jeudi 12 septembre 2013

La Chanson de l'éléphant

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Nicolas Billon
Mise en scène par Bruno Dupuis
Décor de Sophie Jacob
Avec Pierre Cassignard (le docteur Greenberg), Jean-Baptiste Maunier (Michael), Christine Bonnard (L’infirmière Peterson)

L’histoire : Quelque part en Ontario, le docteur Lawrence, thérapeute d’un hôpital psychiatrique, a disparu.
L’un de ses patients, Michael, est la dernière personne à l’avoir vu. Sans tenir compte des avertissements sibyllins de l’infirmière de garde, le docteur Greenberg, directeur de l’hôpital, s’acharne à obtenir du jeune homme un témoignage cohérent.
Mais Michael, intelligent et manipulateur, s’entête à parler d’éléphants, d’opéra, de chantage et de meurtre. Le jeune patient entraîne le docteur dans un jeu de piste pervers.
La rencontre tourne à l’affrontement, et la disparition au thriller psychologique…

Mon avis : Si L’Affrontement ne se jouait déjà pas quelques dizaines de mètres plus bas dans la rue de la Gaîté, cette pièce aurait pu se sous-titrer ainsi tant l’échange entre le directeur de l’hôpital psychiatrique et un de ses patients est âpre et imprévisible. Disons-le tout de suite, cette Chanson de l’éléphant n’est pas une chanson fantaisiste. Le climat de cette pièce est tendu, son atmosphère est pesante.
Nous assistons en fait à une partie d’échecs dont un fou serait la pièce principale et la reine une infirmière. Ce duel a pour cadre un bureau gris et austère au mobilier succinct. Seule une fenêtre munie d’un store offre une ouverture sur un couloir, sur une autre vie, mais pas sur un autre monde.

Les tout premiers échanges entre le docteur Greenberg et l’infirmière Peterson sont vifs, brutaux mêmes. L’animosité est patente. Ce qui la provoque et l’exacerbe, c’est la façon d’aborder un patient particulièrement délicat à gérer, Michael, un jeune homme de 23 ans… Dès que celui-ci fait irruption dans la pièce, on sait que la tâche du docteur ne va pas être aisée tant le garçon se montre retors. Redoutablement intelligent, c’est lui qui mène la danse. Il distille ses informations au compte-gouttes, au milieu de multiples digressions, avec une prédilection pour la vie des éléphants, domaine dans lequel il est incollable. Greenberg ne sait jamais quand il ment ou quand il dit la vérité… En plus, très imbu de ses fonctions, il ne veut pas s’abaisser à recevoir l’aide de miss Peterson, la personne qui, visiblement, connaît le mieux Michael.

« Ce n’est pas parce que je suis fou que je suis stupide » affirme le jeune homme tout à fait lucide. Pour une fois qu’il a l’occasion de se mettre en vedette, il a décidé d’en profiter. De toute façon, il n’a rien à perdre. Tout juste peut-il espérer de façon illusoire une hypothétique remise en liberté obtenue par le chantage… Peu à peu, à travers certains petits moments de lâcher prise, sa personnalité se dessine. Michael est dans une permanente quête d’amour intensifiée par la hantise de l’abandon.


Dans le rôle de Michael, Jean-Baptiste Maunier est impressionnant. Pour ses premiers pas au théâtre, il se coltine un sacré personnage aux multiples facettes. Il doit en effet camper un être perturbé mais finaud, fragile mais capable de soudaines explosions de violence. Il est étonnant de véracité. Le visage émacié, le cheveu court, il inquiète et attendrit à la fois. On ne sait jamais comment il va se comporter. Jean-Baptiste nous offre une superbe composition parfaitement maîtrisée. Le jeune Pierre Morhange des Choristes a tracé le « chemin » qu’il chantait dans le film. Il n’est plus un enfant de chœur. Il a travaillé dur, s’offrant même une année en immersion dans la prestigieuse école de comédie newyorkaise, le Lee Strasberg Theatre Institute. C’est un vrai comédien qui nous est revenu. Il le prouve avec ce rôle difficile, lourd à porter, plein de nuances. Une performance à saluer.

Face à lui, dans le rôle du docteur Greenberg, Pierre Cassignard, un comédien expérimenté qui s’est déjà frotté à une bonne vingtaine de pièces et qui est capable d’évoluer dans tous les registres. Ici, il joue en force. Son personnage ne fait pas preuve d’une grande souplesse d’esprit. C’est en homme pressé (sa femme l’attend) qu’il essaie de mener son enquête. Il passe sans transition de la plus grande impatience, voire de l’emportement, à des moments où il semble avoir envie d’entrer dans le jeu et d’essayer de prendre le dessus sur ce jeune patient qui tente de le manipuler… Pourtant – et là c’est de la seule responsabilité de l’auteur – j’ai trouvé bizarre que quelqu’un qui se proclame psy se laisse aussi facilement emporter. Il devrait au contraire se régaler face à un cas aussi passionnant. Or, il manque paradoxalement de jugeote et de patience. En cela, je n’ai pas trouvé son personnage cohérent. Mais Pierre Cassignard joue son rôle tel qu’il a été écrit. Il le fait fort bien et avec une totale générosité.

Enfin, une fois de plus, Christine Bonnard, dans le rôle de l’infirmière Paterson, tire remarquablement son épingle du jeu. Je l’avais découverte avec beaucoup de plaisir dans Nonnesens, et revue avec toujours autant de satisfaction dans Bonnie and Clyde, Un violon sur le toit et La nuit d’Elliot Fall. Elle sait tout faire. Mais là, elle joue la sobriété. Un mystère plane autour d’elle. Que sait-elle au juste ? Michael la dit « rusée » alors qu’elle n’est peut-être qu’inquiète pour lui et ne cherche qu’à le protéger, même contre lui-même. C’est un rôle tout en finesse et en émotion contenue, sans la moindre exubérance. On pense bien sûr fortement au personnage de l’infirmière Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Est-elle aussi machiavélique qu’elle ; ou pas ?...


A la fin, les applaudissements venant d’une salle comble et comblée ont été si nourris et enthousiastes qu’ils ont provoqué plusieurs rappels. Pour une pièce qui n’est pas des plus faciles, il est bon de le souligner.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo pour cette critique à laquelle j'adhère totalement'.J'y ai emmené 2 enfants de 15 et 17 ans, peu habitués à se rendre au théâtre, et ils ont adoré, comme ma femme et moi même. Texte intelligent, construit comme un thriller, et quand l'on 'refait le film' aprés le dénouement, très inattendu, on se rend compte de tous les détails et de la cohérence qui a servi l'ensemble.
Enfin, performance d'acteurs très exceptionnelle, pour les 3 concernés, et une mise en scène sobre, juste, dont quelques détails -éclairage comme utilisation très simple de la vidéo- rendent l'ensemble encore plus prenant. Chapeau bas les artistes, et continuez ainsi pour que vive encore et encore le Théâtre ! Le public semblait, unanimement, conquis !
vm