samedi 28 septembre 2013

La société des loisirs

Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce de François Archambault
Adaptée par Philippe Caroit
Mise en scène par Stéphane Hillel
Scénographie d’Edouard Laug
Lumières de Laurent Déal
Costumes de Nicole Meyrat
Avec Cristiana Réali (Marie), Philippe Caroit (Marc), Stéphane Guillon (Antoine), Lison Pennec (Anne)

L’histoire : Marie et Marc sont heureux, très heureux. Ils ont un métier stressant mais épanouissant, une maison avec une piscine qu’il faut entretenir, un enfant adorable mais qui pleure beaucoup ; et bientôt un deuxième enfant. Par manque de temps, ils ont choisi cette fois l’adoption : une petite Chinoise. Bref, un couple rayonnant, moderne, un couple modèle… enfin presque…
Ce soir, ils ont invité à dîner Antoine, leur meilleur ami, pour lui annoncer qu’ils ne se verront plus depuis qu’il a repris une vie de fêtard et de célibataire. Mais cette soirée ne va pas se dérouler comme prévu…

Mon avis : Je suis triste, très triste. Faisant abstraction d’un titre peu attractif, je me réjouissais de voir réunis à l’affiche trois personnes que j’apprécie particulièrement, Cristiana Réali, Philippe Caroit et Stéphane Guillon. C’était vraiment alléchant.
Et bien, ils ne m’ont pas déçu. Au contraire, eux et Lison Pennec, que je ne n’avais jamais vue, ont fait preuve d’un indéniable talent. Il n’y a rien à leur reprocher. Ils mettent chacun tout leur cœur à défendre une pièce qui n’est pas à la hauteur de leur brio.


Ça commence plutôt bien avec une présentation originale, sous forme d’interview, du couple Marie/Marc. On assimile très vite les grandes lignes de leur caractère respectif. Adeptes affirmés de la Méthode Coué, ils affichent tous deux un bonheur en trompe-l’œil. Ils se vautrent complaisamment dans l’artifice et le faux-semblant jusqu’à pratiquer un cynisme involontaire. Bref, ils s’illusionnent et cohabitent plus qu’ils ne vivent ensemble. D’ailleurs, leurs conversations sont complètement fumeuses, au propre comme au figuré.

On se dit que, quand les invités vont faire leur entrée, les échanges vont être croquignolets. Effectivement, l’arrivée d’Antoine et Anne va donner lieu à quelques jolies passes d’arme. Et puis la pièce commence à se déliter, à tourner en rond, à s’installer dans une sorte de faux rythme. Ça me donnait l’impression d’une scie émoussée qui aurait néanmoins gardé ça et là quelques dents bien acérées. En effet, de temps à autre, on s’amuse à quelques répliques bien senties, à quelques fulgurances acides et vachardes qui nous font regretter qu’elles ne soient pas plus nombreuses. Ce serait comme un plat assez fade qui nous surprendrait parfois par quelques bouchées bien relevées.


J’en ai déjà parlé, le titre, La société des loisirs, est trop pompeux, trop ambitieux ; il ne peut que desservir la pièce car il n’est pas explicité. On comprend bien sûr ce qu’il voudrait dire, mais le thème n’est pas sociétal. Il ne repose que sur le relationnel individuel de quatre personnes… Ensuite, le postulat de départ - organiser un dîner pour annoncer à leur meilleur ami qu’ils ont décidé de ne plus le voir en raison de sa vie de débauche – c’est tout de même une attitude plutôt rarissime. Il va en découler des situations et des dialogues peu plausibles… En revanche, vers la fin, il y a une scène réellement réussie, un petit moment de folie plein de vivacité qui, là encore attise nos regrets. Avec une écriture plus rigoureuse, cette comédie aurait pu être d’un très bon niveau.

On se contente donc de quatre excellents numéros d’acteurs. Comme toujours, Cristiana Réali est parfaite. Elle a une vraie présence comique… Philippe Caroit joue à merveilles un type pusillanime et versatile… Stéphane Guillon confirme qu’il a la carrure et un bel éventail de jeu pour mériter une belle carrière au théâtre… Et Lison Pennec est une jolie révélation. Elle joue juste, fait preuve d’un bel abattage et de beaucoup de finesse…
En conclusion, on assiste à quatre beaux numéros de solistes, des interprètes à qui ont fait jouer une partition qui ne nécessite hélas pas autant de virtuosité. On voit bien qu’ils ont accompli un sacré boulot, qu’ils y ont mis tout leur cœur, qu’ils sont vachement complices… Bref, ce sont quatre brillants acteurs embarqués dans un mauvais scénario.
Oh, comme je suis chagrin…

vendredi 27 septembre 2013

Robin des Bois

Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 01 40 68 22 22
Métro : Porte Maillot

Spectacle écrit par Lionel Florence et Patrice Guirao
Mis en scène par Michel Laprise
Chorégraphies de Hakim Ghorab et Yaman Okur
Consultant artistique : Brahim Zaibat
Réalisateur et arrangeur des musiques : Frédéric Château
Décors et scénographie de Es Devlin
Costumes de Stéphane Rolland et Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières d’Yves Aucoin
Avec M. Pokora (Robin), Stéphanie Bédard (Marianne), Dume (Vaizey, shérif de Nottingham), Nyco Lilliu (Frère Tuck), Marc Antoine (Petit Jean), Caroline Costa (Bédélia), Sachan Tran (Adrien)

L’histoire : An 1313. Robin des Bois et Marianne sont séparés depuis une quinzaine d’années. C’est Marianne qui, sans aucune explication, a voulu qu’il en soit ainsi. Peu de temps après, la jeune femme mettait au monde Adrien, le fils de Robin. Elle tenait à lui cacher l’existence de cet enfant pour qu’il puisse œuvrer sans entrave pour la justice sociale.
Adrien, aujourd’hui âgé de 17 ans, s’est épris de Bédélia, la fille de Vaizey, Sire de Nottingham, qui règne en despote sur le Comté. Sachant que Sir Vaizey n’acceptera jamais leur union, les jeunes gens décident d’aller vivre leur amour dans la forêt sous la protection de Marianne.
Lorsqu’il découvre la trahison de sa fille, Sir Vaizey entre dans une colère noire. Ses soldats envahissent la forêt, se saisissent d’Adrien et le ramènent au château où il est emprisonné.
Marianne n’a alors plus d’autre choix que d’appeler Robin à leur secours.

Mon avis : Ce spectacle est tout bonnement grandiose. J’utilise volontairement le mot « spectacle » car, paradoxalement, c’est un show plus qu’une simple comédie musicale tant on en prend plein les mirettes. On en retient en effet avant tout des tableaux sublimes et des chorégraphies hors du commun. Sur le seul plan de l’esthétique, j’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau. C’est une totale réussite sur le plan visuel. C’est presque trop riche ! Les décors sont absolument superbes. D’ailleurs – et là il faut saluer le talent du metteur en scène, Michel Laprise – le traitement de ce spectacle est tout à fait cinématographique. Pas seulement pour les décors, mais aussi pour quelques effets spéciaux. Je pense particulièrement à l’utilisation du ralenti dans certaine scène de combat.
Et puis il y a les chorégraphies. On se demande comment des êtres humains peuvent exiger réaliser de telles prouesses physiques à leur corps. C’est un défi permanent à la loi de la gravité. Autant acrobates que virtuoses du hip-hop, ils accomplissent tous et toutes des figures époustouflantes. Rien que pour les danseurs et danseuses, le déplacement au Palais des Congrès vaut le coup.


Dès son entrée en scène Matt « Robin » Pokora nous montre les résultats de l’entraînement intensif qu’il suit depuis des mois. Il accomplit une performance athlétique exceptionnelle, un récital digne d’un gymnaste de très bon niveau. Il ne s’économise pas, il se livre à fond avec un plaisir et une générosité qui forcent le respect.

