lundi 23 mars 2015

Les Grandes Filles

Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Stéphane Guérin
Mise en scène pr Jean-Paul Muel
Décor d’Edouard Laug
Lumières de Laurent Béal
Son d’André Serré
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Vidéos de Mathias Delfau
Avec Geneviève Fontanel (Madame Khader), Judith Magre (Madame Xénia), Claire Nadeau (Madame Yvonne), Edith Scob (Madame Zakko)

L’histoire : Tiens, voilà quatre femmes que l’on va suivre pendant toute une année, chez les unes, chez les autres, au bal des Pompiers, dans la rue, dans un square. Elles ont un âge certain, elles se rendent visite, elles râlent, elles attendent, elles reproches, elles chavirent, elles tombent, elles soupirent, elles rigolent, elles se plaignent, elles s’en veulent, elles se détestent, elles s’aiment, elles s’envoient des mots à la figure comme des boxeurs, s’’envoient des uppercuts… Elles sont vivantes !
Quatre femmes d’origine et de culture différentes – aux regards pas tendres, mais pas froids non plus – dessinant une humanité singulière.

Mon avis : Quatre « grandes filles », quatre vies, quatre caractères, quatre solitudes, quatre saisons et quatre couleurs…
Madame Xénia (Judith Magre) est en rouge. Elle est juive, lucide et féroce… Madame Zakko (Edith Scob) est en rose. Elle est témoin de Jéhovah, fragile et évaporée… Madame Yvonne (Claire Nadeau) est en mauve. Elle est catholique, communiste, lesbienne et épicurienne… Madame Khader (Geneviève Fontanel) est en vert. Elle est musulmane, kabyle, sensible, humaine et fataliste…
Comme les Mousquetaires, elles sont quatre. Athos pourrait être Edith Scob, Porthos Judith Magre, Aramis Geneviève Fontanel et D’Artagnan Claire Nadeau… Mais la comparaison s’arrête là, hormis peut-être une aptitude à se quereller à fleurets pas toujours mouchetés.


Nous suivons leurs rencontres fortuites ou provoquées tout au long d’une année. Les mois défilent, illustrés par des projections (on voit la nature qui change), agrémentés par les sons du dehors (chants d’oiseaux par exemple), et ponctués par des dates symboliques (Saint-Valentin, Fête des Mères, 14 juillet…). C’est sans doute leurs différences qui les a fait ainsi se rechercher et s’unir. Ce sont quatre femmes seules qui ont besoin de la présence et du réconfort des autres. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’envoyer parfois ses quatre vérités (« quatre » là aussi). Comme ce sont de « grandes » filles, elles ont beaucoup vécu. Elles ont donc beaucoup de souvenirs, d’expériences et quelques regrets. Plus personne, ou presque, autour d’eux pour les écouter, alors il y a les oreilles des copines pour recueillir les confidences, les petites joies et les grandes peines. Ce n’est pas les religions qui les rassemblent. Aucune n’a la même. Ce serait même plutôt un sujet de taquinerie.
Elles ne l’avoueraient jamais, mais leur solitude est une liberté contrainte. Elles ne sont pas méchantes, mais il leur arrive régulièrement de se montrer crues et cruelles. Quand on se sait au bout du chemin, l’humour noir devient un refuge spontané. En fait, elles sont banalement humaines. Elles se critiquent, s’envoient des vacheries et, en même temps, se montrent pleines de sollicitude dès que l’une d’entre elles présente des signes de faiblesse.


Une pièce comme celle-ci pourrait durer des heures car, tant que leur cœur battra, ces quatre femmes auront quelque chose à dire. Elles ont des conversations à l’emporte-pièce teintées d’idées reçues et d’a priori. Elles ne se font plus de cadeaux parce qu’elles se sont déjà fait le plus beau d’entre eux : leur amitié. Plus de fausse pudeur, plus de faux semblants, on se présente telle qu’on est. A quoi servirait de tricher, personne ne serait dupe.

