mardi 31 décembre 2013

Ados

Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Comédie écrite et mise en scène par Olivier Solivèrès
Avec Gwendal Marimoutou, Hugo Randrianatoavina, Victor Viel

Présentation : Après les contes pour enfants, voici les contes pour adolescents… La grosse différence ? Essayez par exemple de faire jouer l’histoire des Trois Petits Cochons à trois adolescents… Vous comprendrez ! Par contre, si vous n’avez pas sous la main trois ados complexés, bourrés d’acné et bagués, alors venez voir les trois spécimens que l’on a capturés jouer, danser, chanter.
Mais surtout, venez les voir se transformer en ce que, tous, on a été, on est, ou on sera : Adolescents !

Mon avis : Je ne vais pas faire la fine bouche : ce spectacle n’est pas de mon âge et n’appartient pas du tout au type d’humour que j’affectionne.
Lundi après-midi. La salle est archi comble ; à majorité emplie… d’ados. Certains en groupe, d’autres accompagnés d’un adulte qui s’est dévoué. Tout est normal car Ados est une comédie jouée par des ados pour des ados. La communion entre la salle et la scène est totale.

Après une présentation de nos trois lascars devant le rideau façon MC, nous découvrons un décor luxuriant (on apprendra un peu plus tard qu’il s’agit de la forêt de Pontault-Combault, grosse bourgade de Seine-et-Marne). Dès le départ les vannes fusent dans tous les sens. Gwendal, Hugo et Victor ne cessent de se charrier à qui mieux-mieux. Le ton est donné… Le prétexte, un peu léger, mais il en faut bien eux, c’est l’histoire revisitée des Trois Petits Cochons. Il est juste effleuré, mais il permet de tourner en ridicule nos trois teenagers qui se retrouvent affublés de prénoms qui ne leur conviennent guère.
Ados est un spectacle complet, ça tchatche beaucoup, certes, mais ça chante, ça parodie et ça danse aussi. En outre, les trois caractères de nos cochonnets sont fort bien dessinés et différenciés. Ils ont en revanche en commun d’être mal dans leur peau et bourrés de complexes non assumés inhérents à leur puberté, ce qui ne les empêche nullement de se la péter et d’essayer de frimer par rapport aux deux autres. Hélas, chacun à son tour devra dévoiler à un moment ou à un autre ses failles et sa fragilité.


Gwendal, Hugo et Victor sont très à l’aise sur scène. Jouant sans cesse avec le public, ils déballent toute la panoplie de leur humour générationnel. Dans ce « melting potes », il y a de tout, du plus fin au plus lourd. Nous sommes dans une cour de récré : plaisanteries potaches, verlan, bruitages, blagues pipi-caca, grimaces, parodies de chansons, clins d’œil plutôt réussis aux Télétubbies et à Scream… Dans une salle complètement complice, ça glousse à tout-va, ça rit de bon cœur, ça vibre… Mine de rien, tout en y allant à fond dans le côté farce de leur prestation, les trois jeunes gens énoncent ça et là quelques vérités et de jolis messages. C’est là aussi un des aspects très positifs de cette pièce.

Les trois garçons, aussi différents physiquement que psychologiquement, tirent aisément leur épingle du jeu avec un petit big-up toutefois pour Gwendal, le jeune homme « bedonnant » à la coupe afro, pour ses réels talents de chanteur. Sinon, ce sont tous trois de bons comédiens en herbe qui s’en donnent à cœur joie et qui ne s’économisent vraiment pas.

samedi 28 décembre 2013

Tilt !

Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Jean-Louis Benoit
Décor de Jean Haas
Lumières de Jacques Puisais
Costumes de Marie Sartoux
Avec Bruno Solo, Sébastien Thiéry, Antony Cochin

Présentation : Tilt ! est un mélange choisi et remanié des textes de Sébastien Thiéry parmi les plus corrosifs, les plus explosifs et les plus irrésistibles de Sans ascenseur et Dieu habite Düsseldorf, ses deux premiers recueils de sketchs surréalistes (2003 et 2004).
Deux hommes ahuris, timides et inoffensifs se posent des questions sur leur existence, leur famille, leur travail ou leur place dans la société. Ces dialogues drôles et loufoques ne seraient-ils pas finalement l’inventaire désenchanté d’une contemporaine et irrémédiable solitude ?