Et, me direz-vous, et la musique dans tout ça ? Les intermèdes, les arrangements et les orchestrations avec leur dominante celtique soulignent et magnifient l’action. Là aussi, on a bande-son digne du cinéma. Là aussi, on ne joue pas petit bras. On sent qu’on y a mis les moyens… Quant aux chansons, elles sont, pour ce qui me concerne, inégales. Il y a d’authentiques tubes, A nous (pour moi la plus efficace), Le jour qui se rêve, Quinze ans à peine, Notting Hill Nottingham… Sinon, toujours à mon goût, certaines mélodies (pourtant signées de grands noms) ne sont pas à la hauteur de l’exigence de ce spectacle. Et il y en a deux ou trois sur lesquelles je me suis ennuyé. De même que j’ai déploré deux petites longueurs dans le deuxième acte.


Mais faisons fi de ces quelques griefs (j’écris toujours le plus honnêtement ce que je ressens) et enthousiasmons-nous pour ce show véritablement hors normes et d’une beauté à couper le souffle. Comme je l’ai signalé la plupart des tableaux sont absolument féeriques, il n’y a pas d’autre terme (La forêt, Notting Hill, le château de Vaizey, le clin d’œil aux mangas, la partie de danse irlandaise… et, sans doute le plus magnifique de tous, le retour de Richard Cœur-de-Lion). Dans ce domaine, la barre est très, très haut… Au fait, je vous ai parlé des chorégraphies ?
Tout est donc quasiment réuni pour faire de Robin des Bois LE spectacle à voir en cette fin d’année. Quel plaisir de croiser des gens qui quittent la salle lentement, le sourire aux lèvres et des étoiles dans les yeux… Robin a touché sa cible en plein cœur…

Gilbert "Critikator" Jouin



jeudi 26 septembre 2013

Divina

Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une pièce de Jean Robert-Charrier
Mise en scène par Nicolas Briançon
Costumes de Jean-Paul Gaultier et Michel Dussarat
Décors de Bernard Fau
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Avec Amanda Lear (Divina), Mathieu Delarive (Baptiste), Marie-Julie Baup (Emilie), Guillaume Marquet (Jean-Louis), Thierry Lopez (Eros)

L’histoire : Claire Bartoli, surnommée « Divina », est une présentatrice star de la télévision. Depuis des années, c’est elle qui souffle le chaud et le froid dans le métier. Lorsqu’un matin, son assistant, le dévoué Jean-Louis, découvre dans le journal que l’émission de Divina est arrêtée, il pressent un véritable drame. Après qu’elle en ait été informée, Divina va tenter de trouver un rebond pour ne surtout pas disparaître du paysage audiovisuel. Son arrivée sur un plateau d’émission culinaire sera un véritable électrochoc.

Mon avis : Impressions mi-figue mi-raisin à l’issue de ce spectacle qui s’est révélé tout à fait conforme à ce que j’avais pu imaginer. Je n’ai donc pas eu la « divina » surprise. C’est un gentil petit boulevard, pas une autoroute.
Les décors sont sympa. Je mets le terme au pluriel car, grâce à une scène pivotante, nous nous trouvons tour à tour dans le loft moderne et lumineux de Divina puis dans un studio de télévision plutôt modeste. Les costumes, signés Jean-Paul Gaultier et Michel Dussarat - excusez du peu – ont évidemment une certaine allure. En particulier les tenues extravagantes que porte Eros et les robes flashy de Divina (hormis cette robe rouge bordée sur toute sa partie droite d’une sorte de verroterie que j’ai trouvée peu seyante).

L’auteur, Jean Robert-Charrier a écrit cette pièce pour Amanda Lear. Il ne s’en est jamais caché, elle a été le moteur de son inspiration. Effectivement, à l’instar de Jean-Paul Gaultier, il a fait du sur-mesure. Ce rôle, c’est du cousu main. Mais les coutures sont très grosses et légèrement boursouflées. Amanda fait de l’Amanda, c’est bien sûr ce que, et l’auteur et le public, attendent d’elle. Le choix du monde de la télévision, un univers qu’elle connaît très bien, est une bonne idée. Elle y est comme un piranha dans le Maroni. Côté dent dure, elle ne craint personne. Elle déchiquète avec une voracité gourmande tout ce qui passe à sa portée. Elle peut se le permettre ; n’est-elle pas la plus grande star du petit écran ? Du moins au début de la pièce… Amanda Lear joue les divas avec une fougue et un abattage impressionnants. Elle a un superbe texte à dire, pimenté de saillies et de vacheries. Elle excelle dans ce registre. Elle n’a pas besoin d’en rajouter, il lui suffit d’être elle-même et ça passe sans problème. Ses outrances sont tout à fait acceptables puisque cohérentes avec sa personnalité narcissique et sa suffisance.


Que l’on se rassure, Divina n’est pas un one woman show. Amanda Lear ne tire pas la couverture à elle et elle est très bien entourée. Aux trois-quarts du moins…
Le personnage d’Eros (Thierry Lopez) est une jolie trouvaille. Il est à fond dans ses délires vestimentaires et dans sa gestuelle précieuse. Et, paradoxalement, non seulement il est crédible, mais sa présence apporte beaucoup de pittoresque… Mathieu Delarive, qui joue Baptiste, avec beaucoup d’élégance et de séduction se prête au jeu sans jamais se départir de son sérieux. On se demande d’ailleurs pourquoi ce comédien racé n’est pas plus souvent utilisé au théâtre. Il a le profil même du jeune premier.
Et puis il y a Marie-Julie Baup… Elle amène à la pièce sa fantaisie proche du burlesque. Elle campe une Emilie un peu nunuche, maladroite et écervelée, mais bougrement attachante. Dans toutes les pièces où je l’ai vue, sa présence a été un enchantement tant sa façon d’être naturellement drôle est originale. Elle possède un sens aigu du comique qui n’appartient qu’à elle. Chacune de ses apparitions est un délice. Son opposition de style et de personnalité avec Amanda-Divina est un des points forts de la pièce.
Enfin, j’ai eu beaucoup de mal avec la prestation de Jean-Louis (Guillaume Marquet). L’assistant servile et obséquieux de Divina perd toute crédibilité tant il en fait des tonnes. Il en ferait moitié moins ça suffirait amplement pour le rendre digeste. Il en fait tellement que ça devient insupportable. Pourtant c’est un rôle très intéressant. Ce genre de personnage qui se gargarise à grands coups de « Ma Patronne », qui lui est dévoué jusqu’à l’avilissement, existe. C’est déjà drôle en soi. Alors, pourquoi forcer si exagérément le trait. En jouant simplement léger, la pièce y eût gagné en crédit. C’est dommage car il est évident que ce garçon possède un vrai talent comique.



