lundi 2 février 2015

Zidani "La rentrée d'Arlette"

L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis


Présentation : Arlette Davidson reprend la direction du Collège Sainte Jacqueline de Compostelle.
Mais, très vite, l’enthousiasme de la rentrée s’estompe face aux problèmes quotidiens : pénurie de profs, absentéisme du corps enseignant, vétusté des bâtiments, etc… De la prof sadique et élitiste à celle qui entame sa troisième année de dépression chronique, c’est clair, l’année scolaire promet d’être « fatigante, fatigante, fatigante »…

Mon avis : Pour avoir régulièrement apprécié ses différentes compositions dans l’émission « On n’ demande qu’à en rire », je savais à peu près à quoi m’attendre en allant découvrir le nouveau seule en scène de Zidani à l’Archipel. Je subodorais que ce serait intelligent, drôle, surprenant et pas anodin.
Et bien c’est exactement ce type de spectacle auquel j’ai assisté. Fine lettrée (elle est licenciée en Histoire de l’Art et professeur de religion protestante), Zidani porte un soin tout particulier à l’écriture. Les phrases sont remarquablement construites et les mots sont bien pesés. Mais, au-delà de ses qualités d’auteure, la jeune femme s’avère être une comédienne accomplie avec un éventail étonnant dans tous les registres. Elle adore jouer avec sa voix, n’hésitant pas à monter très haut dans les décibels quand il le faut, incroyablement expressive (son visage en caoutchouc passe en un dixième de seconde du sourire enjôleur au regard chargé de menaces et elle excelle dans l’utilisation de tics qui se montrent plus éloquents et explicites que les mots pour signifier u état d’esprit), très physique (elle saute, elle danse, se livre à des chorégraphies improbables), elle fait preuve pendant une heure et demie d’une débauche d’énergie effarante. Et quelle gestuelle !

Zidani est habitée. Littéralement habitée. En elle, ce sont plusieurs aliens qui cohabitent ; des personnages qui vont défiler et, pour certains, revenir devant nous. Qu’on le veuille ou non, nous sommes partie prenante dans son spectacle. Elle nous y intègre d’office puisqu’elle considère d’autorité que nous, les spectateurs, nous sommes en fait les élèves d’une classe qui vont devoir écouter les discours de la directrice et affronter ou subir les comportements pour le moins déconcertants de professeurs déjantés. Zidani voit tout. Elle repère ses victimes, les interpelle, les apostrophe et n’hésite pas à fondre sur eux quand sa vindicte déborde. Impossible de somnoler dans son coin ou de mâcher mollement son chewing-gum…

Crédit photo : F. Moulaert
Nous sommes au Collège Ste-Jacqueline de Compostelle, une institution qui fleure bon l’enseignement catholique mais, à l’énoncé des prénoms, on s’aperçoit qu’il y règne un grand brassage ethnique. En plus, il apparaît que s’y épanouissent plus de cancres que de bons élèves. Leur peu d’appétence pour la chose scolaire et leur propension à l’indiscipline et à l’insolence, ont des conséquences directes sur le système nerveux des enseignants. D’ailleurs madame la directrice, faisant preuve d’une extrême lucidité, n’hésite pas à décréter : « Ici, nous avons besoin de professeurs plus résistants que compétents ». Tout est dit !

Zidani sait à la perfection se glisser dans la peau de personnages très différents, et physiquement, et psychologiquement. C’est très abouti. Il en ressort une galerie d’individus plutôt hauts en couleurs : prof de religion hallucinée, à la chevelure ébouriffée, au bord du burn out ; prof de français - qui possède une ressemblance confondante avec Martine Aubry - docte, pénétrée, caustique et férue d’humour noir ; prof de chant hirsute affublée d’une pull-serpillère jaune poussin ; prof de gym à la coiffure rousse hyper-frisée et au haut de survêt présentant un camaïeu de couleurs flashy du meilleur goût…
En outre, Zidani utilise à bon escient un écran pour nous proposer quelques petits films, reportages ou portraits, qui nous permettent de retrouver certains personnage ou d’en découvrir d’autres, comme l’inénarrable Chantal Trognon.

Vous l’aurez deviné, La rentrée d’Arlette est un spectacle complet. Il y a de la comédie, du mime, du burlesque, du tragique, du chant, de la danse, du cinéma, de l’interactivité (et pas qu’un peu !)… Pourtant, lorsqu’on cogite un tantinet, on s’aperçoit que Zidani s’est malicieusement ingéniée à faire passer quelques messages et à dénoncer pas mal de dysfonctionnements dans le système scolaire. Derrière le délire et la folie des personnages, elle nous confronte à de véritables drames humains. Ici, la névrose n’est pas présente gratuitement. Elle est tangible, édifiante, inquiétante. Et Zidani sait de quoi elle parle, elle qui a enseigné pendant une dizaine d’années. L’humour lui permet d’évoquer avec légèreté des sujets graves et aussi fondamentaux que l’éducation.
On a bien ri pendant une heure et demie, mais on nous a donné à réfléchir pendant bien plus longtemps. C’est là une des vertus cardinales de l’humour (quand il est servi par des gens intelligents et concernés)…


Gilbert « Critikator » Jouin

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