mercredi 30 septembre 2015

Un certain Charles Spencer Chaplin

Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce écrite et mise en scène par Daniel Colas
Décors de Jean Haas
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Franck Thévenon
Musique originale de Sylvain Meyniac
Vidéo d’Olivier Bémer
Chorégraphie de Cécile Bon
Avec Maxime d’Aboville (Charles Spencer Chaplin), Béatrice Agenin (Hannah, une secrétaire), Linda Hardy (Oona, …), Benjamin Boyer (Sidney), Xavier Lafitte (Reeves), Adrien Melin (Hoover, Sennett, …), Coralie Audret (Paulette, …), Alexandra Ansidei (Mabel, danseuse, …), Thibault Sauvaige (Le Commandant, Ted, …), Yann Couturier (Jack, …)

Présentation : L’extraordinaire épopée de l’homme sans doute le plus populaire du XXème siècle, Charles Spencer Chaplin. Tour à tour drôle ou grave, une réflexion sur la liberté individuelle, sur l’humanisme et la tolérance, et les paradoxes du génie. « Charlot », un homme libre, un véritable citoyen du monde !

Mon avis : Décidément cette rentrée 2015-2016 nous réserve un sacré lot de très grands moments de théâtre. Un certain Charles Spencer Chaplin en fait hautement partie.
A travers une vingtaine de tableaux, Daniel Colas nous fait revivre la trajectoire unique du plus grand artiste du XXème siècle, Charlie Chaplin. Entre flashbacks et chronologie, il a mis la loupe sur des moments cruciaux de la vie professionnelle et privée de cette méga star planétaire. Nous ne sommes jamais désorientés car la présence d’un écran – cinéma oblige – lui permet d’afficher la date et le lieu de l’action que nous allons suivre.

Photo : J. Stey
Cette succession de scènes nous amène à découvrir à la fois ce qui a fait de Charlot le plus grand créateur comique de tous les temps et l’homme qu’il était en dehors des plateaux. On assiste ainsi à ses débuts dans le cinéma où ses incessantes propositions et sa forte personnalité enchantaient tout autant qu’elles posaient problème. Puis on voit sa notoriété grandir, s’internationaliser, ce qui lui permet d’obtenir rapidement sa liberté par rapport aux grandes firmes. Nous avons même droit, en live s’il vous plaît, au remake d’un slapstik de 1915, Charlot boxeur (un tableau drôle et savoureux)…
Ensuite, à travers le personnage de J. Edgar Hoover, qui synthétise à lui seul tous ses détracteurs, nous réalisons tout ce qu’il a pu subir en matière de rumeurs, d’accusations le plus souvent infondées, de jalousie… Au cours d’un formidable échange avec Paulette Godard, qui a partagé sa vie pendant près de dix ans, on en apprend énormément sur l’homme qu’il était dans l’intimité et sa dualité… En effet, ce génie du gag et de la comédie qui voulait « faire rire tout en donnant à réfléchir », n’était pas si drôle que ça, tant au travail que dans l’intimité. Exigeant, méticuleux, tyrannique, séducteur attiré par les (très) jeunes femmes, Daniel Colas brosse de lui un portrait juste et sans concession.

Photo : J. Stey
Charlie Chaplin étant un de nos contemporains, il était impossible de fictionner quoi que ce soit. Tout ce qui se passe, tout ce qui est dit dans ce spectacle a eu lieu et a été prononcé. C’est quasiment un documentaire sur la vie et l’œuvre de Charlot. Le résultat est une pure merveille.
La mise en scène est astucieuse et particulièrement efficace. On ne va qu’à l’essentiel sans s’encombrer de changements de décors lourds à gérer ou de mobilier superflu. Les costumes sont magnifiques et la musique qui ponctue les intermèdes apporte une valeur ajoutée.

Photo J. Stey
Mais, outre l’histoire captivante qui nous est contée, on est absolument éberlué par la prestation de Maxime d’Aboville dans le rôle titre. Il est au-delà de la performance, il est carrément dans le registre de l’exploit. A sa toute première apparition où il est de profil et sourit, sa ressemblance avec Chaplin est stupéfiante. Et, pendant toute la durée de la pièce, il EST Charlot. Son mimétisme est criant de vérité. Il atteint une telle perfection de jeu qu’il mériterait amplement de décrocher un second Molière.
Autour de lui, ses neuf partenaires ne sont pas mal non plus. D’autant qu’ils tiennent pratiquement tous plusieurs emplois. Adrien Melin est particulièrement épatant dans le double rôle de Mack Sennett et de J. Edgar Hoover. Béatrice Agenin est pleine de charme et d’élégance ; Alexandra Ansidéi est tonique et pétillante à souhait ; et Coralie Audret campe une séduisante Paulette Godard au caractère à la fois enjoué et trempé (pour moi la scène dans laquelle elle règle ses comptes avec Charlie – remarquablement dialogué – est un des moments forts de la pièce)… Et puis, il n’est pas injuste de dire qu’avec le rôle d’Oona, Linda Hardy a gagné ses galons de comédienne.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 28 septembre 2015

La Dame blanche

Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Palais-Royal / Bourse / Pyramides

Une pièce de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino
Mise en scène par Sébastien Azzopardi
Décor de Juliette Azzopardi
Lumière de Philippe Lacombe
Costumes de Pauline Yaoua Zurini
Musique de Romain Trouillet
Magie de Kamyléon
Avec Arthur Jugnot (Malo Tiersen), Emma Brazeilles (Chloé et Rosalie), Anaïs Delva (Alice et Nina), Michèle Garcia (La Vieille), Réjane Lefoul (Céline), Sébastien Pierre (Alex), Benoît Tachoires (Victor), Charline Abanadès, Vincent Cordier, Jean-Baptiste Darozey

L’histoire : Cette nuit-là, Malo Tiersen n’aurait jamais dû prendre sa voiture. Il n’aurait jamais dû aller dans cette maison au milieu des bois. Il n’aurait jamais dû avoir cet accident…
Et vous, vous n’auriez jamais dû pousser la porte du Palais-Royal. Au théâtre, vous n’avez jamais eu peur… Jusqu’à ce soir.

Mon avis : Fan-tas-tique !!! Quel formidable moment on passe au théâtre du Palais-Royal ! La Dame blanche est LA pièce à voir absolument…
On est mis dans l’ambiance dès notre entrée dans le théâtre. Et ça continue lorsque nous sommes dans la salle… C'est-à-dire qu’avant même que le rideau se lève, nos nerfs titillés, nous sommes déjà conditionnés.