Les Grandes Filles est une jolie comédie de la vie plus douce qu’amère. Si elles nous font parfois nous offusquer sous la verdeur de leurs propos, elles provoquent surtout en nous un sourire ou un rire pleins de tendresse. C’est qu’elles sont terriblement attachantes et touchantes ces vieilles dames qui ne sont même pas indignes.
Les quatre comédiennes sont parfaites tant dans leurs différences de physiques, de jeu, d(attitudes, de voix. Quel bonheur pour nous que de les avoir réunies. Que de sensibilité, que de malice, voire de rouerie, que de finesse, que de métier ! On en reprendrait bien une année de plus en leur charmante compagnie…


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 11 mars 2015

Virginie Hocq "Sur le fil"

Théâtre de Paris
Salle Réjane
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche

Ecrit par Virginie Hocq et Benjamin Gomez
Mis en scène par Isabelle Nanty

Présentation : Virginie Hocq, toujours aussi pétillante et surprenante, nous entraîne dans son univers décalé.
L’humoriste belge y évoque la croisée des chemins à sa manière. Elle se retrouve plus que jamais « sur le fil » de la vie et des choix qu’elle aurait pu faire : si elle avait décidé d’être hôtesse de l’air, aurait-elle été comme Claire, touchante navigante qui noie sa solitude dans le champagne ?... Virginie aurait pu également choisir le fil de vie de Viviane, mannequin pour paquet de cigarettes dont le positivisme et la joie de vivre nous feront oublier un sujet souvent très sensible… Elle aurait pu également tirer sur le fil de cette bourgeoise prête à tout, et même au pire, pour récupérer son mari lors d’une soirée pas comme les autres… Et que dire de cette femme, épouse naïve et inconsciente d’un serial killer, ou encore de cette Marie-Antoinette plus vraie que nature ?...

Mon avis : Virginie Hocq est un sacré personnage. Plus cash qu’elle, je crois que ça n’existe pas. Outre son extrême capacité à faire rire, on ne peut lui dénier son incroyable générosité et son effarante énergie.
Elle a baptisé son nouveau spectacle « Sur le fil ». Elle va défaire sa pelote de drôlerie de façon « ad Hocq » en dévidant et en emberlificotant ce fil rouge pendant plus d’une heure et demie. Cette fille est complètement cinoque. Loufoque, baroque, barrée, elle se moque des autres autant que d’elle-même. Son spectacle a l’air de brique et de broc, mais il n’y a aucune équivoque quant à son résultat : on rit sans discontinuer.
L’œil en permanence rieur et pétillant de malice, le sourire espiègle, elle nous embarque à mille à l’heure dans son univers. Son spectacle est fort bien ficelé car elle y alterne une forme de stand-up riche en digressions avec cinq savoureux portraits de femmes parfaitement structurés. Et, en plus de ce double jeu, elle ajoute une troisième dimension qui est l’interaction. Elle a en effet un fil branché en courant continu avec le public. Personne n’est à l’abri d’une réflexion, d’une intervention ou d’une invitation.


Après nous avoir imposé en première partie l’exécution d’un ballet par un danseur classique russe dont la prédominance des attributs est inversement proportionnelle au talent et dont la prestation est littéralement emmerdante, elle arrive à point nommé pour tirer le fil de son histoire. Ou plutôt, de ses histoires. Je suis allé chercher dans le dictionnaire un adjectif qui pouvait au mieux la qualifier. J’y ai trouvé le mot « pétulante » : Qui manifeste un dynamisme extrême… Il n’y a rien à ajouter. Tout est dans ce mot.
Le premier quart du spectacle est un mélange bizarre. Gesticulante et grimacière (mais c’est pour la bonne cause) elle nous offre un cocktail composé d’humour potache, d’une bonne dose de scatologie, d’un zeste de gore et d’une grosse rasade de folie pure. Rien ne la rebute, elle y va à fond… Derrière moi une femme suffoque, à ma droite un spectateur « hocquète » de rire.


Et puis arrive le sketch de Viviane, le mannequin pour paquets de cigarettes. Et là, tirant sur un fil invisible Virginie Hocq hisse soudain son show à un niveau nettement supérieur. Niveau d’excellence dont elle ne se départira plus jusqu’à la fin. Cette fois, on entre de plain pied dans la performance en tous genres. Performances vocales (au pluriel), prouesses physiques, gestuelle extravagante, débit étourdissant, postures saugrenues, tableaux farfelus… Sur le fil est un spectacle éminemment visuel. Mime accomplie, elle fait ce qu’elle veut avec son corps et son visage. Elle est en permanence sur le fil du rasoir, frôlant sans cesse avec les limites de la bienséance sans jamais tomber dedans. C’est osé, gonflé, explicite, grivois, mais jamais graveleux, et encore moins vulgaire. Elle nous embarque même très agréablement dans une parenthèse pleine de poésie sur le pouvoir de l’imagination.… Sa diction est parfaite, ses saillies irrésistibles. Elle est très imagée la langue d’Hocq !