Pour être franc, Divina, construite autour du personnage extravagant d’Amanda Lear, est un boulevard conventionnel. Ce n’est pas trop ma tasse de thé car il y manque un peu de fond même si la satire du monde de la télévision n’est pas mal décrite. L’écriture oscille sans cesse entre les jolis traits d’esprit et la facilité. Pas évident de tenir la route pendant une heure et demie. Mais, en même temps ce genre de pièce peut attirer un large public parce qu’elle offre un vrai moment de détente pour qui n’est pas trop exigeant. Il suffisait d’ailleurs de voir et d’entendre l’enthousiasme du public au moment des saluts.

mercredi 25 septembre 2013

Moi, Caravage

Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre Caumartin / Auber / Saint-Lazare

Une pièce de Cesare Capitani
D’après La Course à l’abîme de Dominique Fernandez
Mise en scène de Stéphane Grassian
Avec Cesare Capitani et, en alternance, Laetitia Favart ou Manon Leroy

Le sujet : Un fascinant autoportrait en clair-obscur de l’artiste maudit placé sous le signe du double et ponctué, comme dans un rêve éveillé, par des chants a cappella (Monteverdi, Guesualdo, Grancini)… « Un homme qui se raconte, se montre à nu : un rebelle promis à l’autodestruction, un éternel insatisfait affamé de scandales, un artiste perpétuellement à la recherche de l’absolu, mais aussi un être fragile, séduisant, troublant, comme els personnages qu’il a représenté dans ses toiles » (Cesare Capitani)

Mon avis : Cette pièce est le résultat d’une rencontre : celle d’un acteur avec un livre et un personnage. Fasciné autant par l’œuvre incandescente que par la vie tumultueuse de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage, Cesare Capitani l’a vu se matérialiser dans l’ouvrage de Dominique Fernandez, La Course à l’abîme. Dès lors, il savait comment se l’approprier et le faire revivre sur scène.
 Moi, Caravage dépasse le théâtre. Lorsqu’on assiste à la prestation de Cesare Capitani, on ne parle plus de jeu mais d’incarnation tant il est habité par son héros. On ne sait plus lequel a vampirisé l’autre. Capitani EST Caravage, poussant le mimétisme jusqu’à lui ressembler. La chevelure de jais, dense et bouclée, le regard de braise et le sourire carnassier… nous sommes dans l’assimilation totale, dans le réalisme le plus impressionnant. Le jeu de Capitani est tellement passionné, exalté même que, dès les premières minutes, on oublie que nous sommes aux Mathurins tant nous sommes happés par cette interprétation quasi possédée.

Pour un acteur, Caravage est le type-même du personnage idéal par la richesse et la complexité de son caractère. C’est un aventurier. Hugo Pratt eût fait de son existence fiévreuse et tourmentée une magnifique BD. L’homme était fier, violent, jusqu’au-boutiste, entier, passionné, provocateur et, surtout, totalement pénétré de son talent insolent.
Pendant près d’une heure et demie, Capitani nous empoigne et nous embarque à bord d’une felouque folle et nous empêche de mettre pied à terre. On sait dès le départ que l’on finira inéluctablement échoué sur une plage fatale. Caravage était aussi flamboyant qu’il était autodestructeur. Il était né rebelle, il ne pouvait pas rentrer dans le rang. Il ne pouvait avoir qu’un destin hors norme.


La vie du Caravage est tellement romanesque, tellement trépidante, tellement folle qu’on ne voit pas le temps passer. On oublie qu’il y a un comédien devant nous. Les jeux de lumières éclairent la scène comme on éclaire un tableau. La lueur des bougies reproduit les ambiances claires-obscures des toiles du peintre. Et puis il y a la partenaire de Cesare Capitani qui joue tous les autres rôles qu’ils soient féminins ou masculins, qui accompagne de douces mélopées les pages les plus marquantes de la vie de Michelangelo Merisi et, surtout, qui sait mettre en exergue la beauté morale du personnage de Mario. Elle apporte un petit côté tragédie grecque qui sied parfaitement au climat de la pièce.
En quittant les Mathurins, on n’a qu’une hâte : allumer son ordinateur et se (re)plonger dans l’œuvre du Caravage pour retrouver certaines des toiles que Capitani a évoquées devant nous en les décrivant et en les dessinant dans l’espace.

Avec la force du jeu de Cesare « Caravage » Capitani on en viendrait presque à croire en la réincarnation…

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 24 septembre 2013

Robin revient 'Tsoin Tsoin"

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

One woman show écrit et mis en scène par Muriel Robin
Assistée de Clara Guipont
Lumières de Xavier Maingon

Le spectacle : On en rêvant depuis huit ans, Muriel l’a fait. Robin revient. On retrouve sur scène celle qu’on a connue, celle qui nous a fait rire avec les choses de la vie. On la reconnaît : ses yeux noirs ronds comme des billes, de petite fille qu’elle n’a jamais été. Muriel Robin revient de loin. Tout a changé. Elle a changé. La silhouette et la femme dedans. Elle est prête. Et toujours aussi drôle. Nouvelle Muriel, nouveau spectacle où se trame l’histoire de sa vie qui est un peu la nôtre…

Mon avis : Robin revient ! Plus qu’un retour, c’est une re-naissance. 2005-2013… Huit ans qu’elle ne s’était pas produite sur une scène. Certes on avait pu la voir, mais c’était en duo (Fugueuses avec Line Renaud en 2008 et Les diablogues avec Annie Grégorio en 2009). Elle avait sans doute besoin de jouer, mais avec des béquilles pour conserver l’équilibre. Seule, elle n’aurait pas tenu debout. Ce n’est pas un hasard si son dernier one woman show s’intitulait Au secours !. L’appel était réel. Le désarroi était profond. Elle aurait pu également baptiser son spectacle « Attention, fragile ». Pour elle, plus viscéralement que chez d’autres, l’humour est véritablement la politesse du désespoir. Et elle est très polie Muriel. Trop pudique aussi.

Robin revient ! Elle n’a pas huit ans de plus, mais huit ans de moins. Robin de jouvence… Radieuse, épanouie, bien dans son corps et dans sa tête. Dans son cœur aussi. Pourquoi éprouve-t-elle ce besoin de clamer son retour à grand renfort de « Tsoin-tsoin » ? Envie de rassurer certainement. Rassurer son entourage, rassurer son public, se rassurer elle-même aussi. Alors, dès son entrée en scène, entourée de voiles noirs, elle s’explique sur ce foutu tunnel. Un tunnel néanmoins éclairci par deux lucarnes télévisuelles : Marie Besnard et Mourir d’aimer ; deux histoires sombres et dramatiques qui correspondaient parfaitement à son état d’esprit de l’époque. Mais deux succès aussi qui permettaient de franchir à gué, non pas huit, mais « sept années de dépression ». Elles les a comptées.


Robin revient ! Elle revient pour raconter sa vie. Essentiellement son enfance, sa jeunesse et ses débuts dans le métier qu’elle s’est choisi. Une drôle d’autobiografille pas si marrante que ça. Mais elle la raconte avec son regard aujourd’hui distancié et un sens de l’humour salvateur. Muriel a mis huit ans – sans doute plus encore – pour atteindre et briser son oppressant plafond de verre.
Je ne raconterai pas son seule en scène. Elle le fait très bien elle-même. Robin revient en présentant une autre forme de spectacle. Les sketchs sont mis de côté pour un instant au profit d’une sorte de stand-up dans lequel il y a plus du Muriel, du « Mumu » même, que du Robin. Elle se livre avec une franchise totale. Y compris dans les relations les plus intimes. Elle nous aide à comprendre comment elle a été déconstruite. Elle évoque ses questionnements, ses complexes, ses angoisses. Mais elle ne tombe jamais dans le pathos parce qu’elle le fait à la Robin, avec cette force comique qui n’appartient qu’à elle, ses intonations si personnelles, cette gestuelle unique.
Vous l’aurez compris, Robin revient n’est pas un spectacle où l’on se tape sur les cuisses. Le rire vient plutôt du cœur. C’est le mot : on rit de bon cœur. On rit parce qu’elle a envie de nous faire rire avec ses mésaventures. Et puis elle a ce talent de savoir distiller l’émotion sans appuyer le trait, avec une forme de bienveillance régénératrice. Et nous, on est en totale connivence avec elle. Je pense qu’avec se spectacle Muriel, qui a toujours eu faim d’amour, va être rassasiée.

Muriel outragée ! Muriel brisée ! Muriel martyrisée ! Mais Muriel libérée !!! Libérée de sept ans d’occupation d’une sale maladie.
Et, à la fin, image on ne peut plus symbolique, les voiles noirs se décrochent et tombent sur la scène.