Délicat de parler de cette pièce sans en révéler tout ce qui en fait l’originalité. Tout y est mis en œuvre pour nous faire délicieusement frissonner. Y compris la musique qui ajoute au climat angoissant. Et puis, quelle inventivité dans la mise en scène et les effets spéciaux !
Les décors sont superbes. Comme ils sont pivotants, ils permettent de déplacer l’action en une fraction de seconde, donnant ainsi un rythme soutenu au déroulé de l’intrigue. La forêt est particulièrement inquiétante.


Grand lecteur de thrillers, je puis vous affirmer que celui-ci est remarquablement construit et bien ficelé. Son scénario, machiavélique à souhait, nous tient en haleine de la première à la dernière seconde. Tous les événements extérieurs surnaturels qui surviennent, ont pour but, non seulement de nous effrayer ou de nous surprendre, mais aussi de nous projeter dans la tête du héros, de nous faire partager ses cauchemars et comprendre le remords qui le ronge.
Ce héros, parlons-en. Arthur Jugnot accomplit dans cette pièce une performance exceptionnelle. Il est de tous les plans. Pris qu’il est dans un écheveau inextricable, il vit des situations terrifiantes. Impossible pour lui de se cantonner dans la demi-mesure. Il faut qu’il soit à fond en permanence, complètement investi. C’est un rôle fort, prenant, épuisant, jouissif. Un rôle comme on en voit au cinéma. Un rôle qui cumule un suspense digne d’Hitchcock et le gore de Brian de Palma.


N’insistez pas, je n’en dirai pas plus. Sachez néanmoins que la jeune femme qui se tenait devant moi ne cessait de faire des sauts de cabri sur son siège en poussant des petits cris d’effroi tant elle vivait certaines scènes et que, tout autour, les rires francs et jubilatoires succédaient aux rires nerveux. Le spectateur est littéralement pris à la gorge. Et à partie aussi car l’action déborde parfois du cadre de la scène pour se poursuivre dans la salle…

Si l’on est autant captivé c’est que l’histoire concoctée par le tandem Azzopardi/Danino est remarquablement écrite. Et si on est aussi accaparé par cette intrigue diabolique, pleine de rebondissements et d’effets visuels saisissants, c’est qu’elle est servie par une bande de comédiens réellement habités par leurs personnages. Tous… J’ai déjà dit combien la performance accomplie par Arthur Jugnot était prodigieuse. Mais s’il peut se montrer aussi convaincant dans le rôle de Malo, c’est que chacun de ses partenaires lui donne une réplique impeccable. Anaïs Delva et Réjane Lefoul, dans des registres très différents, sont parfaites. Sébastien Pierre, dans le rôle du collègue-ami apporte une note de fantaisie indispensable. Quant à Michèle Garcia et Benoît Tachoires, ils sont tout simplement époustouflants.


Très sincèrement, si vous aimez ressentir la peur sans vous sentir en danger (quoi que…), si vous aimez frissonner d’aise dans l’abri de votre fauteuil, si vous aimez être plus surpris que ce à quoi vous vous étiez préparés, si vous aimez rire de plaisir, soupirer de soulagement et partager avec vos voisins et les comédiens d’exquises sensations d’insécurité, précipitez-vous toute affaire cessante au théâtre du Palais-Royal. Vous ne serez vraiment pas déçus.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 26 septembre 2015

Irma la Douce

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Comédie musicale d’Alexandre Breffort
Musiques de Marguerite Monnot
Arrangements de Gérard Daguerre
Mise en scène de Nicolas Briançon
Direction musicale de Vincent Heden
Costumes de Michel Dussarat
Décors de Jacques Gabel
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Chorégraphies de Karine Orts
Avec Lorànt Deutsch (Nestor), Marie-Julie Baup (Irma), Nicole Croisille, Andy Cocq, Olivier Claverie, Fabrice de La Villehervé, Jacques Fontanel, Valentin Fruitier, Laurent Paolini, Claire Pérot, Bryan Polach, Pierre Reggiani, Loris Verrecchia, Philippe Vieux

L’histoire : Nestor, un titi parisien dans toute sa splendeur, tombe fou amoureux de sa protégée, Irma. Rongé par la jalousie de savoir sa douce en galante compagnie chaque nuit, Nestor va utiliser tous les stratagèmes pour qu’Irma ne soit plus qu’à lui et rien qu’à lui, peu importe la prix à payer…

Mon avis : Pas facile de reprendre Irma la Douce presque soixante après sa création (elle est restée quatre ans à l’affiche), pas facile pour Marie-Julie Baup et Lorànt Deutsch de succéder à Colette Renard et Michel Roux… En effet, les plus anciens d’entre nous ont toujours en tête les interprétations gouailleuses et habitées de Colette Renard.
Pour ce qui est de Marie-Julie, elle s’en sort haut-la-main parce qu’elle est restée tout simplement elle-même. Elle crée ainsi une autre Irma, tout aussi attachante, voire un tantinet plus policée ; peut-être plus sensible aussi… Quant à Lorànt, il est irréprochable en Nestor Le Fripé. Il apporte au marlou enamouré sa tchatche de titi parisien et autant de légèreté que de profondeur… En tout cas, le couple Irma-Nestor fonctionne à ravir.

Cette comédie musicale, avec musiciens en live (piano à bretelles en tête), est très visuelle. Elle véhicule le charme un peu désuet du Paris du début du vingtième siècle, du Paris des Halles avec sa faune haute en couleurs composée de souteneurs en costard croisé, galure mou, limace et étrangleuse, et de michetonneuses aguichantes. Eh oui, dans Irma la Douce, on jacte l’argot de Pantruche ! Ce qui ajoute encore au « charme désuet » que j’évoque un  peu plus haut.

La pièce se divise en deux parties très distinctes. La première est intimiste. Elle se déroule dans un petit périmètre entre le bar de nuit de Maman (Nicole Croisille) et la chambrette de Nestor transformée en nid d’amour pour nos deux tourtereaux. C’est la vie de quartier. Les macs tapent le carton en s’envoyant des vannes pendant que leurs tapins sont au turbin pour leur ramener l’artiche. C’est un climat plutôt bon enfant, idéalisé, enjolivé, à cent lieues de ce que devait être la réalité (surtout pour les filles). Cette première partie nous permet d'abord de préciser les caractères d’Irma et de Nestor. Irma, c’est une poulbote. Elle vient de la rue, elle y travaille. Même si elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, même si elle est la meilleure gagneuse du quartier (les caves – les clients – font la queue devant sa porte), elle a gardé une certaine candeur, une vraie ingénuité. C’est une femme-enfant. En dépit de son « métier », elle a su garder une âme pure. Raison pour laquelle, elle est tout à fait prédisposée à vivre une histoire d’amour absolument romantique.
Las, cette jolie histoire va se gâter à cause de la jalousie maladive de Nestor qui va inventer un stratagème complètement tordu pour se réserver à lui seul les faveurs de sa belle. Stratagème qui va, évidemment, se retourner contre lui et qui va le plonger dans les affres d’un drame surréaliste.

