samedi 2 juin 2012

L'Alouette


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Jean Anouilh
Mise en scène par Christophe Lidon
Décor de Catherine Bluwal
Costumes de Pascale Bordet
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Avec Sara Giraudeau (Jeanne), Olivier Claverie (Le Promoteur), Stéphane Cottin (Warwick), Marie-Hélène Danède (La mère de Jeanne, la Reine Yolande), Joël Demarty (Beaudricourt, Le Connétable), François Dunoyer (le père de Jeanne, l’Inquisiteur), Jacques Fontanel (Boudousse), Maëlia Gentil (Agnès), Bernard Malaka (Cauchon), Davys Sardou (Charles)

L’histoire : Jeanne d’Arc… Un mythe. Une jeune fille innocente et pleine de bon sens, diablement forte et courageuse… La petite bergère, seule, face à la justice des hommes, va revivre son épopée devant les juges. Avec son esprit aiguisé et son sens de l’humour, Jean Anouilh dresse, loin des représentations habituelles de Jeanne, le portrait d’une femme passionnée et éternellement moderne, devenue immortelle en incarnant la liberté, l’intelligence, la sagesse du peuple, l’indépendance face à la sottise bornée des puissants et des institutions établies dans leurs certitudes.

Mon avis : Quel bonheur que cette histoire de Jeanne d’Arc revisitée par l’œil, l’esprit et la plume aiguisés de Jean Anouilh ! C’est, à mon avis, une vision qui pourrait être la plus proche de la réalité tant les comédiens sont crédibles.

Cette pièce mérite d’être vue pour trois raisons essentielles.
D’abord, il y a l’écriture de Jean Anouilh. Très moderne, elle allie le lyrisme à l’impertinence, l’émotion et l’ironie, le réalisme à l’irrationnel, la tragédie au burlesque. Et puis il y a l’aspect satirique. Les institutions, qu’elles soient politiques ou religieuses, sont très habilement brocardées. Les dialogues sont ciselés, sans fioritures ; les répliques sont cinglantes, sournoises, faussement ou franchement candides. Après Colombe (dans laquelle jouait déjà Sara Giraudeau), L’Alouette ne fait que confirmer l’immense talent de dramaturge de Jean Anouilh.

Ensuite, il y a la mise en scène et le jeu des comédiens. Là aussi, on va à l’essentiel. Le décor est on ne peut plus succinct. Hormis cette immense rosace qui envahit l’espace en fond de scène, il n’y a ça et là que quelques sièges. Ce sont les changements de lumières et les projections qui vont apporter le facteur temps ou émotionnel de l’instant. On voit même une escadrille d’oiseaux traverser le ciel vosgien de Domrémy… La mise en scène est nerveuse, variée, parfois académique, parfois fantaisiste. Ce qui fait qu’on ne s’ennuie jamais… Et puis les costumes sont bien jolis… Enfin, il y a la qualité de jeu de tous les acteurs de ce drame. Ils sont tellement complices qu’on dirait avoir affaire à une troupe. En plus, certains d’entre eux sont amenés à tenir plusieurs rôles. Il leur suffit d’adopter une gestuelle particulière et de prendre un accent (par exemple, paysan pour les parents de Jeanne, ou rouler les « r » pour le Connétable) et l’affaire est jouée ; et bien jouée… Ils sont dix et ils sont tous, chacun dans son ou ses registres, formidables. Toute la pièce – je l’ai formulé précédemment – est d’un très haut niveau sur le plan de la dramaturgie. Malgré tout, il y a deux scènes qui, à mon goût, se détachent du lot et proposent un grand moment de comédie, l’une par son intensité, l’autre par son humour. La première, particulièrement haute en couleurs, est la confrontation entre Jeanne et Robert de Baudricourt. La seconde est le tête-à-tête primesautier entre la jeune Lorraine et son roi, le futur Charles VII ; on y frise le vaudeville. Ces deux scènes constituent une véritable gourmandise pour les amateurs de théâtre... Mais il y a également un chanoine pervers, un père frustre, un Anglais plein de morgue, une fiancée très chatte et très arriviste, une mère touchante de tendresse (quoi que...), une reine intrigante, un Cauchon pas tout à fait haïssable, un Inquisiteur rigide et bouffi de certitudes, un Boudousse savoureux... Bons, ils sont absolument tous bons.

La troisième raison de courir voir cette pièce – et non la moindre – est la prestation carrément magistrale de Sara Giraudeau. N’ayons pas peur des mots, on touche au divin. Complètement habitée, elle EST Jeanne. Quelle palette de jeu, quelle sensibilité et quel sens de l’humour ! De sa petite voix flûtée, elle raconte son épopée avec des accents teintés de candeur ou de bon sens. Lorsqu’elle évoque ses conversations avec l’Archange Saint Michel, elle restitue le dialogue en jouant sur deux tessitures, ce qui apporte de la force à l’échange. Jeanne est une parfaite ingénue. Guidée par sa foi, elle a le pardon facile. Son père la roue de coups ? Sous l’avalanche, elle prie pour lui. Tout au long de la pièce, elle s’en tiendra à cette confiance aveugle qu’elle porte au Très-Haut, à ses saints et à ses saintes. Si, par moments, le doute vient l’effleurer, elle le chasse d’un revers de credo. Même s’Il semble la laisser tomber, Dieu – omniprésent pendant une heure trois-quarts – a toujours raison et elle accepte humblement son sort… Pourtant, il arrive que la petite paysanne se dédouble soudain lorsqu’elle se trouve confrontée à un problème qui peut l’aider à accomplir l’entreprise qui lui a été confiée. Soudain, c’est la Missionnée qui prend le dessus. Cette attitude est flagrante quand elle doit convaincre ce soudard de Baudricourt. Elle apparaît alors matoise et rouée. Elle a une de ces façons de se le mettre dans sa poche ! Il ne voit rien venir. Elle le roule dans la farine, obtient tout ce qu’elle veut de lui sans rien lui offrir en échange et, le pire, c’est qu’il croit que c’est lui qui a tout manigancé. Au niveau de la persuasion insidieuse, c’est du grand art. Si cette scène est vraiment délicieuse, elle le doit aussi à la remarquable réplique que donne Joël Demarty à Sara Giraudeau…

Autre morceau de bravoure, la rencontre à Chinon avec Charles. Et là, il faut saluer le brio de Davy Sardou. De pièce en pièce, ce jeune homme ne cesse de révéler un immense talent et ce, dans tous les domaines. Ici, il excelle dans la drôlerie. Il campe un futur monarque puéril, futile, craintif et irresponsable, plus porté sur la gaudriole et le bilboquet que sur les affaires de son royaume. Il est irrésistible. Sa confrontation avec Jeanne, l’opposition des styles, est un véritable bonbon que l'on savoure en souriant.
Pendant près de deux heures, Sara Giraudeau est tout bonnement éblouissante. Elle a tout reçu au niveau des gènes et elle en fait le meilleur usage possible. Aujourd’hui, elle est devenue une incontournable de la scène française. C’est la quatrième fois que je la vois au théâtre, la quatrième fois que je suis bluffé et emballé. Elle sait absolument tout faire sans jamais donner l’impression de jouer tant elle s’approprie ses personnages.

Si, bien sûr, Sara Giraudeau tient la pièce sur ses charmantes épaules, ses neuf partenaires sont largement à la hauteur pour nous offrir un grand et beau moment de théâtre. En tout cas, Jean Anouilh aurait été sacrément fier de cette Alouette-là…

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