La salle est debout. La ferveur enfle et envahit la scène. Muriel essuie furtivement quelques perles de joie. On pense au bonheur de Brel avec sa Mathilde : « Muriel est revenue ! »

Gilbert "Critikator" Jouin

vendredi 20 septembre 2013

Mélodrame(s)

La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Trois courtes pièces de Gabor Rassov
Mises en scène par Pierre Pradinas
Avec Romane Bohringer, Thierry Gimenez, Matthieu Rozé, Bruno Salomone, Warren Zavatta

Le principe : Un jeune homme aime une jeune fille, mais cet amour est impossible à cause des terribles différents qui opposent depuis toujours les familles des deux amoureux.
C’est cette intrigue pour ainsi dire universelle qui sera déclinée dans trois cadres différents et très contemporains : le Grand prix de Formule 1 d’Acapulco, un temple bouddhiste à Shangaï et la résidence d’un producteur milliardaire à Los Angeles…

Mon avis : J’ai déjà envie de revoir Mélodrame(s) !!!
J’en vois des spectacles, et des bons, même de très bons, mais il est rare que je ressente une telle plénitude. Bien sûr qu’il y a des pièces plus profondes, plus sérieuses, des pièces à gros moyens qui vous en mettent plein la vue… Mais celle-ci m’a littéralement enchanté.
Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en me rendant à la Pépinière. Le dossier de presse était volontairement énigmatique, rempli d’infos pompeuses et de précisions futiles. Ça sentait la fausse piste. Si bien que j’étais vierge de tout pressentiment.
Dès les premières secondes, avec l’apparition devant le rideau fermé d’un Warren Zavatta hyper classieux jouant les maîtres de cérémonie, débitant façon bateleur avec une jubilation communicative sornettes et digressions, je me suis senti illico dans les meilleures dispositions.

Et puis ce fut la première pièce en un acte, intitulée « Grand prix » qui, comme son nom l’indique, se passe dans le milieu de la Formule 1, le jour d’une course décisive pour l’attribution du titre de Champion du monde. Nous sommes dans le saint des saints, le paddock. Et on va même assister à la course en direct !… Mais je n’ai pas envie de raconter. Sachez seulement qu’on se retrouve dans une sorte de série américaine mal doublée truffée de slogans publicitaires. C’est totalement décalé, volontairement outré. On dirait une excellente parodie digne du meilleur de Canal+, ou du niveau de celles qu’ont pu réaliser les Inconnus au temps de leur splendeur. C’est désopilant à souhait.

Après un enchaînement remarquablement écrit et tout aussi remarquablement interprété par Monsieur Loyal Zavatta, le rideau s’ouvre sur un temple bouddhiste. C’est le cadre du deuxième mélo baptisé « Jusqu’à la mort ». Dépaysement et exotisme garantis à tout point de vue. Là aussi, je garde presque tout pour moi car il faut y assister pour le croire. Mettant de côté le jeu accompli des cinq comédiens, je retiens la qualité de l’écriture, le langage fleuri et imagé qui donne aux dialogues une poésie qui atténue par sa douceur la terrible tragédie qui va se dérouler sous nos yeux effarés. Il y a du sang et des lames, du sang et des larmes, des scènes de combat insoutenables. A côté, Roméo et Juliette est une gentille bluette.

Re-brillant intermède warrenien et place au troisième mélodrame. « La rédemption d’oncle Bill » se déroule à Los Angeles. C’est Dallas à L.A.. On a droit à une accumulation de clichés sur les mœurs californiennes : la coke, l’alcool, le sexe, le racisme… C’est Quentin Tarantino revisité par Ben Stiller… Là aussi interdit d’en dévoiler plus.

Je ne m’attendais pas à ce que trois mélos me fassent rire autant. Bien sûr, il faut aimer ce genre d’humour très décalé, parodique et caricatural. D’autant qu’il atteint ici un très, très haut niveau. Tous les critères sont réunis pour que Mélodrame(s) attire le public.
Il y a d’abord le texte. Les dialogues, qui sont foncièrement différents en fonction des trois ambiances, sont brillantissimes. C’est de l’orfèvrerie… Et quand de tels dialogues sont interprétés par un quintette de barjots (pas frigides ceux-là) totalement investis, on est au nirvana. Ces cinq-là sont indissociables. Ils réalisent la performance d’être en permanence dans le second degré et de s’y tenir de bout en bout. Leur complicité est évidente. Ils ne reculent devant rien : postures théâtrales, maquillages immodérés, travestissements. Ils y vont à fond avec une maîtrise totale du délire de leurs personnages. C’est tellement bien assumé qu’ils ne sont jamais ridicules.
Seule femme pour donner la réplique à quatre énergumènes de la trempe de Thierry Gimenez, Matthieu Rozé, Bruno Salomone et Warren Zavatta, Romane Bohringer leur tient largement la dragée haute. Comme eux, elle dégage une présence comique saisissante, la sensualité en plus, évidemment.

Ne vous fiez surtout pas au titre de ce spectacle de trois pièces en un acte, des Mélodrame(s) comme ceux-là on en redemande. Quel bonheur !


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 19 septembre 2013

Le plus heureux des trois

Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignoles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome

Une comédie d’Eugène Labiche
Mise en scène de Didier Long assisté de Séverine Vincent
Décors de Jean-Michel Adam
Costumes de Pascale Bordet
Lumières d’Ertic Milleville
Musique de François Peyrony
Avec Jean Benguigui (Alphonse Marjavel), Arthur Jugnot (Alfred Jobelin), Constance Dollé (Hermance Marjavel), Henri Courseaux (Joblin), Arnaud Gidoin (Krampach), Rachel Pignot (Berthe), Roxane Roux (Lisbeth), Séverine Vincent (Pétunia)

L’histoire : La femme et l’amant trompent le mari. L’amant trompe sa maîtresse et le mari sa femme. L’oncle de l’amant est l’amant de la première femme du mari et les domestiques à leur tour entrent dans cette ronde du désir et de l’infidélité passée, présente et à venir. Le plus heureux n’est pas forcément celui qu’on croit.

Mon avis : Vous avez vu l'affiche ? Une pièce de Labiche symbolisée par un cerf !!! Superbe double niveau de lecture... Décidément, où y'a d' l'Eugène, y'a du plaisir.

Créée en 1870, cette comédie d’Eugène Labiche a gentiment vieilli. Elle a le charme suranné un tantinet désuet d’une photo sépia et le parfum subtilement naphtaliné d’un renard argenté… C’était le temps où les mœurs étaient légères mais policées. Les femmes trompaient leur mari avec un entrain teinté de crainte, mais sans remords aucun. Quant aux maris, les bourgeois surtout, ils pratiquaient l’adultère comme le corollaire obligatoire de leur affirmation sociale. Ça fait bien d’avoir une ou plusieurs maîtresses.

Le plus heureux des trois, qui n’est pas la pièce la plus connue de Labiche, traite essentiellement de l’infidélité gigogne. Tout le monde trompe tout le monde. Mais en y ajoutant d’autres paramètres comme les relations avec la domesticité, il élargit son étude de la bourgeoisie de l’époque. Ce qui fait que, mine de rien, cette comédie aborde des thèmes plus larges. En fait, ce n’est qu’après que le rideau soit tombé qu’on en réalise la richesse.

Personne n’a le beau rôle. Aucun comportement n’est noble. C’est, pour chacun, l’intérêt personnel qui prédomine. Heureusement, comme je l’ai dit plus haut, nous sommes dans la légèreté. Alors, tout passe avec le sourire. Personne n’est dupe. Sauf… Sauf ce cher Alphonse Marjavel qui nous apparaît comme le mètre-étalon de la naïveté. Plus crédule que lui, ça n’existe pas. Ses œillères sont si larges et si épaisses qu’il ne peut voir plus loin que le bout de son nez. C’est un cocu chronique, quasi professionnel. Sa deuxième comme sa première épouse l’ont trompé allègrement. S’il convolait une troisième fois, il en serait de même… Autour de lui gravite tout un monde où chacun cherche à profiter de l’autre et à le duper.