Mon avis : J’ai vu quatre des sept pièces signées Sébastien Thiéry (Dieu habite Düsseldorf, Cochons d’Inde, Qui est Monsieur Schmitt ?, Le Début de la fin), c’est dire si son univers me plaît et me transporte de joie.
Tilt ! est en quelque sorte une œuvre de jeunesse puisqu’elle est composée d’un patchwork de textes datant aujourd’hui de dix ans et plus. Elle préfigure formidablement le contenu de ses pièces à venir, à savoir un univers absurde, déroutant, un ton décalé et une propension au non-sens qui n’appartient qu’à lui.


Rassurez-vous, en dépit de son titre, Tilt ! ne vous fera pas flipper. Quoi que… En tout cas, il y a largement de quoi perdre la boule. Personnellement, je lui ai trouvé un réel cousinage avec Les Diablogues de Roland Dubillard. On y retrouve le même humour loufoque, une même culture de l’illogisme. Pourtant, ces quelques saynètes totalement irrationnelles, mises bout à bout, finissent par avoir un sens. Si la forme des différentes situations est résolument saugrenue, au fil de l’histoire, le fond prend de plus en plus en plus d’épaisseur. C’est cette curieuse alchimie qui fait tout le charme de Tilt !. Tout en nous réjouissant, l’incohérence des propos s’estompe, craquèle comme un vernis, pour laisser apparaître la réalité du message contenu dans ce spectacle : la communication et le besoin de l’autre.

Alors même que les scènes sont tout à fait disparates, l’habile construction de la mise en scène fait qu’un lien se tisse entre les deux protagonistes. Ce sont deux solitudes qui se rencontrent, qui évoluent d’abord en parallèle avec beaucoup de méfiance, puis qui commencent à se chercher, à se plaire ensemble et enfin, se révélant complémentaires, qui finissent par fraterniser. Ce cheminement mental est très subtil. Ce sont deux marginaux, deux souffreteux de la vie, deux complexés. Au départ, ils sont comme deux aimants dont les deux pôles, identiques, se repoussent, et que leurs différences vont leur permettre petit à petit de s’attirer. Jusqu’à ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre…



Pour réussir à faire passer une telle subtilité, une telle humanité, il faut deux comédiens particulièrement fins. Déjà pour réussir à faire passer et à rendre (presque) crédibles des situations complètement délirantes ; ensuite, pour être capable de faire passer en quelques silences ou expressions leur profonde vulnérabilité. Dire que Bruno Solo et Sébastien Thiéry sont épatants dans cet exercice est un euphémisme. Ils sont carrément fascinants, chacun dans un registre très différent mais, comme je le soulignais plus haut, absolument complémentaires.

Gilbert 'Critikator" Jouin

mardi 10 décembre 2013

Michael Jones

40-60
(Save My Money / Universal)

Annoncé comme étant son « ultime album », 40-60 contient douze titres inédits et une reprise originale en version acoustique de Je te donne en duo avec Jean-Jacques Goldman. « 40 », c’est le nombre d’années que Michael Jones a passées en France depuis qu’il a débarqué en Normandie, la région natale de sa mère. « 60 », c’est plus prosaïquement son âge. Alors, pour célébrer dignement ces deux anniversaires, il a eu l’idée de les matérialiser par cet album. Il nous livre là un joli cadeau en guise de bouquet final.
Evidemment – et on n’en attend pas moins de lui – cet album est placé sous le signe de la guitare. Je n’en veux pour preuve que l’introduction et les ponts de Son jardin secret, un premier titre qui donne le ton. C’est un album homogène, très agréable à écouter, alternant les jolies ballades et les titres plus musclés, en tout cas tous mélodieux.