La deuxième partie, elle, est un joyeux fourre-tout. Après un procès carrément burlesque (c’est le moment le plus hilarant du spectacle), imaginez qu’on voit arriver sur scène des bagnards, une pirogue, des palmiers, des bons sauvages et même… des vahinés ! On est loin du (bas) ventre de Paris… C’est un grand n’importe quoi qui se termine en apothéose avec une savoureuse parodie de la Nativité.


Avec ses deux actes si dissemblables, cette pièce laisse une impression bizarre. Il y a de l’émotion (souvent), du rire (beaucoup), de superbes tableaux. Les personnages sont attachants et pour le moins pittoresques. Mais l’aspect suranné l’emporte. On a l’impression de sucer un bonbon à la naphtaline… La mise en scène, inventive et punchy de Nicolas Briençon n’y est pour rien. C’est le livret – donc l’histoire – qui est comme ça. La tragi-comédie très humaine du premier acte se métamorphose en farce bigarrée après l’entracte. Pas évident à gérer.

Ce spectacle mérite néanmoins une note supérieure à la moyenne. Le choix du couple Baup/Deutsch est un pari gagné. La présence de Nicole Croisille, avec sa dégaine de dame qui a tout vu et qui est revenue de tout mais qui déborde encore d’amour pour ceux de son monde interlope, avec ses commentaires savoureux, épicés, et hauts en images, est une valeur ajoutée. Il y a de jolies trouvailles en matière d’effets spéciaux (particulièrement la scène du miroir) et de bons numéros de music-hall. La scène du tribunal avec président halluciné, avocat de la défense zézayant et procureur condescendant est un grand moment de délire…
En conclusion, il faut aborder ce spectacle avec bienveillance. D’abord parce qu’on devine tout le travail accompli en amont pour obtenir un aussi bon résultat. Ensuite, il faut applaudir la performance artistique de Marie-Julie Baup, absolument épatante et émouvante et saluer la prestation de Lorànt Deutsch qui s’en sort plutôt pas mal en poussant la chansonnette.
J’ai également apprécié la qualité des textes des chansons aux rimes (très) riches et leurs mélodies que je me suis surpris à fredonner encore deux jours plus tard…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 24 septembre 2015

Avanti !

Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre Septembre / Pyramides / Opéra

Une comédie de Samuel Taylor
Adaptée par Dominique Piat
Mise en scène par Steve Suissa
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Décor d’Ivan Maussion
Costumes de Hervé Delachambre
Avec Francis Huster (George Ben Clairborne), Ingrid Chauvin (Alison Miller), Thierry Lopez (Baldassare Pantaleone, dit Baldo), Alice Carel (Diane Clairborne), Romain Emon (John Wesley), Toni Librizzi (Bruno)

L’histoire : A Rome, Georges, un businessman américain puritain, et Alison, une jolie comédienne anglaise, se lancent sur les traces de leurs parents décédés dans un accident de voiture. De réseaux Internet bloqués en bureaux aux horaires décalés, de cercueils volés en chapelles napolitaines, nos héros auront bien du mal à retrouver leurs chers disparus… Mais par la grâce d’un ludion diabolique nommé Baldo, qui incarne à lui seul tout le charme et l’humour italiens, ils découvriront une nouvelle façon d’appréhender la vie…

Mon avis : Vous aimez le cinéma ? Vous aimez les comédies romantiques dites « à l’américaine » ? Alors Avanti ! est une pièce pour vous. En effet, son traitement, son esthétique, son atmosphère et, bien sûr, son couple vedette, sont tout à fait dignes du septième art. Tout y a été étudié pour vous faire sourire benoîtement et rêver dans la tiédeur romaine avec des airs de mandoline dans la tête…
Le décor, déjà, vous sort de l’ordinaire : nous sommes dans la suite royale d’un palace romain. Une imposante porte vitrée donnant sur une terrasse s’ouvre sur la ville sous un ciel insupportablement bleu azur. Nous baignons dans le grand luxe. Il suffit d’ailleurs de découvrir l’élégance et le maintien des trois premiers personnages qui se présentent à nous pour le vérifier. Nous sommes dans la high society.
Et lorsqu’Ingrid Chauvin fait son apparition, le doute n’est plus permis. On ne peut plus s’empêcher de penser aux couples mythiques du cinéma hollywoodien des années 50/60 du genre Gregory Peck et Audrey Hepburn dans Vacances romaines. Nous sommes en plein dans ce registre. Ce titre aurait pu parfaitement coller au thème de la pièce. Mais Avanti ! – on le comprendra plus tard – est peut-être encore plus judicieux.


Francis Huster en chef d’entreprise austère, limite psycho-rigide qui découvre soudain l’amour passion, est impeccable. Quant à Ingrid Chauvin, elle éclabousse cette charmante histoire de son extrême féminité. Elle a vraiment tout pour elle : silhouette irréprochable, fraîcheur, spontanéité. On comprend sans problème que George Clairborne soit conquis par cette joie de vivre, cette liberté qui sont aux antipodes de son éducation puritaine. Sincèrement, ce rôle d’Alison Miller devrait compter dans la carrière d’Ingrid Chauvin car elle nous fait découvrir une facette de sa personnalité qu’on n’avait pas encore trop vu : la fantaisie  naturelle. Combien d’hommes dans la salle échangeraient volontiers leur place pour celle de Francis Huster tant elle est la sublime incarnation de l’éternel féminin !


Pourtant, le succès de pièce – car elle va connaître un grand succès – ne se limite pas au charisme indéniable du couple Huster/Chauvin. Celui qui, grâce au bouche à oreille, va faire exploser le box office, c’est Thierry Lopez dans le rôle de Baldo… C’est la
cinquième fois que je le vois jouer (Le songe d’une nuit d’été, Doris Darling, Divina, Georges et Georges) et son originalité et son maintien m’avaient attiré l’œil et amusé. Mais là, il atteint des sommets. Il est le deux ex machina de la pièce. Sans lui, il n’y aurait pas d’histoire. Il est tout à la fois : le serpent tentateur du jardin d’Eden, Cupidon, un ange gardien, Cagliostro, Machiavel… Il a l’aisance, le charme, la faconde italiennes. A l’abri de son sourire ravageur, il est tour à tour enjôleur, baratineur, narcissique, sans gêne et tellement persuasif. Et quelle façon de bouger ! Il possède l’agilité et la légèreté d’un elfe, dons qu’il doit sans doute à des années de danse… Bref, Thierry Lopez est irrésistible. Il nous séduit, il nous irrite, il nous enchante. Dès qu’il apparaît sur scène on sait qu’on va vivre un grand moment de comédie.

