lundi 3 février 2014

Parce que c'était lui

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce conçue et réalisée par Jean-Claude Idée
Décor de Bastien Forestier
Costumes de Sonia Bosc
Lumières de Jean-Claude Idée
Avec Emmanuel Dechartre (Montaigne), Adrien Melin (La Boétie), Katia Miran (Marie de Gournay)

Présentation : Cette pièce propose une réflexion sur l’éternelle opposition gauche-droite qui déchire la société française. Comment des gens qui ne partagent pas du tout les mêmes idées politiques peuvent-ils rester les meilleurs amis du monde ? La Boétie était révolutionnaire et anarchiste. Montaigne royaliste et chrétien. Leurs écrits, souvent ironiques et brillants, fournissent la matière des dialogues et nous redécouvrons, avec surprise et jubilation, leurs disputes qui ressemblent fort à celles de notre temps.
De son côté, Marie de Gournay complète ce triangle amical et amoureux en ajoutant à tout cela un brin de féminisme et d’impertinence.

Mon avis : L’action de déroule tour à tour dans l’un des trois endroits d’un décor très simple : côté jardin, un petit bureau, côté cour un lit d’une personne et, au centre, trône un superbe arbre nu stylisé au pied duquel on a disposé un petit banc… Nous sommes en 1588, dans le pied-à-terre parisien de Montaigne.

Je tiens à vous rassurer sans plus tarder : cette pièce dont les héros sont Michel de Montaigne et Etienne de La Boétie pourrait faire peur, au contraire elle est à la fois fort intelligente, d’une modernité stupéfiante et très vivante. L’ingéniosité de l’auteur est d’avoir habilement mêlé les échanges philosophiques et le fonds historique et, surtout, d’avoir glissé entre ces deux écrivains le personnage dynamique et séduisant de Marie de Gournay.

La pièce commence avec son irruption dans le bureau de Montaigne. Elle a 23 ans, il en a 55 ans. Elle est éperdue d’admiration pour son œuvre et ne s’embarrasse pas de salamalecs pour le lui faire savoir. Mais avant tout, elle veut avec lui crever un abcès qui la turlupine : pourquoi a-t-il trahi son ami La Boétie en ne publiant pas, alors qu’il s’y était engagé, son Discours de la servitude Volontaire… Quand cette « trahison » lui est aussi vivement rappelée, Montaigne sent entrer en lui le perfide poison du remords. Et, dès lors, son ami va venir dans ses songes lui demander des comptes.

La construction de cette pièce est imparable. On ne s’ennuie pas une seconde. Les caractères et les idées des deux hommes sont remarquablement dessinés. La Boétie est un homme entier, fougueux, presque brutal. Montaigne au contraire est beaucoup plus nuancé, il aime analyser avant de trancher, il est comme un poisson dans les méandres de la politique. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a énormément d’estime et d’admiration entre eux. Preuve que l’on peut être amis tout en ayant des idées souvent diamétralement opposées (« Parfois les contraires s’attirent », constate Montaigne). Ce sont deux beaux esprits qui se livrent à une explication post mortem. Ce que l’on reproche à Montaigne, il l’élude en une seule phrase très explicite : « Bien souvent, il y a loin de nos convictions à nos critiques ». Lui, il doute, mais il est habile, il a un sens aigu de la diplomatie. Et, surtout, par effet miroir sans doute, il a une confiance très limitée en l’homme : « A quoi bon imposer des systèmes si les hommes restent les mêmes ? ». Une attitude qui fait bouillir ce révolutionnaire de La Boétie aux positions bien plus radicales : « Nous sommes au monde pour la changer, non pour en jouir ». Mais Montaigne, il veut bien en jouir de ce monde et de ce destin qui lui offre une ultime parenthèse amoureuse en la jolie personne de Marie de Gournay.

Quel beau personnage que Marie. Et quelle épatante comédienne que Katia Miran qui lui prête ses traits. Marie est une pionnière du féminisme. C’est une femme libre. Elle sait ce qu’elle veut. Ses élans, son déterminisme sont à la fois inconcevables et fascinants pour Montaigne. C’est elle qui va au contact, qui rend compte et qui oriente les décisions.


Parce que c’était lui est une pièce résolument moderne. Son texte, intemporel, contient une résonance troublante avec l’actualité. Ses thèmes les plus forts et les plus récurrents sont l’égalité et la liberté. Tout cela est formulé dans un langage d’une richesse absolue. Et, en plus, il est servi par trois comédiens véritablement habités par leurs personnages. Si cette pièce obtient le succès qu’elle mérite on pourra affirmer en parlant de la qualité de leur jeu et de leur investissement : Parce que c’était eux…

Gilbert "Critikator" Jouin

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