vendredi 25 avril 2014

Tierra de Amor

Bobino
12-20, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 08 2000 9000
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Spectacle de danses latines mis en scène par Isis Figaro
Assistée de Julio Garrido
Scénographie de Fanny Leborgne
Costumes du Studio Acapulco Paradiso et Antoine Saffray
Lumières de Samuel Aubron

L’histoire : Nina décide de confier son jeune fils à sa mère aux Antilles afin de tenter de trouver un ailleurs qui leur offrirait un avenir plus radieux. Dans le même temps, Carlos, un riche homme d’affaires argentin, quitte son pays pour changer de vie et se réaliser pleinement. Les deux personnages débarquent alors à Tierra de Amor, un pays rêvé où la population accueille à bras ouverts des hommes et des femmes venus d’horizons différents : Brésil, Cuba, Saint-Domingue, Afrique… Passionnés de danse, Nina et Carlos deviennent amis et partagent les moments festifs sur la place centrale de la ville où les exilés se réunissent et s’expriment à travers d’incandescentes et sensuelles chorégraphies.
Mais un jour, Nina reçoit de mauvaises nouvelles à propos de son fils…

Mon avis : Tierra de Amor est un spectacle de danse comme il en fleurit régulièrement sur les scènes, c'est-à-dire impeccable au niveau des chorégraphies, ce qui est un minimum. Donc, sur ce simple aspect il y a vraiment de quoi être comblé. D’autant que, grâce à un scénario établi en amont, les danses ne sont pas qu’antillaises ou caribéennes, mais elles s’étendent également à Cuba, à l’Argentine (ce qui permet un spectaculaire numéro de bolas), à l’Afrique. Du coup, l’éventail étant ainsi élargi, on adroit à toute une variété de couleurs et d’expressions corporelles. On passe, sans que cela choque (au
contraire) de la salsa au tango, du boléro au merengue, du cha-cha-cha eu reggaeton de la samba au gwo ka…


Car la force de ce spectacle, c’est qu’il nous raconte une histoire ; une histoire avec des personnages qui ont un destin à accomplir et auxquels on s’attache. Si bien que les danses, illustrant des situations, viennent également exprimer des sentiments… L’action se déroule dans une ville imaginaire, idéalisée, où se retrouvent des déracinés qui apprennent à se connaître, à s’estimer, à s’aimer. Avec son métissage humain et culturel, ce melting pot est chargé d’une véritable symbolique et diffuse un message de fraternité, de tolérance, et d’amour. C’est d’abord un hymne à la vie.


Isis Figaro, qui a conçu ce spectacle, qui en est l'âme, est visiblement habitée et missionnée par ce qu’elle a envie de faire passer à travers la danse. Et toute la troupe qu’elle a fédérée est toute entière à son image. Trois mots définissent ce show : générosité, émotion et, surtout, joie de vivre. Superbes physiques, beaux sourires, nombreux costumes tour à tout élégants, festifs ou chatoyants (en fonction de l’histoire), chacun donne le meilleur de lui-même. L’esprit de troupe est évident, il passe la rampe pour nous faire vivre un grand moment de partage. Ici, l’esthétique s’ajoute à la performance. C’est tellement huilé et maîtrisé que ça paraît facile, simple, alors qu’on imagine les heures de travail et de répétitions qu’il a fallu pour atteindre un tel degré d’excellence.


Tierra de Amor est un spectacle complet, dépaysant, coloré, dont on sort tonifié, heureux et avec au corps une irrépressible envie de danser…

mercredi 23 avril 2014

AuDen "Sillon"

Polydor/Universal

Au bout de deux écoutes attentives, j’ai été vraiment charmé par cet album qui nous creuse un Sillon pernicieux au cœur et à l’âme. AuDen nous livre un opus homogène, folkeux à ravir. Il nous prend en douceur. On écoute ses chansons comme on siroterait de l’hydromel en se laissant peu à peu envelopper par des vapeurs enivrantes.

Cet album, c’est un climat. Il nous incite à quitter un confortable salon cosy pour aller se balader sur la lande bretonne. Le ciel est gris-bleu, les genêts se courbent mollement sous la caresse d’une douce brise, la mer est à peine agitée, comme alanguie, attirante et mystérieuse…
La voix est douce, la musique est douce, les éléments ne sont pas hostiles, plutôt bienveillants. AuDen s’affirme comme un chantre de la mélancolie ? En tout cas, il y a longtemps que je n’avais pas lu des textes aussi empreints de poésie. Belle, très belle plume, le garçon !