Avanti ! est donc une fort jolie pièce pleine de charme et de romantisme. Et la mise en scène de Steve Suissa, réglée au cordeau, cinématographique, élégante et légère, y est pour beaucoup.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 23 septembre 2015

Axelle Laffont "Hypersensible"

Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Ecrit et interprété par Axelle Laffont
Mis en scène par Charles Templon

Présentation : Après La Folie du Spectacle, Son premier one woman show, Axelle Laffont dans un nouveau seule en scène, Hypersensible : « Je voulais revenir dix avant plutôt que dix ans après, mais pour de sombres raisons d’’espace-temps, ça n’a pas été possible »…

Mon avis : Pas facile à synthétiser ce show – car c’en est un – tant il part un peu dans tous les sens. Devant une salle comble, emplie de trentenaires et de quadras bobos assurément imprégnés de la culture Canal+ qui ont quitté Saint-Germain, le Marais ou Neuilly pour se retrouver du côté de Strasbourg Saint-Denis, donc une salle acquise, Axelle Laffont nous entraîne dans un spectacle pour le moins effervescent dont, surtout, il ne faut pas manquer le début…

Avec un débit torrentiel et une gestuelle survoltée, elle nous propose un spectacle hybride, mi stand-up, mi-sketchs. Changeant de voix pour incarner des dialogues à deux personnages, balançant sa chevelure pour affirmer son esprit libre et sauvage, prenant des poses langoureuses ou suggestives, elle occupe la scène avec une incroyable vitalité.
A la mi-spectacle, sur mon carnet de notes, j’avais entre autres inscrit le mot « extravertie » tant elle ne s’impose aucune limite. Or, vers la fin, c’est elle-même qui se définit comme étant « hypersensible » (titre de son seule en scène) ET « extravertie ». Deux termes a priori inconciliables mais qui, à la réflexion, la qualifient parfaitement… En effet, derrière son exubérance et son goût immodéré pour la provocation, il ne faut pas gratter longtemps pour deviner une profonde vulnérabilité. C’est donc pour la masquer et s’en protéger qu’elle adopte ce comportement d’amazone impétueuse. Ce n’est d’ailleurs pas innocent si elle s’affiche masquée et couverte d’une cape. Axelle porte une panoplie à la fois physiquement et moralement. Son personnage tapageur n’est qu’un trompe-l’œil. Je subodore que, dans la vraie vie, elle n’est pas une jeune femme si assurée et si insouciante que cela.


Il faut donc essayer de lire la plupart de ses propos entre les lignes. Axelle Laffont aborde plusieurs thèmes, mais le plus dominant repose sur les rapports hommes-femmes. « Rapports » dans tous les sens du terme. A grand renfort d’images osées et d’attitudes plus explicites qu’équivoques, elle parle sexe, souvent crûment, de ses ex, des soirées unisexe, des réseaux sociaux, de ces jeux improbables qui peuvent survenir en fin de soirée, de la rupture amoureuse avec, en corollaire, l’aspect éphémère de l’amour…
Personnellement, trois sketchs m’ont particulièrement amusé : celui où, l’espace d’un instant, elle se métamorphose en homme et en adopte les comportements les plus parodiquement « virils » ; celui où elle analyse la difficulté à vivre en couple (ça sent fortement le vécu) ; et celui où elle ironise, avec une totale mauvaise foi qui suinte la jalousie et le regret, sur les filles de 20 ans.

Tout au long de son show, outre son énergie dévastatrice, Axelle Laffont fait preuve de grandes qualités de comédienne et se son aptitude à camper des personnages. Mais ça, on le savait déjà.
Sinon, je n’ai pas vraiment adhéré à tout. Je me suis senti parfois largué (le sketch sur les réseaux sociaux est une litanie de termes techniques pour geeks exacerbés), parfois pas concerné (le sketch sur les jeux de fin de soirée n’est qu’une fumeuse surenchère dans le scabreux), sur ma faim (le sketch intitulé « le décalage de le vie des gens connus » est une super idée mais elle n’est pas du tout ou mal exploitée), et perplexe avec le sketch concernant un certain Jean-Jacques…
Pour conclure, j’estime que Hypersensible s’adresse à un public vraiment ciblé, pour ne pas dire
« branchouille ». Axelle Laffont (« X »elle Laffont ?) est la grande prêtresse d’une chapelle Sextine dont les fidèles sont décrits dans le début de ce papier. En tout cas, elle se donne à fond et ne boude pas son plaisir (communicatif) de se retrouver enfin sur scène.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 22 septembre 2015

Chimène Badi "Au-delà des maux"

Polydor / Universal Music


Dans le sixième et nouvel album de Chimène Badi, tout est dans le titre : Au-delà des maux
Après l’avoir (bien) écouté, j’ai compris que cet opus était pour elle un album-vérité, un album charnière par lequel il lui fallait impérativement passer.
Chimène avait des choses à dire, à confier, à partager. Des choses qu’elle avait ébauchées dans l’album Laisse-les dire, mais là, elle va beaucoup plus loin. Au-delà des maux correspond à un besoin, à une nécessité vitale. Il est très personnel, intimiste mais jamais larmoyant ou compassionnel. Visiblement, elle est déjà au-delà de la thérapie. Quand on peut s’exprimer ainsi, avec autant de lucidité et de sincérité, c’est le plus gros du travail a déjà été fait en amont. Entourée de ses auteurs, elle a ouvert le lourd bagage qui l’encombrait, elle en a extrait tout ce qui pouvait s’apparenter à du passif pour le mettre au grand jour et y faire un sort une bonne fois pour toutes.

Je suis convaincu que cet album va constituer un palier dans la carrière de Chimène Badi. Totalement libérée, débarrassé de toute scorie, elle va désormais pouvoir se consacrer entièrement à la musique qu’elle aime. Ça nous promet de jolis moments en perspective…
Au-delà des maux est l’album d’une jeune femme de 33 ans qui est debout, la tête haute, le regard fier et digne. Une battante, quoi !