Sincèrement, si vous voulez rire de bon cœur et sans arrière-pensée allez vite au Théâtre de Paris. Virginie Hocq va vous y donner du fil à (re)tordre de rire.
Je me suis vraiment beaucoup amusé. C’est mon sentiment sincère et honnête. Peut me chaut d’être de ces critiques dont l’avis ne tient qu’à un fil…
Hâtez-vous d’aller attraper celui que vous tend Virginie Hocq, mais je vous préviens : accrochez-vous, ça va secouer. Mais elle est tellement attachante…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 7 mars 2015

Une chance inestimable

Théâtre des Bêliers Parisiens
14, rue Sainte-Isaure
75018 Paris
Tel : 01 42 62 35 00
Métro : Jules Joffrin / Simplon

Une comédie de Fabrice Donnio
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Décor de Sarah Bazennerye
Costumes de Cécile Magnan
Lumières de Denis Koransky
Musique originale de Romain Trouillet
Avec Guillaume Bouchède (Gérard de Nerval), Alain Bouzigues (Hitler), Fabrice Donnio (Kerian), Marie Montoya (Cléopâtre)

L’histoire : Imaginez ! Vous êtes sur le point de faire le choix de votre vie… Subitement, le temps s’arrête.
Arrivent Adolf Hitler, Cléopâtre et Gérard de Nerval, les vrais, pour vous aider dans votre réflexion.
Pourquoi eux ? Pourquoi vous ? Et pourquoi cette moustache ridicule ?

Mon avis : Ovni soit qui mal y panse… qui panse les plaies de l’âme et de l’esprit.
Oui, cette pièce est un véritable ovni. De quel esprit tortueux est sortie cette fable-farce prodigieusement farfelue et, en même temps, sujette à réflexion ? Le postulat de départ est on ne peut plus hard : Kerian est sur le point de mettre fin à ses jours quand le temps se suspend à sa place et qu’une force surnaturelle lui envoie trois célèbres suicidés pour essayer de dissuader de passer à l’acte…
Dit comme ça, dans l’absolu, on a vu thème plus réjouissant. Or, en dépit de cette base de départ pour le moins morbide, on rit du début à la fin. Et de bon cœur !

D’abord cette salle des Bêliers Parisiens est très agréable. On y voit bien de partout, la scène est large, la salle est comble d’un public plutôt jeune et l’ambiance bon enfant… L’action se déroule dans un décor en camaïeu de bleu, ce qui est apaisant.
Mettez-vous à la place d’un pauvre bougre désespéré sur le point d’en finir qui voit soudain surgir dans son salon… Adolf Hitler en personne ! Ça fout un coup. Médusé, il apprend de la bouche même du Führer, qu’il est missionné, au même titre que deux autres ex-suicidés qu’il ne connaît pas, pour prêter assistance à personne en danger. Si ces missi dominici d’autre monde réussissent dans leur entreprise de sauvetage, ils gagnent un point. Au bout de cinq, ils auront droit à être réincarnés… Je n’en dirai pas plus pour préserver la suite et les multiples rebondissements qui vont survenir. Car, notre pauvre Kerian, pas au bout de ses surprises, voit débouler tour à tour Cléopâtre puis Gérard de Nerval. Contrairement à Adolf qui est fondamentalement pour le suicide et se fout royalement de la réincarnation, ces deux là sont décidés à jouer le jeu. D’autant que ce n’est pas leur première mission.