Sous le prétexte de la comédie, Labiche dessine une âme humaine peu reluisante ; mensonge, suffisance, vénalité, lâcheté, mauvaise foi.


La distribution, en forme de troupe est impeccable. Chacun joue sa partie avec une belle conviction. J’ai toutefois un petit faible pour la composition de Constance Dollé en épouse frivole, versatile et pusillanime que ses écarts de conduite émoustillent et effarouchent à la fois… Jean Benguigui hérite avec Marjavel d’un rôle sur mesure. Il joue les matois, fait celui qui dirige les débats, alors que tout le monde le manipule et le trompe. Mais comme il n’est pas lui-même à l’abri de toute turpitude, il y trouve tout de même son compte… Arthur Jugnot est aussi à l’aise dans ce théâtre là que dans les comédies actuelles. Le costume lui sied bien, et puis il a en permanence cette distance que sa science du double jeu lui confère. Il s’amuse avec nous, il est en connivence tout en ne se montrant pas plus malin que son personnage ne l’est… Henri Courseaux est parfait en bourgeois grandiloquent et un peu gâteux… Et puis il y a Arnaud Gidoin qui campe un domestique truculent et primaire. En plus, même si son accent alsacien est parfois approximatif, il faut saluer son interprétation dans un rôle qui n’est pas des plus faciles. Son arrivée avec sa compagne redonne de la vigueur à la pièce…

Et puis, que c’est agréable de voir des gens bien vêtus. Quelle était belle cette époque où même les domestiques étaient élégants.

Maintenant, j’ai bien quelques petites réserves. Le texte, truffé de soliloques et d’apartés avec le public, oscille entre répliques savoureuses et échanges simplistes. Je trouve aussi les passages chantés totalement superflus. Ils n’apportent rien et ralentissent une action qui n’est déjà pas des plus survoltées. Avec un quart d’heure de moins, cette pièce serait parfaite.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 18 septembre 2013

Mon beau-père est une princesse

Théâtre du Palais-Royal
38, rue Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Palais-Royal /Bourse / Pyramides

Une pièce de Didier Bénureau
Mise en scène par Didier Bénureau et Catherine Hosmalin
Décor de Bernard Fau
Lumières d’Orazio Trotta
Costumes de Pascal Bourdet
Musique de Julie Darnal
Avec Michel Aumont (Michel), Claire Nadeau (Micheline), Didier Bénureau (Rémi), Gaëlle Lebert (Aude)

L’histoire : Aude et Rémi ont invité Michel et Micheline, les parents d’Aude, à passer un week-end dans le Cantal. Michel, chef d’entreprise, s’est enfin résolu à prendre sa retraite, mais son inactivité l’angoisse. Micheline se plaint de son épouvantable humeur. Aude veut profiter de ce séjour pour apprendre à son papa chéri à se détendre par la relaxation. Cette première soirée s’annonce joyeuse. On parle politique, on plaisante… Lorsque Rémi annonce à son beau-père qu’il a l’impression d’être amoureux de lui…

Mon avis : Voici plus de vingt ans que je suis Didier Bénureau. J’ai vu ses cinq one man shows et également dans Brèves de comptoir et dans la pièce Les Amis du placard. C’est dire si j’apprécie ce garçon, sa folie, son jeu, son culot. Tout, quoi ! Inconditionnel je suis… Aussi étais-je avide de découvrir la première pièce qu’il ait écrite, une pièce au titre aussi énigmatique que saugrenu : Mon beau-père est une princesse. En plus, pour une princesse, en toute logique, il ne pouvait exister de cadre plus idéal qu’un Palais Royal… Enfin, la présence à l’affiche de Michel Aumont et de Claire Nadeau était on ne peut plus alléchante.

Décor sympa. Un ancien corps de ferme aménagé, une immense baie vitrée offrant une superbe vue sur les monts du Cantal, bref, une pièce à vivre qui eut l’heur de plaire immédiatement à Micheline (Claire Nadeau) invitée avec son mari Michel chez leur fille et leur gendre.
Rapidement, les caractères sont précisés. Micheline est gentiment évaporée, très cool, elle n’est apparemment pas compliquée à vivre. Aude (Gaëlle Lebert), sa fille, est débordante de vitalité ; férue de psychologie, elle a tendance à vouloir tout analyser, tout intellectualiser… Et puis il y a les hommes. Il paraît tout de suite évident qu’ils vont être les deux pivots de l’histoire (c’est annoncé dans le titre). Michel (Michel Aumont) est un bougon chronique, limite asocial, qui n’hésite pas à employer un langage assez vert pour définir des congénères pour lesquels il n’a aucune estime… Quant à Rémi (Didier Bénureau), il est transi d’admiration pour cet ancien chef d’entreprise tout jeune retraité. Il le trouve viril, cultivé, autoritaire. Il est pour lui l’image de la réussite. Si bien qu’il se montre très flatteur à son égard, limite obséquieux, ce qui donne lieu à quelques jolies scènes de comédie.


On comprend très vite que la pièce va reposer sur ce jeu du chat et de la souris entre le gendre et le beau-père. Le premier tiers est plutôt convaincant. Rémi se livre à une sorte de vol du bourdon autour de l’élu de son cœur lequel, interloqué et horrifié, ne songe qu’à le repousser. Les arguments développés avec la plus grande sincérité par Rémi sont cohérents et l’attitude de Michel complètement logique.

Au début du deuxième tiers, j’ai brutalement dévissé. Je n’ai pas du tout compris le revirement de Michel. Sa soudaine métamorphose, sa docilité, ne correspondaient plus du tout à l’image qu’il avait donné jusque là. Même si Rémi avait su déployer une incessante force de persuasion, il n’y avait aucune raison pour que le solide papillon se transforme ainsi en libellule. Ce manque de crédibilité m’a considérablement indisposé. Dès lors, et jusqu’à la fin, les tribulations des quatre personnages ne m’ont arraché que quelques sourires (Claire Nadeau en particulier). Je n’y croyais plus.


Et pourtant la pièce est bien écrite, remarquablement interprétée. Bénureau est excellent en soupirant véhément et virevoltant. Michel Aumont s’en donne visiblement à cœur joie dans ce rôle. Claire Nadeau fait du Claire Nadeau, donc c’est réellement plaisant. Et Gaëlle Lebert déploie une belle énergie.
Et bien, en dépit de tous ces ingrédients, la mayonnaise ne prend pas. Au début, il y a pas mal de vinaigre, mais elle s’affadit inexorablement à l’approche de ce foutu deuxième tiers. Bénureau, l’auteur, avait pourtant trouvé là un superbe sujet, original, provocateur, mais il n’a pas su, à mon avis, construire la passerelle entre répulsion et acceptation de la part de Michel. Sa mue est bien trop brutale et incompréhensible.