Qu’y a-t-il au juste dans cet album ? Chimène, par auteurs interposés, y raconte les quatre dernières années qu’elle a vécues. Elle évoque sans détour une rupture amoureuse (De quoi on se souvient, Qui parle d’elle) et elle va même plus loin en analysant comment on parvient à la gérer et à la dépasser (Point final). Avec ces trois titres qui pourraient s’emboîter, on en a fait le tour. De ses douleurs intimes, de son cheminement pour s’en sortir et cicatriser, elle nous livre quelque chose d’universel…
Suite logique et inévitable de la séparation, on se retrouve Seule, un état remarquablement décrit par les mots de Zaho, mais qui en tire néanmoins quelque chose de positif…


Vous l’aurez compris cet album est émaillé de témoignages et d’épreuves personnels. Dans Au-delà des mots, Chimène évoque cette dramatique période au cours de laquelle elle avait complètement perdu sa voix et qui se résume en une magnifique déclaration d’amour à la chanson… Dans Personne, une des plus belles chansons de cet opus, signée du tandem Yann Guillon/Emmanuel Moire, elle relate le fait qu’elle n’a pas toujours été maîtresse de ses volontés artistiques et qu’aujourd’hui, plus personne ne lui dictera ses choix… Elle traite aussi une bonne fois pour toutes ses problèmes de surpoids (Ça ne regarde que moi). Un complexe qu’elle relate dans Ballerine, clin d’œil malicieux à sa participation à Danse avec les Stars.

Dans L’usine, dont il faut souligner l’habileté des arrangements à retranscrire une ambiance digne des Temps Modernes, elle raconte la perte d’emploi de sa mère. Comme ce genre de situation est hélas partagé, Chimène Badi pense aussi aux autres. Ces thèmes altruistes donnent le ton à Elle vit, qui parle d’une SDF qui l’avait émue dans sa jeunesse, dans ces Retardataires qui sont des laissés pour compte du système et dans Pour tous les hommes, un superbe gospel, qui est un appel au partage, à la solidarité…

En conclusion, Au-delà des maux est un bel album de chanson française. Chimène Badi y confirme qu’elle possède une signature vocale très personnelle. Mais il comporte en outre cette dose d’émotion qui émane du vécu de l’artiste et de sa volonté de se sortir métamorphosée et grandie de toutes ses épreuves passées.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 21 septembre 2015

ça n'arrive pas qu'aux autres

Café de la Gare
41, rue du Temple
75004 Paris
Tel : 01 42 78 52 51
Métro : Rambuteau / Hôtel de Ville

Une comédie de Nicolas Martinez et Benoît Moret
Mise en scène par Nicolas Martinez et Benoît Moret
Scénographie de Virginie Destiné
Chorégraphies de Karine Orts-Briançon
Costumes de Bénédicte Defitte
Lumières de Jean-Luc Chanonat
Avec Ariane Boumendil (madame Moret), Nicolas Martinez (monsieur Moret), Benoît Moret (monsieur Marty), Pascale Oudot (madame Marty)

Présentation : Tout est allé très vite. C’était un mardi. Il était 20 h 00. Ils étaient venus visiter cette maison. Personne n’aurait pu prévoir ce qui s’est passé.
Comment l’alchimie entre quatre personnages peut-elle transformer une simple visite immobilière en un véritable cauchemar ?

Mon avis : Une collègue journaliste m’avait chaudement recommandé cette pièce. Ensuite, j’ai lu des critiques de spectateurs plus qu’élogieuses, pour ne pas dire dithyrambiques, sur le site de BilletRéduc. C’est donc plutôt excité que je me suis rendu au Café de la Gare pour découvrir cette pièce annoncée comme « déjantée », « délirante », « dingue », « haletante »… Tout ce que j’aime, quoi ! En plus, la file d’attente qui s’étirait jusque sur le trottoir de la rue du Temple était annonciatrice de succès. Effectivement, la salle était pleine à craquer lorsque le rideau s’est levé sur la salle de séjour d’un petit pavillon normand.

Une heure et demie plus tard, j’étais perplexe, désemparé. J’avais à peine ri et, surtout, j’essayais de re-tricoter les raisons qui avaient provoqué mon manque quasi total d’adhésion.
Le postulat de départ de la pièce et certains de ses ressorts sont pourtant efficaces. Mais qu’est-ce qui a provoqué, à mes yeux, ce grippage dans les rouages ? Toutes les pièces du puzzle sont en place, mais elles ne s’emboîtent pas.

Voyons d’abord ce qui est positif. Les quatre comédiens sont absolument irréprochables. Ils se livrent sans compter avec une incroyable débauche d’énergie. Les quatre caractères, très différents, sont plutôt bien dessinés. Les antagonismes qui se révèlent peu à peu entre les deux couples composent des éléments très forts en matière de comédie, particulièrement leur différence de niveau social. En dépit de tels ingrédients, l’alchimie ne prend pas.


Le comique de répétition, trop lourd et prévisible, ne fonctionne pas (par exemple « le bout »). Le personnage de monsieur Marty, parano et cyclothymique, est trop outré. Certains de ses comportements sont incompréhensibles. Il y a des longueurs dans la première partie. Ce qui aurait pu être une excellente parodie d’un bouquin de Stephen King, genre Misery, se réduit à une sorte de thriller graveleux et surréaliste… Les annonces à la télévision de l’existence d’un tueur en série dans la région arrivent comme un cheveu dans la soupe. La première nous prépare à un suspense, mais la seconde, en nous apprenant son arrestation, fout tout par terre puisqu’elle anéantit brutalement notre attente… Quant à la fin, elle m’a laissé sur ma faim.
Bref il y a trop d’incohérences dans cette pièce, trop d’approximations, pour qu’elle nous apparaisse plausible. J’adore les grains de folie ou le burlesque lorsqu’ils reposent sur un fond de crédibilité. Ici, nous avons droit à une succession de scènes qui deviennent de plus en plus improbables. J’avoue que j’ai très vite décroché en dépit de l’ardeur des comédiens qui, je le répète, sont vraiment à fond dans leurs personnages.