Sur les treize titres qui le composent, il y en a une demi-douzaine qui a retenu mon attention :

-          Pas signé pour ça (Goldman-Alfronsi/Jones)
Très efficace avec sa couleur reggae. Le texte de Jean-Jacques Goldman est plein d’humour et de dérision. Il aurait pu l’interpréter lui-même tant il est à son image. Aux antipodes du star-system, il prône en effet  la simplicité, la discrétion. La morale de cette chanson c’est que la seule valeur qui compte c’est l’amour, c’est le seul bien pour lequel il faut vraiment se battre.

-          Keep On Rollin’ (Veneruso)
Un des deux seuls titres que Michael Jones n’a pas composé… Superbe clin d’œil aux chansons américaines des Seventies. Elle sonne superbement bien, les guitares sont splendides. C’est un grand bol d’air frais, tonique et vivifiant. Et puis, magie suprême, le très (trop) rare Francis Cabrel vient mêler sa voix à celle de Michael. Magnifique !

-          Changement d’ère (Kocourek/Jones-D'Arpa)
/Jones)
Chanson qui fait allusion aux parcours initiatiques. La rythmique, entêtante, avance tout le temps, nous pousse dans le dos comme sous la poussée irrésistible du vent (et du temps). On constate combien tout est éphémère et fragile. Il suffit d’un courant d’ère pour tout balayer…

-          C’est déjà beaucoup (Kocourek/Jones-Jones)
Une belle ode à l’amitié, qui rend hommage aux frères de sang comme aux frères de chant. Mais qui en souligne également la rareté. Beaucoup de qualitatif pour peu de quantitatif car certains signes de fraternité sont hélas faussés par l’appât du gain, la gloriole, l’égocentrisme. Très belle chanson pleine de recul et de sagesse.

-          Un dernier verre (Forsans/Jones-Jones)
« Un dernier verre pour la route » en guise de conclusion sur une jolie ambiance bluesy. Mais ce qui semblerait être une invitation conviviale est en réalité la relation d’une dépendance à l’alcool. L’alcool que l’on réclame pour avancer, pour se donner du courage. Le refuge artificiel, en fait. Avec ce sentiment amer, l’album se termine sur une note mélancolique… Ça ne fait rien, on trinque quand même ?



Et puis bien sûr, il y a l’incontournable Je te donne, interprété avec Jean-Jacques, l’ami, le frère, rencontré en 1978 avec le groupe Taï Phong. 35 ans de complicité que cette sublime chanson résume et illustre à merveille. Un grand et vrai moment de grâce absolue…

lundi 9 décembre 2013

Franck Dubosc "A l'état sauvage"

Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 926 98 926
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

One man show écrit par Franck Dubosc

Présentation : Tel un lion trop vieux, Franck Dubosc casse les barreaux de sa prison dorée pour fuir au bout du monde, loin des emmerdes… Jusqu’à ce que, redevenu sauvage, tout lui manque… Il est trop tard pour revenir, mais assez tôt pour en tirer des conclusions sur un monde pas si mauvais…

Mon avis : De spectacle en spectacle, Franck Dubosc est en train de se construire une œuvre tout à fait cohérente. Lorsqu’on le suit depuis ses débuts, on a l’impression de grandir avec lui et, comme il se livre de plus en plus, de le connaître de mieux en mieux.
Franck Dubosc, c’est un personnage et un univers. Les deux évoluent en même temps que lui dévoilant peu à peu une forme de mûrissement. Mais, heureusement pour toi public, Franck Dubosc reste Franck Dubosc. Il est toujours aussi hâbleur, il cabotine toujours autant, il se complaît toujours autant dans l’exagération. Et – mais ça c’est dans son ADN – il a gardé deux de ses plus importants traits de caractère, un qui nous amuse profondément, son côté mytho, et l’autre qui nous attendrit, son côté enfant. Ces deux entités, qui cohabitent paisiblement en lui, apparaissent régulièrement au gré du spectacle, l’un comme l’autre faisant notre ravissement.


A l’état sauvage, le nouveau one-man show de Franck Dubosc s’inscrit donc dans la lignée des précédents tout en s’en démarquant notablement. Le format qu’il a choisi cette fois, qui s’apparente plus au stand-up, lui apporte beaucoup plus de liberté que les deux premiers seuls en scène, J’ vous ai pas raconté ? et Romantique, qui étaient construits sur des sketchs, et même que le troisième, Il était une fois… Franck Dubosc, qui était essentiellement autobiographique.

