jeudi 11 juin 2015

Tailleur pour dames

Théâtre Montparnasse
3&, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une comédie de Georges Feydeau
Adaptée par Jean Poiret
Mise en scène par Agnès Boury
Décors de Sophie Jacob
Costumes de Mina Ly
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Avec José Paul (Moulineaux), Sébastien Castro (Bassinet), Philippe Uchan (Aubin), Véronique Barrault (La belle-mère), Guilhem Pellegrin (Etienne), Caroline Maillard (Yvonne), Florence Maury (Suzanne), Maud Le Guénédal (Rosa)

L’histoire : Le docteur Moulineaux a passé la nuit dehors et sa femme, Yvonne, demande des explications. Moulineaux prétexte qu’il était au chevet d’un mourant, un certain Bassinet. Mais celui-ci vient justement leur rendre visite… frais comme un gardon !

Mon avis : Tailleur pour dames est la première grande pièce de Georges Feydeau. Il n’a que 24 ans lorsqu’elle est jouée au Théâtre de la Renaissance en 1886. On trouve déjà tous les ingrédients qui ont fait que cet auteur qui a donné, avec Labiche, ses lettres de noblesse au vaudeville est régulièrement à l’affiche depuis cent-trente ans.
Cette pièce a été reprise en 1985 pour son centenaire avec Pierre Arditi dans le rôle de Moulineaux, puis en 1993 avec Jean-Paul Belmondo.
Le parti pris de cette nouvelle adaptation est de s’en être tenu au plus près de la version écrite par Jean Poiret. L’esprit de Poiret y apporte une réelle modernité. Modernité dans laquelle se sont engouffrés avec une évidente gourmandise les huit comédiens qui la portent aujourd’hui. Transcendée par la complicité de ses protagonistes, la mécanique de la pièce bénéficie d’un rythme incroyablement soutenu. Les situations, peu crédibles si l’on se montre un tantinet cartésien, s’enchaînent sans aucun temps mort. Si bien qu’on laisse immédiatement de côté toute velléité de pinaillage pour ne profiter que du jeu des comédiens. Quiproquos farfelus, dialogues décalés, apartés savoureux, rebondissements saugrenus… on ne nous laisse aucun répit.

La pièce repose totalement sur les épaules d’un José Paul au summum de la maîtrise de la discipline si millimétrée du boulevard. On a très vite une certitude : les mânes de Jean Poiret ont pris possession de son corps. Le mimétisme, confondant, est tout à fait réjouissant. C’est fin, subtil, et totalement assumé. Un bel hommage direct à ce remarquable auteur et adaptateur.
José Paul qui, au passage, porte fort bien l’habit, ne ménage pas sa peine. Il est de toutes les scènes, se dépensant sans compter, mais jamais dans l’excès. Il est toujours juste. Il est parfait dans ce rôle d’insecte empêtré dans la toile qu’il a lui-même tissée. Stakhanoviste de la mauvaise foi, il empile les mensonges comme un enfant emboîte candidement ses Légos sans pouvoir maîtriser une seule étape de la construction qu’il est en train d’ériger et sans savoir à quoi ça va ressembler au final. En fait, il pose ses briques avec acharnement sur des sables qu’il sait mouvants. Plus il s’agite, plus il s’enfonce.


José Paul peut se donner à fond dans cette débauche d’énergie aussi morale que physique parce qu’il sait pouvoir compter sur une sacrée bandes d’acolytes. L’investissement de chacun et chacune est tellement bien huilé que cela donne un effet de troupe.
Les trois autres personnages masculins sont véritablement épatants. On ne présente plus Sébastien Castro. Il est à Moulineaux ce que le bout de scotch est au capitaine Haddock : impossible de s’en débarrasser. Sébastien Castro excelle dans ces personnages de loser sympathique, craintif et veule, manipulable, avec toutefois juste ce qu’il faut de malice pour surnager. Tel un bouchon dans un torrent, il est balloté, il flotte tant bien que mal, mais il ne coule jamais… J’ai adoré le jeu de Philippe Uchan. Quelle palette ! En effet, son personnage doit passer par tant de nuances. Il est tour à tour arrogant, suffisant, pédant, macho, balourd, mais tout aussi inquiet, lâche, crédule, volage. Son éventail de postures et de mimiques, d’une précision chirurgicale, est entièrement au service de la pièce et de ses partenaires… Guilhem Pellegrin incarne lui l’archétype du majordome de comédie. Il se mêle de tout, il ne veut comprendre que ce qui l’arrange, il possède une haute opinion de lui-même et, en même temps, il est totalement dévoué à son maître. Une très jolie prestation.

Quant aux femmes, emmenées par une tonitruante et haute en couleurs Véronique Barrault, elles tirent fort bien leur épingle du jeu. Il est vrai que Georges Feydeau soignait plus particulièrement ses personnages masculins au détriment, souvent, de la gent féminine (surtout dans ses premières pièces. Mais Caroline Maillard, en épouse docile et malgré tout ce qu’elle a subir, si peu velléitaire, Florence Maury en bourgeoise coquine et un peu nunuche, et Maud Le Guénédal en femme libérée sont des rouages indispensables pour que la pièce fonctionne parfaitement car ce sont elles qui sont les causes de ce dérèglement et les instigatrices de multiples rebondissements.
Et puis, j’ai failli oublier de souligner la beauté des costumes. Il est très agréable de voir évoluer des comédiens aussi bien mis.
Enfin, la mise en scène efficace d’Agnès Boury imprime cette cadence ultra moderne qui offre à ce Tailleur pour dames plus que centenaire un très agréable bain de jouvence.


Gilbert « Critikator » Jouin

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