On n’a aucun mal à accepter ce rassemblement incongru. Surtout en raison de l’implication des quatre comédiens. Kerian, Adolf, Cléo et Gégé présentent évidemment, pour notre plus grand plaisir, des personnalités radicalement différentes.
Kerian, dans un premier temps complètement dépassé par les événements, craintif et interloqué, commence peu à peu à se rebiffer… Adolf Hitler ? C’est Hitler dans toute sa quintessence ; à peine caricatural. Il est colérique, s’emporte pour un rien, droit dans ses bottes et toujours fidèle à des idées que l’on croit gommées… Cléopâtre, la reine d’Egypte est un tantinet survoltée, franchement obsédée et gentiment nympho. Aussi autoritaire qu’écervelée, on sent quand même que c’est une bonne fille… Gérard de Nerval, c’est le poète. Il aime déclamer, il est sentencieux, légèrement précieux, mais c’est un brave homme soumis hélas à de brèves et violentes hallucinations… Bref, nos trois suicidés historiques, voire hystériques, sont surtout trois grands fêlés. Et leurs affrontements donnent lieu à des scènes et à des échanges vraiment croustillants.

La mise en scène, signée Arthur Jugnot et David Roussel, est alerte et enlevée. Elle est le reflet parfait de l’esprit fantasmagorique et excentrique de la pièce (Ah, cette passe à dix avec Mein Kampf !). Là, il faut souligner la qualité du texte et la folle inventivité de son auteur, Fabrice Donnio (qui interprète Kerian). Non seulement il a su respecter les vérités historiques, mais il a surtout évité de tomber dans la facilité en nous abreuvant d’anachronismes. J’ai été très attentif, il n’y en a aucun. C’est tout à son honneur. Hormis un ou deux passages que j’ai trouvés quelque peu excessifs, comme cette histoire de Blanche Neige totalement loufoque revisitée par Kerian (ça, c’était un peu facile et bien en dessous du reste), le livret est d’une haute tenue et son trio infernal est intelligemment dessiné.


Parlons-en de ce trio… Je les ai aimés tous les trois, chacun(e) dans son registre. Marie Montoya, fait du Marie Montoya. C’est ce qu’on attend d’elle. Ses intonations et ses mimiques sont irrésistibles. Elle a une présence comique pharaonique, avec un art très personnel à allier à la fois une énergie trépidante, quasi cartoonesque, et une finesse de jeu très subtile… Guillaume Bouchède, que j’avais déjà fortement apprécié dans trois pièces (Vive Bouchon, Amour et chipolatas et surtout Mission Florimont) est très à l’aise dans ce registre mi-sérieux, mi-burlesque. Il n’a aucune crainte du ridicule tout en gardant son quant-à-soi (Ah, cette parodie d’une célèbre chanteuse suicidée !). Il est vraiment épatant dans cette composition et révèle une fois de plus un éventail de jeu très large et très juste… Et puis il y a Alain Bouzigues. Sa prestation dans le rôle d’Hitler est époustouflante. C’est une création qui compte dans une carrière. Il est crédible de bout en bout, impeccable dans sa gestuelle comme dans son ton, formidable dans ses colères, précis dans ses apartés. Même quand il ne dit rien, qu’il ne participe pas à l’action, il faut le regarder tant il incarne le personnage. Pour moi, il est au niveau de Charlot dans Le Dictateur ou de Francis Blanche en Papa Schulz dans Babette s’en va-t-en guerre : fou, inquiétant, pathétique et désopilant.

Il y aurait encore beaucoup de choses à mettre en avant dans cette pièce dont le thème paraît, a priori, suicidaire. L’humour noir, quand il est aussi bien servi, nous fait voir la vie en rose.
Et, n’oublions pas : dans « mourir », il y a « rire »...


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 5 mars 2015

Jean-Luc Lemoine "Si vous avez manqué le début..."

Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse

Seul en scène écrit et interprété par Jean-Luc Lemoine
Mise en scène d’Etienne de Balasy

Présentation : Enfin, il revient !
Pour ceux qui le suivent depuis ses premiers one man shows et lui réclamaient un nouveau spectacle, , mais aussi pour tous les autres, ceux qui l’ont découvert dans Touche pas à mon poste et rêvaient de le voir sur scène. Mais comment faire pour contenter tout le monde sans tomber dans le best of paresseux, ni priver son nouveau public des sketches qui ont fait sa renommée ?
Jean-Luc Lemoine a tranché : il va vous concocter un patchwork de morceaux choisis réactualisés, et d’inédits dont lui seul a le secret. Avec des personnages parfois inquiétants, souvent décalés mais toujours justes.