Après nous avoir gratifié d’une entrée digne d’une rock star (l’excès fait partie de ses péchés mignons), il nous interpelle tout de suite pour nous faire part de sa déception du monde qui l’entoure. Franck a un coup de mou, tout « l’emmerde ». Et ce ne sont pas les exemples qui lui manquent. Alors autant utiliser ce vague à l’âme pour embarquer destination l’île déserte ( ?) de Tonkiki… Un bon coup de solitude, loin des turpitudes et des agressions du monde moderne, ne pourra lui faire que du bien.

On a l’impression d’être dans une bande dessinée. Franck est un conteur hors pair. Son écriture est très imagée, son sens de la formule est toujours aussi aiguisé, ses comparaisons toujours aussi audacieuses, et ses digressions toujours aussi savoureuses. Le fait de ne pas être prisonnier du carcan d’un sketch lui permet de musarder, de divaguer, de passer du coq à l’âne. Il peut faire quelques allusions sur l’actualité, parler de politique, intégrer des personnages, nous adresser ça et là un clin d’œil par rapport à ses précédents spectacles (Sandy). Libre de tout, il nous emmène où il veut.


A l’état sauvage se décompose en trois parties : avant l’île, pendant l’île et un dernier chapitre plus personnel, plus intime, dans lequel il évoque sa famille. La fin est très jolie. Son couplet sur le bonheur est de la poésie pure. On y retrouve Franck-le-tendre, mais qui, par pudeur, s’autorise pas mal d’autodérision et quelques réflexions impayables. Ses nombreuses expériences de comédien font qu’il se trouve aujourd’hui au sommet de son art. Sa gestuelle, parfaitement maîtrisée, n’appartient qu’à lui. L’œil qui frise en permanence, le sourire malicieux, toujours prompt à provoquer les spectateurs du premier rang, la gentillesse est chez lui plus naturelle que la moquerie. Sauf lorsqu’il se complaît à se ridiculiser.

Franck Dubosc me plaît et m’amuse énormément. J'aime l'homme autant que l'artiste. Le vernis de mytho-hâbleur dont il se pare est un trompe-l’œil qui n’abuse personne. Ou alors il faut manquer sacrément de lucidité et de sensibilité. Et comme, ces derniers temps, il a tendance à vouloir s’en badigeonner de moins en moins, on voit de plus en plus souvent le cœur apparaître…

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 6 décembre 2013

Etienne Daho

Les Chansons de l’Innocence retrouvée
(Polydor/Universal Music France)

Treizième album d’Etienne Daho. Ce chiffre devrait lui porter bonheur car cet opus est particulièrement réussi… Bon, je me dois d’avouer que je n’ai jamais été un Dahophile. J’aime bien l’homme, sa mentalité, sa culture, son élégance, son discours, son honnêteté, sa simplicité. Mais en dehors de quelques titres, je n’étais guère séduit par l’artiste. Je ne rentrais pas dans ses chansons… et réciproquement. Je trouvais ses textes ampoulés, voire nébuleux. De même que je n’ai jamais éprouvé le désir d’aller le voir sur scène. Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose. On ne devient pas l’icône de toute une génération par hasard.


Mon enthousiasme pour ce nouvel album ne peut donc pas prêter à caution. Sur les onze titres qui le composent, j’en ai apprécié huit. Une jolie proportion qui frise le plébiscite !.
Tout d’abord j’ai trouvé cet album musicalement très travaillé. Les arrangements sont réellement somptueux avec, en particulier, un subtil usage des cordes qui le rend extrêmement raffiné. Il a construit une passerelle résolument estampillée années 2000 s’appuyant sur deux solides piliers, les Sixties et les Eighties… A l’image de son interprète. La voix de l’Etienne, mise très en avant, est un parti pris réussi. Comme il en a une maîtrise parfaite, elle agit comme un instrument de plus, chaud et mélodieux. Sur le plan de l’ambiance, c’est du très, très beau travail. On  prend beaucoup de plaisir à l’écouter. Daho s’est donné les moyens, ça s’entend et il faut lui en rendre hommage.