On ne s’ennuie pas parce que les acteurs sont vraiment bons, on sourit relativement souvent, on ne rit pratiquement jamais. Même en en acceptant le postulat, on n’arrive pas à rentrer dans ce scénario… Ça n’enlève rien à l’immense talent de Didier Bénureau, mais sa pièce n’a pas correspondu à l’attente que j’en avais. On est bien plus exigent avec ceux que l’on admire.

samedi 14 septembre 2013

Train fantôme

La Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 56 51
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une comédie flippante de Gérald Sibleyras et Eric Métayer
Mise en scène d’Eric Métayer
Assistante à la mise en scène : Sarah Gellé
Décors de Nils Zachariasen et Nikolas Val
Lumières de Stéphane Fritsch
Son de Vincent Lustaud
Costumes de Carole Hontebeyrie
Marionnettes : Fanny Béranger
Chorégraphies d’Andréa Bescond
Avec Andréa Bescond, Jean-Philippe Bêche, Yamin Dib, Dorel Brouzeng-Lacoustille, Christophe Laubion

Le pitch : Un spectacle loufoque, drôle et qui fait peur, interprété par cinq fous furieux. Accrochez-vous à vos sièges ! Hilarité et horreur garanties. Sur scène, mais aussi dans la salle…

Mon avis : Vous avez aimé Les 39 marches ? Vous allez adorer Train fantôme car c’est dans la même veine. Je dis « veine » à bon escient puisque, cette fois, en plus il y a du sang ! Une fois encore Eric Métayer nous entraîne dans univers complètement déjanté. Déjanté, certes, mais formidablement maîtrisé. En effet, pour qu’un tel délire fonctionne, il faut que tout soit parfaitement millimétré. Il n’y a aucun espace pour l’à-peu-près. Il faut en outre disposer de comédiens suffisamment barrés et qui n’aient pas peur de côtoyer le ridicule pour se plier à de telles loufoqueries sans se départir d’un sérieux qui les rendrait presque crédibles.

Train fantôme est un remarquable exercice de style d’une richesse et d’une inventivité de tous les instants. Les cinéphiles vont se régaler tant les références aux films d’horreur sont savoureux. Ça commence par un clin d’œil (un clin deuil ?) à La nuit des morts-vivants, puis on fait un détour par Le Bal des vampires, on parodie L’Exorciste en y mêlant un soupçon de Rosemary’s baby et on finit en apothéose en rendant un bel hommage à Thriller et à Michael Jackson, un mort qui n’a jamais été aussi vivant…

Vous l’aurez compris, Train fantôme est un spectacle total, un magistral patchwork qui intègre une jolie brochette de disciplines : la danse, y compris le hip-hop (remarquables prestations de Dorel Brouzend-Lacoustille), le théâtre de marionnettes, le grand guignol… Et bien sûr, le burlesque et le burlesque. Eric Métayer est le fils qu’auraient conçu les Monty Pythons avec les Branquignols au cours d’une orgie merveilleusement déconnante. Il a agrémenté ce délire d’une bande-son épatante et truffé son intrigue d’effets spéciaux dignes du cinéma. Imaginez qu’on voit la mer, qu’on se prend un orage sur la tête, que le brouillard envahit la scène… C’est d’une ingéniosité effarante. Eric Métayer nous entraîne dans un voyage éperdu, louftingue, farfelu, halluciné et joyeux à travers l’Europe. Une épopée qui nous mène de la Transylvanie à Paris, en passant par Londres… Tiens ! La Transylvanie ?
Eh oui, bon sang (c’est le cas de le dire), mais c’est bien sûr. La Transylvanie, c’est le pays où réside Dracula ! Dans cette pantomime, le prince des vampires pourrait s’appeler Draculagerfeld tant l’allusion au célèbre couturier n'est pas fortuite.

On ne peut dissocier les cinq comédiens multi-instrumentistes qui donnent vie à ce spectacle tant ils s’y investissent. Leur entrain, lui, n’est pas « fantôme ». Ils ne reculent devant rien, se prêtent avec gourmandise à toutes les audaces, à toutes les extravagances. Ils savent tout faire avec leur corps. Ce Train fantôme est mené à un train d’enfer. On croit qu’il est à son paroxysme, et bien non, ce drôle de mécano de la Générale qu’est Eric Métayer trouve encore le moyen de jeter une nouvelle pelletée de charbon. Ça frise le déraillement et nous, on est sur les boulets. J’ai rarement vu une salle se mettre à applaudir en plein spectacle pour signifier son enthousiasme à un numéro aussi réussi que surprenant. Car ce spectacle, qui est déjà d’un très haut niveau de cocasserie, comporte ça et là quelques pics absolument irrésistibles (la parodie de L’Exorciste, par exemple en est un, le dialogue schizophrène joué par Andréa Bescond en est un autre). Puisqu’on évoque cette demoiselle, il faut saluer la perfection de ses chorégraphies.

N’hésitez pas à prendre vos billets pour embarquer à bord de cet Orient Express désorienté, vous allez effectuer le voyage le plus réjouissant qui soit. Et, surtout, n’hésitez pas à y amener vos enfants. C’est si délicieux de jouer à se faire peur…

Gilbert "Critikator" Jouin

jeudi 12 septembre 2013

La Chanson de l'éléphant

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Nicolas Billon
Mise en scène par Bruno Dupuis
Décor de Sophie Jacob
Avec Pierre Cassignard (le docteur Greenberg), Jean-Baptiste Maunier (Michael), Christine Bonnard (L’infirmière Peterson)

L’histoire : Quelque part en Ontario, le docteur Lawrence, thérapeute d’un hôpital psychiatrique, a disparu.
L’un de ses patients, Michael, est la dernière personne à l’avoir vu. Sans tenir compte des avertissements sibyllins de l’infirmière de garde, le docteur Greenberg, directeur de l’hôpital, s’acharne à obtenir du jeune homme un témoignage cohérent.
Mais Michael, intelligent et manipulateur, s’entête à parler d’éléphants, d’opéra, de chantage et de meurtre. Le jeune patient entraîne le docteur dans un jeu de piste pervers.
La rencontre tourne à l’affrontement, et la disparition au thriller psychologique…

Mon avis : Si L’Affrontement ne se jouait déjà pas quelques dizaines de mètres plus bas dans la rue de la Gaîté, cette pièce aurait pu se sous-titrer ainsi tant l’échange entre le directeur de l’hôpital psychiatrique et un de ses patients est âpre et imprévisible. Disons-le tout de suite, cette Chanson de l’éléphant n’est pas une chanson fantaisiste. Le climat de cette pièce est tendu, son atmosphère est pesante.
Nous assistons en fait à une partie d’échecs dont un fou serait la pièce principale et la reine une infirmière. Ce duel a pour cadre un bureau gris et austère au mobilier succinct. Seule une fenêtre munie d’un store offre une ouverture sur un couloir, sur une autre vie, mais pas sur un autre monde.

Les tout premiers échanges entre le docteur Greenberg et l’infirmière Peterson sont vifs, brutaux mêmes. L’animosité est patente. Ce qui la provoque et l’exacerbe, c’est la façon d’aborder un patient particulièrement délicat à gérer, Michael, un jeune homme de 23 ans… Dès que celui-ci fait irruption dans la pièce, on sait que la tâche du docteur ne va pas être aisée tant le garçon se montre retors. Redoutablement intelligent, c’est lui qui mène la danse. Il distille ses informations au compte-gouttes, au milieu de multiples digressions, avec une prédilection pour la vie des éléphants, domaine dans lequel il est incollable. Greenberg ne sait jamais quand il ment ou quand il dit la vérité… En plus, très imbu de ses fonctions, il ne veut pas s’abaisser à recevoir l’aide de miss Peterson, la personne qui, visiblement, connaît le mieux Michael.

« Ce n’est pas parce que je suis fou que je suis stupide » affirme le jeune homme tout à fait lucide. Pour une fois qu’il a l’occasion de se mettre en vedette, il a décidé d’en profiter. De toute façon, il n’a rien à perdre. Tout juste peut-il espérer de façon illusoire une hypothétique remise en liberté obtenue par le chantage… Peu à peu, à travers certains petits moments de lâcher prise, sa personnalité se dessine. Michael est dans une permanente quête d’amour intensifiée par la hantise de l’abandon.