La première chanson de l’album, Azur éther, est pour moi le titre-étalon. Il préfigure parfaitement l’ambiance générale, il donne le ton et, tout de suite, entêtant, lancinant, il nous intrigue. AuDen a l’obsession du temps ; du temps qu’il fait, du temps qui passe. Le mot revient souvent dans ses textes. On ne peut pas dire qu’il soit très jovial. Il apparaît un tantinet désabusé (Les printemps), il est encombré de questionnements quasi métaphysiques, du genre « qui sommes-nous ? », « Où allons-nous ? » (Ici ou là, Etourdi)…


Est-il viscéralement discret, voire secret ? Est-il véritablement modeste ? On peut le croire. On ressent comme une crainte d’être percé, d’être mis à jour. Il est l’anti-narcisse même. Dans Le bout de tout, il s’auto-flagelle carrément : « Je ne suis rien du tout » et a-t-il vraiment réalisé que dans « terminus », il y a « minus »… Je ne pense pas qu’il aille jusque là. Quoi que… Dans la chanson suivante, Douces vapeurs, il en remet une couche, cherchant à s’oublier et à se faire oublier… Il est tout le contraire d’un fier-à-bras, d’un matamore. Ce qui doit diablement plaire aux jeunes filles. D’autant que dans Tes détresses, il se montre particulièrement attentif et secourable devant le mal-être d’une jeune femme. A la limite de l’aveu d’impuissance, il est touchant dans sa tentative de percer le mystère féminin… Il y a là de quoi lui donner de la matière pour les albums à venir !

J’ai bien aimé suivre le Sillon d’Auden. Il a le soc élégant, respectueux. Il y sème délicatement des petites graines qui éclosent en chansons diaphanes, éthérées aux tons pastel. Ça nous change du désordre ambiant. Un peu de douceur dans ce monde de brutes, ça ne fait pas de mal.

Voici, dans l’ordre préférentiel, mon petit hit-parade :
-          1/ Aller sans retour
-          2/ Azur éther
-          3/ Le bout de tout
-          4/ Pour mieux s’unir

-          5/ Ici ou là

mardi 22 avril 2014

Herbert Léonard "Demi-Tour"


Herbert Léonard est de retour aux sources avec Demi-Tour, un album qu’il définit comme « un CD de rhythm’n’blues – du vrai, pas du R’n’B – la musique selon mon cœur ».
Il ne faut pas oublier qu’avant de connaître un formidable succès avec des chansons d’amour dans les années 80, Herbert a longtemps pratiqué le rock’n’roll et le rythm’n’blues au sein de différents groupes puis en solo. Ce Demi-Tour qu’il opère près d’un demi-siècle plus tard est donc chargé de symboles. C’est pour lui un véritable bain de jouvence dans lequel il se plonge avec délices, uniquement « pour le plaisir ».

Cette musique lui colle à la peau. Avec sa voix chaude et veloutée, son swing musclé, il est fait pour elle. Herbert est un enfant nourri à la soul de la Motown et de la Stax. Il aime les rythmes syncopés, les guitares fluides et saturées, et les cuivres qui balancent.


Le CD contient onze titres dont deux en anglais. Il s’ouvre et se termine avec Elle est divine, une très bonne adaptation de Keep On Running.
Personnellement, j’ai un faible pour son interprétation de Teppaz Rock, une petite merveille de slow rock joliment écrit et truffé de délicieux « wap wap » de choristes qu’on dirait venues des Sixties… De toute façon, Herbert est redoutable dans les chansons lentes, dans les slows épidermiques, comme You Are So Beautiful et Si j’avais le courage avec leurs solos pleins de sensualité.
Mais il est tout aussi à l’aise avec les titres qui pètent comme le trépidant Show Me, le très chaloupé Comme dans un rhythm’n’blues où il s’autorise un superbe dialogue avec les chœurs et une section de cuivres aux petits oignons, le vibrant hommage qu’il rend à Otis Redding dans Big O, la seule chanson inédite de cet opus, et le joyeusement tonique Une lettre (The Letter), qui tourne, tourne et avance tout le temps à un rythme effréné.