Mon avis : Pour sans grand retour sur scène après trois ans d’absence, Jean-Luc Lemoine n’a pas lésiné sur les moyens : il s’offre – et nous offre – une entrée digne d’une rock star avec grands renforts d’effets stroboscopiques et de guitares saturées. Pourtant, il n’a pas vraiment le look d’un hard-métalleux. Mais le ton est donné. Le spectacle va être rock’n’roll.
Jean-Luc Lemoine a son public, plutôt jeune ; des gens qui, visiblement, le suivent et l’apprécient à la télévision et à la radio.

Jean-Luc Lemoine est un impertinent, un fin observateur du petit monde qui l’entoure. On voit bien qu’il n’est pas encore presbyte parce qu’il y voir très, très bien de près. Il  n’aime rien tant que de mettre sa loupe déformante sur les dysfonctionnements de notre environnement immédiat. Ce n’est pas lui qui va parler du Cac 40 ou du recyclage des bouses de yack en Mongolie occidentale. Son truc à lui, c’est de repérer les incohérences, les aberrations, les cocasseries qui ponctuent notre quotidien. Il stigmatise avec malice la connerie ambiante et les comportements insolites ou moutonniers. Il remarque des choses que nous ne voyons pas toujours, mais dès qu’il les énonce, elles nous sautent aux yeux comme des évidences. En gros, il se complaît à nous mettre le nez dans notre caca mental.


Le début de son spectacle est un peu disparate, voire chaotique. Il a le ton tâtonnant comme s’il quittait un chenal avant de prendre son rythme de croisière. Il nous la joue d’abord donneur de leçons, tendance mégalo. En clair, il s’instaure carrément en « sauveur du monde ». A ce moment-là, dans sa tête, il porte le slip rouge vif de Super(Le)moine. Mais tout ceci n’est en réalité qu’un clin d’œil, histoire de nous chauffer un peu. Est-il facétieux, le bougre !
Très vite, en effet, il retrouve son naturel et sa formidable faculté à décortiquer la bêtise humaine de proximité. Il dégomme avec le sourire et la voix douce (ce sont les plus dangereux). Son flingue n’est chargé que de balles en caoutchouc. Non seulement, à l’instar du ridicule, elles ne tuent pas, même si elles peuvent faire un peu mal à ceux qui sont visés, mais elles rebondissent efficacement dans notre esprit. Pan sur les réseaux sociaux, pan sur la mode narcissique et affligeante des selfies, pan sur Internet grand propagateur de connerie(s), pan sur Twitter, pan sur les tatouages. Dans ce registre, il se contente d’être taquin.


Et puis, progressivement, il commence à monter en puissance. La satire prend de la hauteur et de l’épaisseur. Il ne fait que monter en puissance. L’impertinence se teinte de cynisme. Il oppose les losers et les winners avec, entre les deux, les manipulateurs. Et il se lance, avec Leader Price en tête de gondole, dans l’apologie du « presque ». Ce qui lui permet de placer habilement un couplet misogyne qui fait méchamment miauler les spectatrices. Après s’en être benoîtement gargarisé, il se fait pardonner en déglinguant l’homme « presque bien ». Match nul.
Pa rapport à ses spectacles précédents, celui-ci est construit d’environ deux-tiers de stand-up pour un tiers de sketches. Pour moi, c’est dans ce dernier registre qu’il est le meilleur (même si le reste est d’un très bon niveau). La force du sketch, c’est qu’il installe un personnage et que ce personnage, on peut le garder en mémoire. Comme, par exemple, ce comédien raté converti en animateur de centre commercial, son agressive veste rouge flashy, et ses annonces improbables. Tous ses sketches sont vraiment bien écrits et bien joués.
Il y a encore des tas de choses dont on pourrait parler. Des choses vraiment réjouissantes. Mais mieux vaut en laisser la surprise. Car c’est vers la fin qu’il va le plus loin et ose enfin aborder des thèmes plus généralistes comme la religion ou le racisme. Dans ce dernier domaine, il sait de quoi il parle, puisqu’il évoque son hérédité vietmayenne.