Dans le rôle de Michael, Jean-Baptiste Maunier est impressionnant. Pour ses premiers pas au théâtre, il se coltine un sacré personnage aux multiples facettes. Il doit en effet camper un être perturbé mais finaud, fragile mais capable de soudaines explosions de violence. Il est étonnant de véracité. Le visage émacié, le cheveu court, il inquiète et attendrit à la fois. On ne sait jamais comment il va se comporter. Jean-Baptiste nous offre une superbe composition parfaitement maîtrisée. Le jeune Pierre Morhange des Choristes a tracé le « chemin » qu’il chantait dans le film. Il n’est plus un enfant de chœur. Il a travaillé dur, s’offrant même une année en immersion dans la prestigieuse école de comédie newyorkaise, le Lee Strasberg Theatre Institute. C’est un vrai comédien qui nous est revenu. Il le prouve avec ce rôle difficile, lourd à porter, plein de nuances. Une performance à saluer.

Face à lui, dans le rôle du docteur Greenberg, Pierre Cassignard, un comédien expérimenté qui s’est déjà frotté à une bonne vingtaine de pièces et qui est capable d’évoluer dans tous les registres. Ici, il joue en force. Son personnage ne fait pas preuve d’une grande souplesse d’esprit. C’est en homme pressé (sa femme l’attend) qu’il essaie de mener son enquête. Il passe sans transition de la plus grande impatience, voire de l’emportement, à des moments où il semble avoir envie d’entrer dans le jeu et d’essayer de prendre le dessus sur ce jeune patient qui tente de le manipuler… Pourtant – et là c’est de la seule responsabilité de l’auteur – j’ai trouvé bizarre que quelqu’un qui se proclame psy se laisse aussi facilement emporter. Il devrait au contraire se régaler face à un cas aussi passionnant. Or, il manque paradoxalement de jugeote et de patience. En cela, je n’ai pas trouvé son personnage cohérent. Mais Pierre Cassignard joue son rôle tel qu’il a été écrit. Il le fait fort bien et avec une totale générosité.

Enfin, une fois de plus, Christine Bonnard, dans le rôle de l’infirmière Paterson, tire remarquablement son épingle du jeu. Je l’avais découverte avec beaucoup de plaisir dans Nonnesens, et revue avec toujours autant de satisfaction dans Bonnie and Clyde, Un violon sur le toit et La nuit d’Elliot Fall. Elle sait tout faire. Mais là, elle joue la sobriété. Un mystère plane autour d’elle. Que sait-elle au juste ? Michael la dit « rusée » alors qu’elle n’est peut-être qu’inquiète pour lui et ne cherche qu’à le protéger, même contre lui-même. C’est un rôle tout en finesse et en émotion contenue, sans la moindre exubérance. On pense bien sûr fortement au personnage de l’infirmière Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Est-elle aussi machiavélique qu’elle ; ou pas ?...


A la fin, les applaudissements venant d’une salle comble et comblée ont été si nourris et enthousiastes qu’ils ont provoqué plusieurs rappels. Pour une pièce qui n’est pas des plus faciles, il est bon de le souligner.

samedi 7 septembre 2013

A flanc de colline

Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Une comédie de Benoît Moret
Mise en scène de Julien Sibre
Décor de Nitroscenium
Son et Lumières de Jean-François Domingues
Costumes de Stéphane Vaillant
Avec José Paul, Didier Brice, Caroline Maillard, Benoît Moret

L’histoire : Un père et son fils se retrouvent le temps d’un week-end dans l’ancienne maison de campagne familiale, construite à flanc de colline. Ces deux jours seront marqués par la présence quelque peu envahissante du nouveau propriétaire des lieux. Ils feront alors successivement, avec des fortunes diverses, la connaissance de son mérou, de son canapé, de son algue, de son passé, de sa voisine, d’un homme qui danse…

Mon avis : Avant que le spectacle ne commence, comme il n’y a pas de rideau, on peut tout à loisir contempler le décor dans lequel va se dérouler l’action car il est vraiment superbe. Pour qui aime l’univers de la pêche, il est incomparable. Cette débauche de poissons et crustacés nous place d’emblée dans les meilleures dispositions morales. Et, en plus, ça ne sent pas mauvais !

Et puis la pièce commence… On est tout de suite fasciné par le personnage du nouveau propriétaire des lieux (Didier Brice). Il est ma maladivement maniaque à en devenir dangereux, il a un franc-parler redoutable qui le rend maladroit et il est d’un sans-gêne chronique qui le rend intrusif… Le contraste est d’autant plus saisissant avec la réserve et le calme affichés par son premier locataire (Benoît Moret) qui, pour ne pas trop le contrarier, se réfugie dans une certaine prudence et une ironie polie…
Emportés par la personnalité excessive du proprio et par ses extravagances, on rit vraiment de bon cœur.

Puis arrive le deuxième locataire (José Paul). Son flegme tout britannique et son timbre de voix si particulier ajoutent encore à la réjouissance. D’autant qu’on comprend vite que sa visite est intéressée. Il fait planer un mystère. Evidemment, comme il ne veut pas se livrer, il a recours au mensonge. De là, tout va crescendo.
Mais ça bascule aussi dans le grand n’importe quoi. Tout doucement, la pièce perd de sa cohérence et de sa crédibilité. Trop de farfelu tue le farfelu. L’intrigue devient trop ténue pour créer un quelconque suspense. Et même l’irruption de la voisine (Caroline Maillard) ne provoque pas le rebondissement attendu.

Heureusement, en dépit de situations de plus en plus saugrenues, les acteurs n’économisent pas leur générosité et leur talent. Ils sont tous quatre très bons, avec toutefois une prime à la composition offerte par Didier Brice. J’admets que, dans la salle, on rit beaucoup car, il y a régulièrement de vraies bonnes loufoqueries. Mais, quand on quitte le Tristan Bernard, on se demande bien ce qu’il va nous rester de cette comédie d’autre que le souvenir d’avoir vus de très bons comédiens.
Il y a de l’intention. L’idée de départ est parfaitement jouable. Il manque ça et là un peu de rigueur, un peu de matière, un peu de crédibilité. En même temps, il y a pire…


Enfin, je n’ai toujours pas compris le titre, d’autant plus qu’au début de la pièce on perçoit le ressac de la mer… 

Zelda et Scott

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges

Une pièce de Renaud Meyer
Mise en scène de Renaud Meyer
Décor de Jean-Marc Stehle
Costumes de Dominique Borg
Chorégraphie de Lionel Hoche
Lumières d’Hervé Gary
Avec Sara Giraudeau (Zelda Fitzgerald), Julien Boisselier (Scott Fitzgerald), Jean-Paul Bordes (Ernest Hemingway) et le Manhattan Jazz Band

L’histoire : Lorsqu’il rencontre Zelda, Scott Fitzgerald est persuadé qu’elle est venue au monde pour incarner l’héroïne de ses romans. La garçonne délurée se laisse séduire par le dandy ambitieux. Ils deviennent le couple mythique des années 20… Ernest Hemingway fait alors son entrée. Il devient le confident passionné, le frère de littérature, le partenaire des fêtes sans fin magnifiées dans Gatsby.
Mais cette course débridée, lancée par les enfants terribles du jazz, tourne subitement au drame. A l’image de l’Amérique, le couple Fitzgerald est emporté par la dépression…

Mon avis : Inutile d’ouvrir mon dictionnaire des synonymes pour essayer d’y trouver les épithètes les plus dithyrambiques afin de tresser des louanges à la prestation magistrale de Sara Giraudeau dans Zelda et Scott… Sur les sept pièces qu’elle a jouées, c’est la sixième fois que je la vois sur scène et, à chaque fois, elle m’a émerveillé. Non seulement la drôlesse a hérité de la somme du talent de ses admirables parents, mais elle y ajoute sa personnalité avec des qualités qui lui sont propres, comme la fraîcheur, la grâce, l’audace. Quel chemin parcouru en huit ans depuis Les monologues du vagin et La Marche du pingouin ! Sa présence à l’affiche d’une pièce est la garantie d’un plaisir incommensurable pour le spectateur. Elle nous surprend et nous enchante toujours.