On partage véritablement un chouette moment en compagnie d’Herbert Léonard. Cette musique est intemporelle, vivifiante, elle exhale la joie de vivre, elle nous fait inévitablement bouger les jambes et nous donne aussi une irrésistible envie de revivre les langoureux slows de papa si générateurs d’idylles et responsables quelque part, il faut bien le reconnaître, du fameux baby boom…
Il y a des Demi-Tours qui font vraiment du bien !


lundi 21 avril 2014

Amandine Bourgeois "Au Masculin"

Sortie le 5 mai 2014

Pour son troisième album, Amandine Bourgeois surgit là où ne l’attendait pas du tout. Sans doute motivée par l’insuccès de son deuxième CD qui est resté hélas « Sans amour » en dépit de sa grande ambition et de textes ciselés par l’immense Boris Bergman, la jeune femme a décidé de prendre moins de risques en n’enregistrant que des reprises. Mais pas n’importe quelles reprises puisqu’elle n’a retenu que des chansons créées par des hommes. D’où son titre : Au Masculin… Plutôt « couillu » le challenge ! Mais on peut affirmer en toute sincérité que, et sans perdre une once de sa féminité, son changement de sexe artistique est totalement réussi.

Sur les 16 titres que contient cet album, il n’y en a que 3 qui n’ont pas trouvé grâce à mes oreilles. Je les énumère tout de suite, comme ça on en sera débarrassés : La Ballade de Jim, Ma Gueule et Alors on danse. Ces trois-là ne m’ont pas du tout convaincu, particulièrement Ma Gueule où elle manque cruellement – ce n’est pas sa faute, c’est physique – de testostérone. Le décalage y est trop grand. Quant à Alors on danse, où elle est bien meilleure dans les couplets que dans les refrains, je pense que c’est l’arrangement qui ne convient pas.


En revanche, pour ce qui concerne les 13 chansons restantes, c’est du nanan ; un pur délice. Il faut d’abord saluer la qualité et l’originalité des arrangements signés Quentin Bachelet. C’était une sacrée gageure que de concocter de nouveaux climats à des chansons gravées dans notre disque dur musical, de les habiller de nouvelles couleurs parfois surprenantes mais toujours de bon aloi comme, par exemple, transposer Savoir aimer en reggae et lui immiscer en outre un passage rappé (ce qui, à mon goût, est regrettable car on est plus dans la performance gratuite au détriment du sens). Mais que c’est chouette en reggae !



La voix si joliment écorchée d’Amandine excelle dans ce florilège de tubes à fort caractère. Son duo avec Cali dans une version résolument rock de Il est cinq heures, Paris s’éveille est une merveille. C’est du lourd… Le fait qu’elle soit Toulousaine d’adoption l’a tout naturellement influencée dans son choix. On retrouve en effet dans son « Types parade » une belle poignée de chanteurs estampillés « Sud-ouest » : Polnareff, Cabrel (Lot-et-Garonne), Nougaro, Art Mengo (Toulouse), Nino Ferrer (installé dans le Lot)… Un superbe hommage confraternel à ses glorieux aînés.
Dans Au Masculin, j’ai aimé la jolie interprétation toute en ruptures de Love me, please love me ; l’ambiance syncopée et tonique de Dansez sur moi ; le parti-pris bluesy de Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai, un registre dans lequel elle excelle et que l’on retrouve dans son interprétation habitée et terriblement convaincante de J’ veux pas que tu t’en ailles ; le climat judicieusement respecté onirique et brinqueballant de Madame rêve ; le délicat swing sud-américain de La rue Madureira ; l’interprétation pleine de sensibilité de Utile, en forme d’hymne et de profession de foi ; sur Parler d’amour, elle démontre qu’elle sait de quoi elle parle quand il s’agit d’y mettre les sentiments, un état d’esprit qui, en l’évoquant, lui met l’Eau à la bouche, chanson qui vient fort à-propos comme une suite de la précédente ; et, enfin, j’ai beaucoup apprécié la belle double énergie communicative qu’elle dégage en compagnie de sa complice « janisjoplinienne » Berverly J Scott…


Au vu, et surtout à l’écoute, de ce remarquable album, il ne nous reste plus désormais qu’à attendre sa projection et sa réalisation sur une scène. Ça promet un beau et bon spectacle.

mardi 15 avril 2014

Christophe "Intime"