En 1981 ; il se proclamait « Mythomane », plus de trente ans après il s’émerveille d avoir retrouvé son « innocence ». Drôle de chemin parcouru. Il nous la fait à l’envers. Dans le star system, c’est habituellement l’inverse qui se produit. Voilà donc qui est réconfortant et somme toute guère étonnant de la part d’un artiste toujours aussi avide de nouvelles aventures et affranchi de toute contrainte matérialiste.

Or donc, pour ce qui me concerne voici dans un ordre préférentiel, les chansons qui m’ont le plus plu :
-          La peau dure
-          Le malentendu
-          Onze mille vierges
-          L’étrangère
-          En surface
-          Les torrents défendus
-          L’homme qui marche
-          Un nouveau printemps


(A noter l’ambiance joliment gainsbourienne de L’homme qui marche et de L’étrangère)

Olivier de Benoist "Fournisseur d'excès"

La Cigale
120, boulevard Rochechouart
75018 Paris
Tel : 01 49 25 89 99
Métro : Anvers / Pigalle

One man show écrit par Olivier de Benoist et Vincent Leroy

Présentation : Après avoir défendu les hommes pendant trois ans, Olivier de Benoist défens désormais les femmes car elles ont beaucoup de choses à se faire pardonner. En plus, ODB aime défendre les causes perdues…

Mon avis : Je crois que je n’ai jamais entendu autant de mots d’esprits cumulés dans un one man show. Si Olivier de Benoist est un sniper, c’est avec une mitraillette qu’il canarde ses cibles. Je crois qu’il sort une (bonne) vanne toutes les 15-20 secondes. Quelle écriture ! Et quelle façon de les dire !

On peut désormais affirmer qu’ODB est entré dans le cénacle de nos tout meilleurs humoristes. Il était déjà un des plus grands… par la taille. Il a tout pour lui. Reconnaissable entre tous avec son timbre de voix si personnel, il chambre avec une sorte de nonchalance tranquille, affichant un large sourire de sale gosse content et fier de ses « bêtises ».

Cet homme est doté d’une mauvaise foi aussi faramineuse qu’inoxydable. D’entrée, il proclame haut et fort que, dans ce nouveau spectacle, il va prendre cette fois la défense de la Femme, manière pour lui de s’excuser le l’avoir allègrement brocardée dans le précédent. Bien sûr, la suite nous apprendra qu’il n’en est rien. On sent qu’il voudrait bien mais c’est plus fort que lui. Une fois encore, les femmes en général, sa propre femme et sa belle-mère vont être ses victimes privilégiées. Et elles prennent lourd !
Plus, dans la salle, la gent féminine s’insurge et proteste, plus il en rajoute et plus il y prend visiblement du plaisir. Si on devait lui accorder une décoration, ce serait la Légion d’horreurs (avec un « s »). Il pratique la misogynie, le machisme et l’humour noir dans des proportions rarement atteintes. Et ça nous transporte de joie, quel que soit son sexe.


Le plus effarant est que ce jeune homme de bonne famille est baron de son état. Il nous apprend, armoiries à l’appui, que son patronyme intégral est Olivier, Marie, Emmanuel, baron de Benoist de Gentissart ! Et dire que dans « Gentissart », il y a « gentil » ! Mais il ne nous cache pas que cette particule, sa famille la doit à une partie de cul. Le fait d’armes de son ancêtre Charles-Eugène fut en réalité un fait de charme dont bénéficia l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche en l’an 1778… Alors comment voulez-vous que son chenapan de descendant puisse faire preuve de noblesse d’esprit vis-à-vis de vous, mesdames ? Sa grivoiserie est atavique. Il est donc tout à fait excusable.