Avec le personnage de Zelda, Sara Giraudeau franchit encore un palier. Elle ajoute à sa palette déjà bien fournie une féminité et une sensualité ensorcelantes. Totalement impudique, elle n’est jamais vulgaire, sans une once d’exhibitionnisme. Au contraire, sa libido, certes débordante de vitalité, est saine et naturelle. Zelda est une jeune femme libre qui assume pleinement sa fringale de plaisirs.
Cette vitalité débridée, elle la synthétise toute entière dans le premier tableau, lorsqu’elle danse. Pour avoir eu la chance de les avoir vus, des parents étaient eux-mêmes d’extraordinaires danseurs. Tout le monde s’arrêtait pour leur laisser la piste et les regarder… Sara a également hérité de ce don, de cette fluidité, de ces déhanchements harmonieux. Cette entrée en matière trépidante nous révèle immédiatement la personnalité de Zelda. D’ailleurs, un peu plus tard, Ernest Hemingway, la résumera d’une réflexion pleine de justesse : « Cette fille est douée pour la vie ». Voilà, tout est dit…


A ses côtés, elle a en Julien Boisselier le partenaire idéal. Ils partagent en outre tous les deux le fait de posséder une voix aux intonations particulières, un timbre très reconnaissable qui n’appartient qu’à eux. Très épris de sa jeune épouse, Scott Fitzerald ne sait néanmoins trop comment endiguer le flot impétueux de ses emballements et de ses désirs. L’argent et l’alcool coulent à flot. Scott s’enivre des deux sans limites… Julien Boisselier ne se départ jamais d’une élégance toute aristocratique. Il a la classe. Il forme avec Sara un couple absolument superbe.

Quant à Jean-Paul Bordes, il campe un Ernest Hemingway confondant de ressemblance. Même quand il porte beau, on sent qu’il est bien plus un aventurier qu’un mondain. Il est plus à son affaire sur le terrain que dans les salons… Mais il est subjugué par le couple Fitzgerald. Il est troublé par la sensualité effrénée de Zelda, autant qu’il est admiratif du talent littéraire de son aîné de trois ans qu’il considère comme un maître. Or, peu à peu, l’élève va supplanter un maître fragilisé par ses doutes et ses états dépressifs…

Il faut saluer le talent de l’auteur de Zelda et Scott, Renaud Meyer, autant pour l’écriture de la pièce que pour sa mise en scène. On se sent bien en témoins des évolutions de ces trois éminents représentants de la fameuse « Génération perdue ». On les suit dans leur magnificence, on partage à leurs moments de débauche, de folie, et on assiste à leur ruine, autant financière qu’affective, et à leur inéluctable descente en enfer.
Cette pièce pourrait se réduire à ce constat formulé par Scott Fitzgerald à un moment de grande lucidité : « On était lâchés comme deux enfants dans une grande foire sans personne pour nous arrêter… »

Enfin, il est important de signaler la présence d’un trio de musiciens de jazz qui illustrent et colorent en live les pages les plus importantes du livre de la vie de Zelda et Scott.

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 5 septembre 2013

Fin de série

Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Tel : 01 43 66 01 13
Métro : Ménilmontant

Comédie de et avec Alan Boone, Jean-Claude Cotillard, Zazie Delem
Décors de Charlotte Smoos
Costumes d’Agathe Laemmel
Lumières de Julien Dubuc

L’histoire : Deux vieux sont chez eux. Ils ne sont pas malades, ils ne sont pas isolés, il n’y a pas de canicule. Leur projet : passer le temps.
Ils luttent : contre le corps qui n’est plus aux ordres, contre l’autre parce qu’ils ont besoin de méchanceté pour glorifier la tendresse.
Ils sont sympathiques, odieux, tendres et insupportables. Ils ont gardé de l’enfance l’impatience, la vivacité et le sens de la représentation. En fait, ils n’ont pas encore grandi que déjà ils rétrécissent.
Une troisième personne leur rend visite ; médecin, kiné, agent des Pompes funèbres, représentant-profiteur en toutes catégories qui va prendre soin d’eux…

Mon avis : Cette pièce illustre à merveille la fameuse règle des Trois unités (temps, lieu, action) puisqu’elle se déroule en une seule journée, dans un salon, et qu’elle nous dévoile le quotidien d’un couple de retraités.
On ne connaîtra jamais leurs prénoms. De toute façon, ils ne s’appellent pas. Trop longtemps qu’ils cohabitent. Ils n’ont visiblement plus grand-chose à se dire. Leur vie s’est insensiblement effilochée jusqu’à devenir une routine morne et grise.
Il est évident que, tant qu’ils étaient pris par leurs occupations respectives, ils ont dû vivre en parallèles. Mais lorsque, retraite oblige, ces deux parallèles sont amenées à se rejoindre dans un même espace, leur appartement, les codes ne sont plus les mêmes. Le temps ne se découpe plus en tranches horaires, il s’étire péniblement. Il n’est plus ponctué que par ces rendez-vous rituéliques que sont les repas pris en commun, repas dont ils ont peu à peu métamorphosé le mouvement perpétuel en petits duels mesquins.

Cette pièce ne ressemble à aucune autre. Surtout par la forme. C’est un véritable OVNI (Opposition de Vieux Naturellement Incompatibles). Il n’y a pas trois personnages, mais quatre. Le quatrième étant une bande-son omniprésente et bien plus éloquente qu’eux. Au bout d’un certain temps, certains bruitages nous agacent et nous arrachent des rires nerveux (le gloup de l’aquarium), alors que le tic-tac lancinant de la pendule nous fait furieusement penser à la chanson de Jacques Brel, Les Vieux.
J’ai reçu Fin de série comme un film d’animation muet. La mise en scène (la mise en pièces ?) est millimétrée. Chaque geste est d’une précision extrême. Chez ces gens-là, on n’improvise pas. On calcule, on joue aux échecs. Le concours de vacheries est ouvert en permanence. C’est ce qui met du sel dans la soupe froide de leur existence monotone. Evidemment, lorsqu’on est dans une telle extrémité, il en faut très peu pour basculer dans l’absurde et le burlesque, avec de savoureuses incursions dans le comique de répétition.


Ces deux vieux (Zazie Delem et Jean-Claude Cotillard) sont monstrueusement drôles. Ils ne se livrent pas à « tendre guerre » des Vieux Amants de Brel (toujours lui), mais à un affrontement plus sournois. Pourtant, si on veut bien se montrer attentif, on aperçoit fugitivement en filigranes quelques résidus ce cet amour qu’ils ont dû partager. Il y a de petites attentions, de légères inquiétudes, quelques élans vite réfrénés qui nous rassurent. Mais comme ils n’y mettent vraiment aucune bonne volonté, ils nous offrent le spectacle désolant de leur désastre affectif.

Il faut une sacrée dose d’humilité, d’autodérision et de talent pour incarner ces deux vieux et réussir à nous faire rire aux éclats devant ce qui est une véritable tragédie humaine. Leur cruauté n’est réjouissante que pour nous. Et, en même temps, elle est le ciment qui solidifie leur couple. Ils en ont besoin pour exister l’un par rapport à l’autre. Ils se lèvent chaque jour avec un seul projet : contrarier l’autre. A ce petit jeu, le personnage que joue Zazie Delem, est un peu plus performant. Elle a plus de malice et plus de ressources. Elle a presque toujours un coup d’avance sur lui.
Et puis il y a Alan Boone, qui joue successivement au médecin, au kiné et à l’agent des Pompes funèbres. Il réussit l’exploit de mettre de l’élégance et de la légèreté dans le cynisme et la vénalité. Il ne marche pas, il danse ; ce qui souligne admirablement le mépris qu’il porte à des clients qui ne représentent pour lui que des factures.


Hâtez-vous d’aller voir cette Fin de série jubilatoire et réellement originale avant qu’elle ne soit épuisée. Elle s’arrête en effet le 13 octobre.