Inaltérable, inégalable Christophe ! Et surtout, totalement indémodable ; tout simplement parce qu’il est en dehors de toutes les modes depuis un demi-siècle… Christophe, c’est Christophe. Il ne ressemble à personne.
Aline et Les Marionnettes ont 50 ans, Les Mots bleus et Paradis perdus en ont 40. Elles sont toujours à son répertoire, mais elles ont évolué avec le temps. Comme lui. L’an dernier, à 67 ans, il s’est enfin résolu à apprendre… le piano. Et aujourd’hui, c’est derrière un Steinway qu’il se produit dans une tournée seul en scène. Ces deux là étaient faits pour s’entendre et se faire entendre. Avec leurs cordes respectives, la voix de Christophe étant un instrument à part entière, ils sont viscéralement fusionnels. Le plus mélodieux des deux n’étant pas toujours celui qu’on croit.


En pleine tournée, Christophe a sorti un nouvel album, Intime, contenant 19 titres. Il l’a enregistré en décembre dernier, devant un public restreint de privilégiés. Il a revisité ainsi ses plus grands tubes en s’accompagnant soit au piano (pour la majorité), soit à la guitare ou au synthé. Cela donne un album complètement épuré, au climat éthéré. Il s’en dégage une incroyable magie… Christophe est un laborantin. Il n’aime rien tant que de triturer les sons pour en tirer des ambiances inattendues, parfois étranges, souvent envoûtantes. Comme son titre l’indique, dans Intime, Christophe exprime son moi profond. Sa voix, il lui a laissé la bride sur le cou. Elle s’insinue dans les distorsions, se glisse dans les interstices, se love dans les arpèges. C’est d’une incomparable beauté ; le fameux "Beau bizarre" qui est son ADN.


On retrouve donc dans Intime tous les titres qui ont fait son succès mais complètement réinterprétés. Christophe s’est totalement libéré du carcan des mélodies originelles. Il n’est que feeling. Je suis convaincu que, pour n’importe quelle chanson, il l’aurait enregistrée quelques heures plus tard, il en aurait tout autre chose. Il est dans l’instant.
En plus de ses grands standards, Christophe s’est autorisé deux reprises, deux reprises qui ne sont pas anodines, loin de là. Rien que pour entendre sa version de La non-demande en mariage de Brassens, il faut se procurer cet album. Il y a mis toute son âme ; il la magnifie. Moi qui suis un inconditionnel de « Tonton Georges », j’ai été littéralement transporté, touché au cœur, par cette extrême sensibilité, par cette justesse de ton qui colle parfaitement au texte. Du grand art !

La seconde reprise, c’est Alcaline d’Alain Bashung. Sans jeu de mot, il est pile dedans, en totale harmonie avec le créateur. Il y a une certaine fraternité artistique entre ces deux hommes, deux perfectionnistes, deux chercheurs insatisfaits, deux pinailleurs. C’est un superbe clin d’œil complice. Et puis, est-ce un hasard involontaire si dans Alcaline, il y a Aline ?...

Une seule chose m'a gêné, dérangé, sinon Intime m'aurait plu à 200%, c'est que le public reprenne en choeurs les refrains de certaines chansons. En spectacle, je trouve ça normal, mais sur ce disque si particulier, je n'adhère pas. C'est peut-être égoïste, mais j'aime Christophe tout seul. Je n''aime pas qu'on entre dans notre "intimité" d'artiste à auditeur...

Gilbert "Critikator" Jouin

vendredi 11 avril 2014

Antoine Duléry fait son cinéma

Grand Point Virgule
8 bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 74 76
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Seul en scène écrit par Antoine Duléry et Pascal Serieis
Mise en scène de Pascal Serieis

Présentation : Tour à tour Belmondo, Serrault, Luchini ou Johnny, Antoine Duléry rend hommage aux grands acteurs du passé mais aussi à ses complices d’aujourd’hui. Il passe avec virtuosité d’un personnage à l’autre, du Théâtre au Cinéma, du réel à l’imaginaire : Delon croise De Niro, Luchini poétise avec Jouvet, Galabru dialogue avec Serrault. Au gré de ces rencontres improbables naissent des situations jubilatoires.