Je suis convaincu que ce n’est qu’un problème d’écriture. Il faudrait simplement resserrer quelques boulons, gommer certaines facilités complaisantes, éradiquer les illogismes, bref, traiter cette histoire qui pourrait tenir la route (et en haleine) avec un esprit un tantinet plus cartésien ; alors, la sauce prendrait.
Maintenant, peut-être suis-je trop exigeant. En effet, partout autour de moi, les gens hurlaient de rire, tapaient des mains, ovationnaient. Ce qui signifie qu’il y a un public pour ce type de farce et que le bouche à oreille fonctionne favorablement. Ce n’est donc pas par ce que ça ne m’a pas plu que je dois en dégoûter les autres…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 17 septembre 2015

La Légende du Roi Arthur

Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 01 40 68 22 22
Métro : Porte Maillot

Livret de Dove Attia et François Chouquet
Mis en scène et chorégraphié par Giulano Peparini
Décors de Bernard Arnould
Costumes de Frédéric Olivier
Avec Florent Mothe (Arthur), Zaho (Morgane), Camille Lou (Guenièvre), Charlie Boisseau (Lancelot), Fabien Incardona (Méléagant), David Alexis (Merlin)…

L’histoire : Aux temps anciens, le roi de Bretagne, Uther Pendragon, régnait sur un royaume prospère et paisible qui couvrait alors la Grande-Bretagne actuelle et la pointe de la Bretagne française. Mais un jour ce roi fut pris d’une passion soudaine pour l’épouse d’un de ses barons. Le druide Merlin, son illustre conseiller, tenta de l’en détourner. Mais le roi insista tant que Merlin dut céder à sa volonté et l’aida par magie à posséder la femme qu’il désirait plus que tout au monde. En échange, Merlin exigea que le fruit de cette union lui soit confié. Neuf mois plus tard naquit un garçon nommé Arthur. Merlin confia l’enfant à un homme sage, preux chevalier, afin qu’il puisse grandir au sein d’une famille et recevoir une éducation digne et rigoureuse. Peu de temps après, le roi Uther fut blessé au combat. Mais avant de mourir, il planta son épée dans le roc et la nomma « Excalibur l’épée des Rois ». Il jura que seul son successeur serait capable de l’en extraire…

Mon avis : J’ai eu le privilège d’assister hier aux ultimes répétitions de La Légende du Roi Arthur au Palais des Congrès. Et bien je puis vous dire, en totale objectivité, que j’en ai pris plein la vue. Par rapport aux précédents spectacles musicaux de Dove Attia, la technique ayant encore fait d’énormes progrès, la scénographie est proprement incroyable. On se croirait au cinéma tant les effets spéciaux sont réalistes et, surtout, d’un esthétisme à rester béat d’admiration. Par le jeu de projections savamment maîtrisées, on peut par exemple voir une cité médiévale en proie aux flammes, des nuages circuler, s’épaissir et tourner à l’orage avec éclairs zébrant le ciel et roulements de tonnerre… J’ai eu parfois la sensation de rentrer dans un immense jeu vidéo.
Encore une fois, on retrouve la patte, l'inventivité et l'incontestable talent du démiurge (dieu organisateur) Giulano Peparini.


C’est vraiment la splendeur des images qui m’a le plus emballé. Ensuite, j’ai apprécié la beauté des costumes, l’ingéniosité des décors coulissants, la démesure hiératique de la salle du trône…
Ensuite, on retrouve dans ce spectacle tous les ingrédients qui font la spécificité des comédies musicales modernes : chorégraphies impeccables et spectaculaires, combats, duels, cascades, acrobaties façon yamakasi, voltige…


La Légende du Roi Arthur possède une réelle dimension épique. C’est un spectacle plein de bruit et de fureur, de bons et de mauvais sentiments, d’amour et de haine, de trahisons et de grandeur d’âme sous fond de musique celtique.
Une fois encore le casting des acteurs-chanteurs est indiscutable. Dans le rôle d’Arthur, Florent Mothe, loin de Salieri, est méconnaissable. Personnellement, je pense que la grande révélation de ce spectacle sera Fabien Incardona dans le rôle du « méchant » Méléagant. Ce garçon possède une voix incroyable et un look à faire se pâmer les gentes damoiselles. Sa chanson Advienne que pourra est un tube en puissance.
Quant à la note comique, elle est apportée par Olivier Mathieu qui, dans le rôle de Kay, le demi-frère d’Arthur, est particulièrement cocasse.

Vous allez assurément en prendre plein les mirettes et plein les oreilles car ce spectacle, ce n’est pas de la camelote !
Avec La Légende du Roi Arthur, Dove Attia a peut-être atteint son Graal en matière de comédie musicale…


Gilbert « Critikator » Jouin

Christophe Alévêque "ça ira mieux demain"

Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin-Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 21
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau

Ecrit et interprété par Christophe Alévêque
Mis en scène par Philippe Sohier
En collaboration avec Thierry Falvisaner
Lumières de Jérôme Pérez Lopez
Avec Francky Mermillod à la guitare et à la régie générale

Présentation : Christophe Alévêque se fait Don Quichotte et s’attaque à tous les sujets d’actualité. Il les lamine dans une revue de presse actualisée chaque jour. Il part en campagne et s’en prend à l’éducation, aux adolescents, à la crise, à l’opposition, au gouvernement, aux pluies abusives, au réchauffement et à la mal-bouffe…

Mon avis : Christophe Alévêque aborde la grande scène du Rond-Point l’esprit en vrac et le corps en frac. L’esprit en vrac, ça se comprend, avec tout ce qui va mal en ce bas monde et toutes les horreurs que nous avons vécues et vivons quotidiennement. Alors, comme il est un fervent adepte de la politesse du désespoir, il a choisi de se montrer dans ses plus beaux atours. Cela, pour deux raisons : la première est un besoin d’élégance face à la morosité ambiante et la seconde parce que c’est la tenue d’un concertiste. En effet, pour la première fois, l’humoriste va s’accompagner lui-même au piano. Et joliment bien ! Dans cet exercice musical, il reçoit plusieurs fois le renfort de son complice, le désopilant guitariste Francky.

Pour le suivre et l’apprécier depuis le début des années 90, je peux affirmer en toute honnêteté que ce spectacle est le plus abouti depuis qu’il a cessé de camper des personnages à sketchs pour passer à des prestations qui s’apparentent plus au stand-up. Ce qui se dégage le plus de Ça ira mieux demain, c’est que par rapport aux précédents, il est très, très écrit. Christophe Alévêque se permet parfois d’énoncer des jugements et pensées dignes d’un philosophe au terme desquels on entend la salle se pâmer d’aise. A côté de ça, il se montre toujours aussi percutant avec ce qui constitue son fonds de commerce, à savoir les formules qui tuent, les analyses imparables, les saillies imagées, les métaphores osées, les comparaisons audacieuses…


Or donc, le temps de ce spectacle, Christophe Alévêque jette sa cape de Super Rebelle aux orties (normal, il aime bien quand ça pique !) pour endosser mentalement l’armure de Don Quichotte. Pour une fois, on va entendre dans sa bouche des mots inhabituels comme « rêve » et « consensus ». Les moulins qu’il va combattre, il va tenter de les attaquer moins frontalement. Le problème, c’est qu’il lui est pratiquement impossible de se montrer consensuel. Nous allons donc assister en direct à une lutte interne entre son désir d’apaisement et sa propension viscérale à l’indignation et à la dénonciation. Ce Don Quichotte là a le sang chaud et, en dépit de sa bonne volonté proclamée, son naturel va revenir au galop de Rossinante. Pour notre plus grand plaisir. Il faut le voir arpenter la scène avec une attitude qui n’appartient qu’à lui : timbre de voix aux intonations modulées (j’adore ses gloussements), déplacements et gestuelle désordonnés, silences éloquents, regards appuyés…
Dans ce spectacle, Christophe Alévêque balaie large. Mais lui, quand il balaie, il ne glisse pas la poussière sous le tapis, au contraire. Il nous la balance en pleine figure. Et ça nous fait tousser ou nous étrangler… de rire. D’autant plus qu’il se débarrasse de sacrés moutons dont les plus résistants ont pour nom : les jeunes, la télévision, les forums sur Internet, la manif’ pour tous, les musulmans, les migrants… C’est aussi brillant qu’implacable. Tout simplement parce qu’il y a du fond.


