vendredi 20 février 2015

Rupture à domicile

Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 Paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard-Lenoir

Une comédie écrite et mise en scène par Tristan Petitgirard
Décor d’Olivier Prost
Lumières de Denis Schlepp
Costumes de Mélisande de Serres
Avec Olivier Sitruk (Eric), Hélène Seuzaret (Gaëlle), Benoit Solès (Hyppolite)

L’histoire : Rompre n’est jamais agréable, alors pourquoi ne pas payer quelqu’un pour le faire à votre place…
Un soir, Eric Vence, fondateur de l’agence « Rupture à domicile », est missionné par Hyppolite pour annoncer à sa compagne qu’il a décidé de la quitter.
C’est là qu’Eric tombe sur Gaëlle, son ex, partie sept ans plus tôt sans la moindre explication. Evidemment, Eric ne lui dit pas qu’il a été engagé. Il pense avoir un coup d’avance, car en la retrouvant il sait avant elle-même qu’elle est sur le point de redevenir célibataire… Mais Eric est loin de se douter que son client a changé d’avis et surtout qu’il va les rejoindre…
Un trio amoureux inédit se met alors en place : l’ex, la femme et le futur ex. c’est le début d’un poker menteur explosif dont personne ne ressortira indemne.

Mon avis : C’est sur la mélodie de Un jour mon prince viendra qu’Olivier Sitruk fait son entrée sur scène. Mais le romantisme douçâtre de cette musiquette disneyenne est immédiatement mis à mal lorsque le personnage qu’il incarne s’adresse à nous pour nous présenter sa profession. De sa belle voix chaude, il explique qu’il a créé une agence spécialisée dans la rupture. Il intervient en lieu et place d’un des deux partenaires pour apprendre à l’autre qu’il va le/la quitter. Justement, un homme vient de l’appeler pour qu’il aille informer sa compagne de son désir de rompre leur relation. Nous allons donc l’accompagner en direct dans sa mission. Et la pièce commence…


Eric (Olivier Sitruk) fait donc irruption dans l’intérieur coquet de Gaëlle. A peine la porte s’ouvre-t-elle sur lui que tout dérape. Gaëlle n’est autre que son ex qui l’a quitté sept ans plus tôt sans lui fournir la moindre explication. La surprise ayant fait place à l’émotion des retrouvailles, il est évident que le message qu’il a à transmettre passe au second plan. Mais là où tout va se corser, c’est que Hyppolite, le compagnon de Gaëlle, vient brutalement de changer d’avis et il déboule à son tour dans l’appartement… Le trio infernal est formé. On se cale dans notre siège et on se prépare à assister à un âpre combat…

Voici donc le postulat de cette pièce. L’idée est on ne peut plus originale. Reste à voir comment tout ceci va évoluer et si on va être captivé tout du long par les tribulations de ce triangle amoureux.
Déjà, la force de cette pièce, ce sont ses trois protagonistes. Chacun d’eux possède un tempérament bien spécifique. Les deux hommes ont des caractères diamétralement opposés. Autant Eric est calme, posé, doté d’un humour à froid (j’ai adoré la sonnerie de son portable) et un tantinet manipulateur, autant Hyppolite est premier degré, émotif, survolté et prévisible. Leur opposition de style, les gesticulations du second face à froide sobriété du premier, est un ressort comique très efficace. On ne peut pas les confondre : l’un (le sérieux) est logiquement habillé en noir, l’autre (le farfelu) porte une chemise bleu ciel… Quant à Gaëlle, elle est la passerelle entre les deux. Ignorant tout de la machination dont elle est l’objet, elle va devoir s’adapter au fur et à mesure que les informations lui viennent et utiliser des armes qui lui sont propres.


Disons-le tout net, j’ai eu du mal pendant un gros quart d’heure. Celui qui suit l’arrivée en scène d’Hyppolite. Lorsqu’il invente « le Fou », il entre dans une débauche de mimiques et de contorsions que ça en devient lourd. Il en fait des caisses. Il est peu crédible. J’ai beau me dire que c’est le scénario qui le veut, mais je suis au bord de la rupture et j’ai envie de regagner mon domicile.
Puis, magie du spectacle, lorsqu’Hyppolite se décide à éradiquer « le Fou », tout commence à se mettre en place. Bien sûr, on assiste de part et d’autre à une surenchère des mensonges, chacun cherchant à s’y retrouver tout en en inventant un plus gros. Ces mensonges-gigogne contribuent à l’édification d’un édifice dont chaque brique est branlante. Impossible de construire quoi que ce soit quand tout est vacillant.


Progressivement et de plus en plus intensément, je me suis laissé happer et mordre par ce huis-clos aux multiples rebondissements. Oubliées les quelques grosses ficelles du début, l’ouvrage passe à la dentelle. On n’a plus qu’à se laisser porter. On rit beaucoup et souvent, mais peu à peu l’intrigue distille des plages d’émotion. Vers la fin, on est cloué par un moment de tension impressionnant.
Rupture à domicile est un formidable gymkhana sentimental. A partir du moment où on a accepté la part d’irrationnel nécessaire à toute fiction, tout reste plausible. On comprend ainsi tout à fait que Gaëlle soit tiraillée par deux spécimens de mâles aussi différents. Elle apprécie la rigueur de l’un tout autant que la fantaisie de l’autre, le côté adulte d’Eric, les comportements parfois puérils d’Hyppolite. L’idéal pour elle, finalement, ne serait-ce pas la synthèse des deux ?
Interdit de dévoiler le dénouement. De toute façon, avec l’esprit aussi créatif, voire tordu, de l’auteur, on peut imaginer qu’il peut encore y avoir un rebondissement après les saluts. On est à l’abri de rien.

Je terminerai par un hommage absolument respectueux et admiratif devant la performance artistique des trois comédiens. Olivier Sitruk est parfait d’un bout à l’autre. La puissance comique de Benoit Solès est effarante. Et Hélène Seuzaret, que l’on de voit pas assez au théâtre à mon goût (elle était remarquable dans Plus vraie que nature), possède le registre le plus complet qui soit. Elle est juste dans toutes les situations. Et puis elle a un sourire !...


Gilbert « Critikator » Jouin

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