Mon avis : « Ce n’est pas de l’imitation, c’est de l’amour »… C’est en ces termes qu’Antoine Duléry définit son spectacle à la fin de son seul en scène. Toute son implication est contenue dans cette phrase. Antoine est entièrement dans l’affect, en totale empathie avec ses glorieux aînés comme avec ses contemporains. C’est un caricaturiste qui croque ses personnages sans jamais mettre dans ses portraits une once de méchanceté. Il force certes beaucoup le trait, il accentue les tics, il magnifie les tocs. Il est en permanence dans un mimétisme amplifié.

« Antoine Duléry fait son cinéma ». Le titre de son spectacle comprend deux niveaux de lecture et de réception. D’abord en donnant au verbe « faire » son sens de « construire ». Il nous livre son générique idéal, de Michel Simon et Louis Jouvet à Fabrice Luchini et Johnny Hallyday en passant par Jean-Paul Belmondo et Michel Serrault. Quelle affiche somptueuse il nous propose ! Il joue en permanence à chat-mythe… Ensuite, il « fait son cinéma » en ce sens où il en fait des caisses. Bonjour le Cabot ! Mais c’est un cabot magnifique nanti d’un sacré pédigrée car il est issu d’une longue lignée de splendides acteurs et comédiens. Il les a observés, il les a idolâtrés, il les a croisés, côtoyés, il les a absorbés et il les a digérés. Ce qui en ressort aujourd’hui, c’est la quintessence, le suc de tout cet amour. Ce spectacle, il l’a laissé grandir en lui au fil du temps, au fil des films, au fil des rencontres. Quand son trop-plein d’amour a débordé, tel un animal hermaphrodite, il accouché de ce seul en scène qui lui est si personnel. Tout Duléry est dans ce show. Il rend à ce métier-passion et à ses plus prestigieux serviteurs un formidable hommage.


La petite salle du Grand Point Virgule (200 places) était pleine comme un œuf. Le public, d’une moyenne d’âge plutôt élevée, était tout vibrionnant à l’idée de découvrir en vrai sur près d’une heure et demie tous ces personnages qu’Antoine Duléry avait esquissés sur les plateaux de télévision, particulièrement chez Michel Drucker. Un public joueur, prompt à entrer dans l’interaction facétieuse proposée par l’artiste. Plus les gens réagissent, plus il va les chercher et les provoquer. Du coup, l’ambiance dans la salle est extrêmement conviviale.

Antoine Duléry possède toutes les ficelles du métier. Il sait tout jouer, mais il excelle surtout dans la gaudriole, dans l’humour. Il fait vraiment bien son boulot mais sans donner l’impression de se prendre au sérieux. Et pourtant, sa prestation est très travaillée. Elégant, charmeur, il est visiblement là pour s’amuser et nous amuser. Son plaisir d’être sur scène est aussi évident que communicatif. Il fait le show avec une générosité de tous les instants. Ça ne ronronne jamais, il est tout le temps en action… Comme tous les comédiens, Antoine Duléry aime les mots, les belles phrases. Son texte est émaillé d’aphorismes, de citations, de jolies tirades (sa présentation de Gérard Depardieu), d’extraits de dialogues de films (Les Enfants du Paradis, Tenue de soirée, Un singe en hiver…) ou de pièces de théâtre (La Femme du boulanger). Il y ajoute même un zeste de poésie lorsqu’il évoque l’importance du public pour les artistes. Et, bien sûr, quand il le faut, il a toujours le sumo pour rire…


« Antoine Duléry fait son cinéma » et il ne gâche pas la pellicule, enchaînant sans temps mort les plans séquences et, proximité oblige, multipliant les gros plans. Et, en prime, il peut s’offrir le luxe de reprendre les meilleurs auteurs, Audiard en tête. Il n’est évidemment pas le meilleur imitateur, mais avec ses dons de caméléon, sa puissance évocatrice, on reconnaît aisément tout le monde, même les moins souvent parodiés (Pierre Arditi, Claude Rich…). Cependant certains de ses personnages sont réellement copie conforme avec les originaux : Luchini, Daniel Prévost, Johnny, Belmondo, Galabru, Noiret sont véritablement étourdissants de réalisme. Et puis, qualité non négligeable, ce diable d’homme sait aussi chanter : Barbara, Montand, Aznavour, Bécaud, Michel Legrand (très applaudi) sont remarquablement esquissés. Enfin, même quand il ne parle pas, il est capable de faire hurler la salle de rire en campant Robert de Niro uniquement avec des mimiques…


Je pense que ce one man show va l’emmener longtemps et très loin sur toutes les scènes de France car il contient la quintessence-même du spectacle et il emmène avec lui toute la fine fleur du cinéma français. Chapeau l’artiste !