Comme il en a désormais pris l’habitude, il incorpore des chansons dans ses spectacles. Mais, cette fois-ci, le Bourguignon ne fait pas le bœuf comme précédemment. Seul au piano, il nous offre trois grands moments en interprétant trois énormes titres que je ne vous révélerai pas. Sachez seulement que c’est du lourd, du très lourd, que la salle, subjuguée, les reçoit dans un silence quasi religieux avant que d’exploser spontanément en applaudissements enthousiastes.

Ça ira mieux demain ??? Méthode Coué pour essayer de s’en convaincre et de nous rassurer ou réel optimisme ? Comme il n’est pas vraiment du genre béat, je pencherais plutôt pour la première hypothèse. Christophe Alévêque n’est dupe de rien. Pourtant, tout au long de son spectacle il va s’évertuer à essayer de nous prouver que l’on peut faire pousser une jolie fleur sur un tas de fumier.
En conclusion, Christophe Alévêque est toujours, quoi qu’il en dise, aussi « Rebelle », mais il est de plus en plus « Super ».


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 12 septembre 2015

Momo

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité

Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Ladislas Chollat
Scénographie d’Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Musique de Frédéric Norel
Lumières d »Alban Sauvé
Avec Muriel Robin (madame Prioux), François Berléand (monsieur Prioux), Sébastien Thiéry (Momo), Ninie Lavallée

L’histoire : Un soir, en rentrant chez eux, monsieur et madame Prioux découvrent avec stupéfaction qu’un certain Momo s’est installé chez eux. Momo est revenu chez ses parents pour leur annoncer son mariage. Les Prioux, qui n’ont jamais eu d’enfant, tombent des nues… D’autant que tout semble prouver que Momo est bien leur fils. Momo est-il un mythomane ? Un manipulateur ? Les Prioux ont-ils oublié qu’ils avaient un enfant ?... Une comédie désopilante qui fait exploser les codes de la filiation.

Mon avis : On n’ira peut-être pas jusqu’à utiliser l’épithète emphatique « momonumental » pour qualifier cette pièce mais, comme à son habitude, le déroutant Sébastien Thiéry nous entraîne dans une histoire totalement abracadabrantesque.
Dès les premières minutes, il nous installe inconfortablement dans un caddy de supermarché, caddy qu’il lâche sans sommation sur les rails brinquebalants d’un scenic railway au parcours extraordinairement accidenté. Le pire, c’est que cet engin de fortune va prendre de plus en plus de vitesse jusqu’à en devenir incontrôlable. La tension est tellement forte que la seule réaction à avoir pour s’en soustraire, c’est de rire. De rire comme des enfants qui aiment à avoir peur tout en sachant qu’ils ne risquent absolument rien.
A l’instar de madame et monsieur Prioux, nous sommes plongés dans l’incompréhension la plus totale. Kafka, c’est de l’eau de rose à côté du machiavélisme de Sébastien Thiéry. C’est vrai qu’on n’aimerait pas se trouver à leur place… Inutile ici pour les comédiens de sur-jouer. La situation est d’elle-même tellement ubuesque qu’il aurait été suicidaire et grotesque d’en rajouter. Les Prioux sont deux insectes qui se débattent dans une toile tissée par un inquiétant arachnide. Chacun va essayer de s’en extraire par ses propres moyens sans se préoccuper de l’autre, ou alors en l’affrontant. C’est vraiment du chacun pour soi. Question de caractère.


Laurence Prioux est une femme de tempérament. Professionnellement, elle a l’habitude de commander. Elle est pragmatique, autoritaire, énergique. Son esprit rationnel va l’amener à tenter de trouver un sens à l’inexplicable… Quand à André Prioux, il est plus versatile. D’un naturel plutôt placide, en perdant tout repère, il va se monter pusillanime, pleutre, puis agressif. Il vit un cauchemar tellement incompréhensible qu’il s’en gratte la tête à s’en écorner le cerveau.
Quelle formidable idée que d’avoir imaginé cette association d’acteurs ! La confrontation Muriel Robin/François Berléand est une totale réussite. Ils déploient une telle énergie (celle du désespoir pour François, celle de l’espoir pour Muriel), qu’ils doivent finir épuisés à l’issue de la représentation. Ils nous tiennent en haleine du tout début jusqu’à l’ultime seconde… Pour avoir vu sa prestation dans Deux hommes tout nus et sa faculté à se glisser dans l’univers absurde de Sébastien Thiéry, je n’ai pas été surpris par sa performance. Il a cette aptitude à jouer vrai des événements qui ne reposent sur rien de plausible. Ce qui donne, bien sûr, encore plus de poids à la dramaturgie.


Quant à Muriel Robin, affûtée comme jamais, elle confirme dans cette pièce l’étendue de son éventail de jeu. Qu’elle se montre étourdissante quand il s’agit pour elle de nous la jouer survoltée et extravagante, c’est son fonds de commerce. Or, ici, elle nous prouve, ainsi qu’elle l’avait déjà montré dans Marie-Line, Mourir d’aimer ou Les Fugueuses, qu’elle sait, sans aucun artifice, faire vibrer la corde sensible. Voir « Mumu » dans Momo confesser son désir d’être une maman dépasse la simple écriture d’un synopsis. Dans ce cri, elle met beaucoup d’elle-même. Là aussi, à travers l’émotion suscitée, ça apporte un supplément de crédibilité à la pièce. La grande bourgeoise sûre d’elle, fière et altière voit soudain s’effriter son vernis protecteur vieux de quarante ans. Au diable la dignité ! S’il faut se comporter en lionne pour sauver un enfant, qu’il soit ou non le sien (ça, je vous laisse le soin de le découvrir), et bien allons-y…

On ne peut également passer sous silence le personnage interprété par Ninie Lavallée. Elle a l’art de nous déstabiliser encore plus à un moment où on est déjà passablement désorienté. Il faut le faire !

