mouvement. Homme caoutchouc, aucune partie de son corps ou de visage n’est au repos. D’une incroyable générosité, il est à fond dans le cartoon parodique.
Mais pour que des noces soient réussies, fussent-elles folles, il vaut mieux être deux. Et la réplique que lui offre Catherine Delourtet est amplement au diapason. Bien sûr, en tant que femme, elle ne peut pas s’aventurer dans le registre de la débauche physique frénétique de son complice. Elle, elle se cantonne plus dans celui de la comédie (bien qu’elle n’hésite jamais à se livrer à des chorégraphies farfelues et n’a aucun scrupule à se complaire dans le ridicule). Avec son visage expressif, elle joue la femme autoritaire, un tantinet revêche tout en sachant parfois se montrer très chatte.

Ils sont parfaits tous les deux. Ils atteignent un sommet de drôlerie dans une sorte de bouquet final dans lequel ils font défiler et incarnent une dizaine de couples célèbres (Roméo et Juliette, Cyrano et Roxane, Quasimodo et Esméralda, Ulysse et Pénélope, César et Cléopâtre, Léonard de Vinci et Mona Lisa, J.R. Ewing et Sue Ellen, Bonnie et Clyde, Tarzan et Jane et, évidemment, nos chers géniteurs, Adam et Eve. C’est drôle à souhait, complètement cocasse, c’est parfois (pour notre plus grand plaisir) du grand n’importe quoi (en apparence, du moins, car c’est vraiment chiadé).
Bref, Catherine et Jean-Paul ne s’aiment pas un peu, ni même beaucoup, mais à la folie. C’est vrai qu’il y a de quoi en perdre les pétales tout au long de ce spectacle absolument réjouissant et roboratif.