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 1 avril 2014

La Sanction

L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Jusqu’au 12 avril
Cette pièce sera jouée à Avignon en juillet. Théâtre du Roi René à 18 h 15.

Une pièce de Jean Barbier
Mise en scène par Idriss Saint-Martin
Décors d’Olivier Prost
Lumières de Jean-Luc Piro
Costumes de Maryvonne Hamida
Avec Diane de Segonzac (la vieille dame), Christophe Poulain (Red Douglas), Julien Tortora (Jeff), Sabine Perraud (Liz Douglas), Jacques Chailleux (John)

L’histoire : Années 70, dans une petite ville tranquille des Etats-Unis. Deux hommes que tout oppose vont, par goût du risque et pour l’appât du gain, cambrioler une pauvre vieille femme. Mais la situation tourne mal… Ils vont commettre l’irréparable. Seul l’un d’entre eux sera arrêté et jugé… A sa sortie de prison, il part à la recherche de son ex-associé…

Mon avis : C’est un crève-cœur que cette pièce doive s’arrêter le 12 avril… Sincèrement, j’ai été happé par cette histoire sombre, par ce sordide fait divers qui aurait pu s’inspirer de la réalité tant il est crédible et tant sa logique est implacable. C’est simple, à un moment du début, je lui ai trouvé un véritable cousinage avec Orange Mécanique ; Christophe Poulain, dans le rôle de Ted, n’étant pas loin de se comporter comme Alex le personnage interprété dans le film de Kubrick par Malcolm McDowell. C’est là un véritable compliment tant ce garçon réussit à distiller une inquiétante violence gratuite et à y montrer un plaisir sadique. Il fout vraiment la trouille, c’est un grand détraqué, incontrôlable et hyper-dangereux.
L’habileté de l’auteur est de lui avoir adjoint un complice qui lui est diamétralement opposé. Quand Ted fait partie de ce qu’on appelait à l’époque les « blousons dorés », Jeff lui est un authentique blouson noir, un voyou venu de la rue, un héritier de ces bandes nées au milieu des années 50 qu’un film comme La Fureur de vivre a immortalisées. Julien Tortora a ce look. On le croirait sorti tout droit de la bande des Sharks, ces latino-américains de West Side Story. Autant Ted est un adepte de la violence, autant Fred préfère agir en douceur. Ils forment un binôme façon « flic gentil » et « flic méchant ». Mais leur finalité est commune : partir avec les économies de la vieille dame.


Pendant toute la première moitié de la pièce, on est sous tension. On prend fait et cause pour la vieille dame, on a peur pour elle. Surtout qu’elle ne veut rien lâcher. Cette petite dame fragile est d’un courage hallucinant. Mais, à l’instar de la Chèvre de Monsieur Seguin, son opiniâtreté risque de ne pas être suffisante, surtout face à un barjot comme Ted… Les scènes qui se déroulent dans l’appartement de la vieille dame sont dures, âpres, sans concession. Elles sont absolument nécessaires pour nous faire comprendre les profils psychologiques des deux principaux protagonistes et préparer ainsi le terrain à la deuxième partie.

La sanction est une pièce bien construite. Elle aurait pu être malsaine, elle est uniquement machiavélique. Et, surtout, elle est remarquablement interprétée. D’abord par le duo Poulain/Tortora. Ils sont en tous points excellents. C’est d’autant plus méritoire qu’ils incarnent des personnages qui doivent faire appel à un registre de jeu très étendu. Ils sont vraiment parfaits.
Une mention particulière aussi pour la prestation de Diane de Segonzac dans le rôle hyper délicat de la vieille dame, un rôle dans lequel elle doit subir toutes sortes de violences morales et physiques, au cours desquelles il lui arrive, grâce à Jeff, de connaître quelques petits moments d’espoir. Un beau, très beau personnage.


Grand amateur de polars, j’ai aimé La Sanction pour son climat, pour la justesse de ses personnages et pour leur jeu réellement habité. C’est une pièce qui ne peut pas laisser indifférent.  Je n’ai pas regretté ma soirée…