Ce nouveau spectacle est remarquablement structuré. Il a su lui donner du rythme en y apportant d’efficaces ruptures à grand renfort de matériel et d’effets spéciaux : paperboard, projections de photos, d’animations, accessoires… Il rejoint également à plusieurs reprises un guéridon sur lequel repose un antique téléphone pour une rubrique intitulée « SOS ODB » qui donne droit à une rafale d’excellentes brèves savoureusement vachardes.
Il n’y a aucun moment de faiblesse dans Fournisseur d’excès. Tout est d’un niveau très élevé. Olivier de Benoist n’a pas son pareil pour transformer des moments de vie très personnels en fresque épiques : sa rencontre avec sa femme, un entretien d’embauche particulièrement croustillant, l’accouchement de sa femme, l’enterrement de sa belle-mère et son éloge funèbre… et j’en passe tant ce spectacle est riche et drôle de bout en bout.


Olivier de Benoist est unique. Il est le seul actuellement à évoluer dans ce registre. C’est fin, c’est féroce, ça fait tellement de bien !

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 3 décembre 2013

Ariane Brodier "Ariane fait sa mytho"

Théâtre Le Bout
6, rue Frochot
75009 Paris
Tel : 01 42 85 11 88
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Ariane Brodier, Yannick Vabre, Clément Charton

Présentation : Telle une funambule, Ariane Brodier avance sur le fil et jongle avec des personnages tout droit issus de l’Olympe. Elle revisite les grandes figures mythologiques… « Ariane fait sa mytho » répond à toutes les questions que l’on ne s’était jamais posées.

Mon avis : Je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait des demi-dieux et pas de demi-déesses, d’autant que les femmes sont sensées être des moitiés. Je suis allé au Bout, à Pigalle, et là j’ai eu l’explication. J’ai vu sur scène une authentique déesse et, qui plus est, ne fait pas les choses à moitié : Ariane Brodier !

Sur son affiche, elle annonce la couleur : « Ariane fait sa mytho ». Mais nous, évidemment, béotiens que nous sommes, vu que c’est une jeune femme, on pense tout de suite à la mythomanie. Normal, ce mot qui vient du grec signifie « mensonge pathologique » ; un truc bien féminin quoi. Eh ben pas du tout. On a tout faux. Et elle nous l’explique tout de go : on reste néanmoins chez les grecs car la « mytho » dont il est question est tout bonnement la… mythologie. Le fil (rouge) d’Ariane, c’est donc la mythologie grecque… Inattendu, non ?


Ariane Brodier réussit le tour de force de nous faire rire (énormément) avec un texte intelligent et une vraie culture. Elle sait de quoi elle parle. Si bien qu’elle peut se permettre, à partir d’une base didactique solide, de déraper et de nous embarquer dans un univers complètement louftingue… Bénie des dieux, Ariane possède un bagage incroyable : elle est très belle à regarder mais, visiblement, elle s’en contrefout car elle n’a aucun scrupule à se ridiculiser. Elle se livre à des cascades improbables, prend (judicieusement) toutes sortes d’accents, s’autorise des imitations, flirte avec la ventriloquie. Visiblement, ce n’est pas à l’hydromel qu’elle a été abreuvée, mais au cartoon. Ses gags sont très visuels. Elle imprime à son spectacle une cadence de dessin animé avec, en prime s’il vous plaît, une bande son particulièrement élaborée.

Elle se mélange un peu les crayons entre les mythologies grecque et latine. Mais il est vrai qu’apostropher le dieu de l’amour « Cucu » (pour Cupidon) c’est bien plus trognon que « Eh-Eh » (pour Eros). Elle réussit même à remonter le temps et à quitter l’Olympe pour l’Eden afin de camper notre maman à tous, madame Eve. En cinq minutes, elle nous offre un condensé implacable de l’éternel féminin. L’Autre Eternel (celui qui a la barbe) en prend pour son grade ! On comprend mieux pourquoi la femme est responsable de notre punition perpétuelle à tous…


Bref, le one woman show d’Ariane Brodier vaut autant pour son fond que pour sa forme. C’est gonflé, c’est coquin, c’est farfelu ; c’est inventif. On passe au Bout un moment quasi divin en compagnie d’une Aphrodite complètement déjantée qui déborde d’énergie et de bonne humeur. Elle est franchement olympienne.

Gilbert "Critikator" Jouin