Jean-Luc Lemoine a réussi son retour sur scène. Il est toujours aussi grinçant, aussi piquant. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le sourire qu’il arbore sur son affiche est symboliquement accentué par un gros piment rouge. A travers ce filtre, ses propos ne sont jamais fades, mais toujours relevés et systématiquement épicés.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 3 mars 2015

Karim Duval "Melting pot"

Le Point Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville

Dimanche et lundi à 20 heures

Mise en scène de Léon Vitale

Présentation : Karim Duval s’amuse avec malice de son métissage… et du vôtre.
Un voyage à la recherche de ses origines, du nord au sud et d’orient en occident. Sur sa route, des rencontres aussi drôles qu’improbables : le PDG des vendeurs de roses à la sauvette, un athlète marocain sans-papiers candidat aux « J.O. de Gibraltar », un professeur de musique adepte du silence…
Entre stand-up et personnages, Karim Duval nous offre un humour frais et piquant. Toujours élégant, jamais vulgaire, ce citoyen du Monde contourne la facilité des clichés communautaires. Lui-même n’appartenant… à aucune communauté !

Mon avis : A défaut de ne pas être communautaire, Karim Duval est un personnage peu commun. Avec lui, pendant plus d’une heure, un mélange passe…
Garçon jovial, sympathique et chaleureux, il installe immédiatement la communication avec le public. Il tient d’abord à éliminer tout malentendu : Karim Duval n’est pas un pseudonyme. Prénom arabe, patronyme on ne peut plus français, mais… yeux légèrement bridés pour brouiller encore plus les pistes. En fait, il est l’épicentre d’un triangle d’or dont les trois côtés sont trois continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Karim Duval est franco-sino-marocain ou, comme il le dit de façon plus prosaïque : il est « couscous-riz cantonais- tartiflette » ! Voilà, les choses sont dites. Il est temps de passer au spectacle.


Ce « Trois en un », il va s’amuser à en faire une constante. En y mettant systématiquement l’accent adéquat, il jongle malicieusement avec les ethnies. Les trois mots qui le définissent le plus sont intelligence, humour et élégance. Karim Duval est un artiste complet. Il possède une belle écriture, le sens de la formule, un visage et un corps souples donc très expressifs. Il alterne habilement le stand-up avec la création de personnages très hauts en couleurs comme les tontons Hamid et Chang. Ce melting show donne un spectacle dense, varié, fait de ruptures, dans lequel on le suit avec un grand amusement. D’autant que sous son aspect fils de bonne famille instruit et fin, il a l’art de distiller une forte dose d’humour noir, de placer à bon escient une vanne en plein coeur d'une digression philosophique ou sociétale, de glisser une pointe savoureuse de machisme, et de pratiquer une autodérision absolument jubilatoire. Il est vraiment du genre à épicer ses plats de l’harissa la plus forte et de nous les servir avec un grand sourire angélique. Reubeu rebelle ou Maroc star, sino cinoque, Français leste mais jamais vulgaire, Karim Duval est l’archétype du seul en scène exigeant et de qualité. Sous le vernis de l’humour, il y a de la profondeur d’esprit. Rien n’est gratuit, tout fait sens.


Parmi les grands moments de drôlerie qu’il nous fait vivre, je crois que le sketch qui synthétise le mieux son parti pris, c’est celui des « J.O. de Gibraltar ». Ce triathlon de l’extrême auquel sont confrontés des dizaines et des dizaines de migrants, qui nous fait littéralement tordre de rire tant il est gonflé, imagé et outré, dénonce en (dure) réalité les souffrances que ces pauvres gens endurent. Karim Duval est un accusateur soft. Sa réflexion sur l’utilité des frontières est tellement confondante de vérité !

La plupart de ses tableaux sont des petits bijoux de finesse et de comédie pure. Certains de ses personnages frisent le moment d’anthologie. Ah ce prof’ de musique clone de Salvador Dali ! Il ne craint pas non plus de s’aventurer sur le terrain du surréalisme ; en inventant par exemple son double inversé. Quelle trouvaille ! Et puis, comme je l’ai signalé plus haut, ce drôle d’oiseau multicolore possède une de ces plumes… Quand il a du vague à slam, nos plus brillants poètes doivent voir en lui un des leurs.
Il y a énormément de travail derrière cette apparente facilité. Et beaucoup de réflexion.
Melting pot est un bon, très bon spectacle, en adéquation parfaite avec son interprète, pour lequel on pourrait inventer un néologisme en le qualifiant de "karimsmatique"...


Gilbert « Critikator » Jouin