Sébastien Thiéry a écrit là sa pièce de loin la plus personnelle et la première qui, en dépit de son aspect surréaliste, s’avère être parfaitement logique. Et puis, pour une fois, il ne nous laisse pas une conclusion en points de suspension car Momo a une vraie fin… La performance d’acteur de Sébastien Thiéry dans le rôle de cet enfant sans gêne parce qu’il est sans gènes est d’autant plus remarquable qu’il y a mis lui aussi beaucoup de lui-même. Cette part d’intimité injectée dans une comédie a priori farfelue lui donne une dimension réellement émouvante, un petit supplément d’âme.
Et il ne me reste plus qu’à lui dire avec reconnaissance et affection : « Merci pour ce « Momoment »…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 10 septembre 2015

Ladies Night

Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Une comédie d’Anthony Mc Carten, Stephen Sinclair et Jacques Collard
Nouvelle adaptation d’Alain Helle
Mise en scène de Julien Tortora et Rachel Suissa
Chorégraphies de Mélanie Dahan
Lumières de Sébastien Lanoue
Costumes d’Anne-Sophie Lebocey
Avec Clara Morgane (Glenda), Christophe Canard (Gérard), Arnaud Cassano (Steph), Jacques Courtes (Bernie), Clément Naslin (Benoît), Vincent Piguet (Jacky), Philou (Wes), Jérémy Malaveau ou Julien Tortora (Manu)

L’histoire : Quand Manu a une idée derrière la tête, il ne lâche rien. Déterminé à retrouver la garde de son fils, il va réussir à motiver ses potes de comptoir pour créer… un spectacle de chippendales !
Leurs motivations : se sortir du chômage.
Leurs points faibles : leur physique et leur piètre talent de danseur.
Leurs points forts : l’humour et la solidarité.
Heureusement, sur leur chemin ils seront aidés par Glenda, ex-danseuse, qui les soutiendra et les mènera jusqu’au show final.
Véritable tableau de notre société, cette comédie délirante et émouvante prouve que rien n’est impossible si on a la force d’y croire.

Mon avis : C’est la troisième version de Ladies Night que je vois. J’avais découvert cette pièce il y a quinze ans, avec Olivier Marchal et Lisette Malidor, je l’ai revue en 2012, avec Linda Hardy et Bruno Sanches… Et bien cette nouvelle mouture est largement au niveau des deux précédentes et elle produit le même (fort) impact sur les spectateurs et, surtout, sur les spectatrices.
On connaît l’histoire. Elle a été le thème du film britannique The Full Monty, sorti en 1997, bardé de récompenses en Angleterre et aux Etats-Unis, et qui a connu un formidable succès à travers le monde. Ses six héros sont des naufragés de la vie. Le chômage les a plongés dans une misère sociale (marginalisation, désoeuvrement) et affective (problèmes de couple). Il ne leur reste comme point d’ancrage que leur amitié et le bar de Bernie où ils se retrouvent pour jouer aux fléchettes et boire des bières. Compagnons d’infortune ; ensemble ils se sentent un peu plus forts.
Une annonce parue dans un journal local va bouleverser leur morne existence en leur offrant un but, un projet. Bref, en leur donnant l’opportunité de rêver à nouveau. C’est Manu qui va être l’instigateur de ce challenge insensé. Manu, sans doute le plus paumé de la bande, qui fait n’importe quoi de sa vie, mais qui devient fou à l’idée de se voir déchu des droits sur son fils de 7 ans. Sa proposition de créer un spectacle de strip-tease va rencontrer un écho plutôt favorable chez ses compagnons, d’autant qu’il pourrait y avoir une belle recette à la clé. Qui dit argent, dit récupération de sa dignité et reconquête de sa compagne et de son enfant.


Il se dégage de cette pièce une profonde humanité. Ces six personnages, qui forment une sacrée brochette de bras cassés, vont en effet retrouver une énergie perdue en se lançant à fond dans une entreprise qui frise l’utopie. Qui dit six personnages, dit six caractères. Pour que ça sonne vrai, il faut que les comédiens soient le plus banals possibles, qu’ils nous ressemblent. Pour mener à bien leur folle aventure, ils ont vraiment beaucoup plus de handicaps que d’atouts. Certains ne sont plus très jeunes, d’autres ont des problèmes de poids, un autre n’est pas encore sorti des jupons de sa maman… Ce ne sont vraiment pas des apollons. C’est ce en quoi ils sont touchants.

Le casting est vraiment parfait. Ils sont tous des « right men at the right place ». Malgré tout, il y en a trois qui attirent un peu plus notre attention. Jérémy Malaveau qui, dans le rôle de Manu, apporte une certaine animalité. Il a touché le fond et le projet qu’il a imaginé le regonfle d’une sorte d’énergie du désespoir. Il est en outre extrêmement émouvant dans les séquences où son fils est en cause… Vincent Piguet incarne à la perfection Jacky, un rocker fan de Dick Rivers, un peu fruste, un peu narcissique, très caricatural, terriblement naïf et, forcément, attachant… Et puis il y a Clément Naslin. Son Benoît est le personnage qui provoque le plus d’éclats de rire. Pour l’interpréter, il a pris une voix de fausset, adopté une démarche étriquée ; c’est le petit poussin égaré dans une basse-cour. Cette aventure va, sans qu’il s’en doute, le révéler à lui-même, lui permettre d’exister par lui-même et de couper enfin le cordon ombilical…


J’insiste, tout le monde est bon dans cette pièce. Il faut y ajouter Jacques Courtes, le patron du bar qui sponsorise généreusement les futurs Metallo Boys et bien sûr Clara Morgane qui apporte tout son charme, son autorité et sa force de conviction pour que cette folle entreprise soit un succès.
Enfin, il faut souligner la place prépondérante que tiennent les épisodes dansés dans ce spectacle. Il est amusant de voit l’évolution de nos énergumènes dans cette discipline, de patauds et désordonnés qu’ils sont au début, jusqu’à un étourdissant bouquet final. Et là, chapeau au travail de la chorégraphe Mélanie Dahan !
Je dois avouer que, comme les deux fois précédentes, j’ai été parcouru de frissons au moment où nos Metallo Boys font leur entrée sur scène pour présenter leur show pour la première fois au public. Et, ce qui est également très plaisant à ce moment-là, c’est de voir et d’entendre les spectatrices participer au jeu en encourageant chaudement nos strip-teasers en herbe…


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 9 septembre 2015

Sophie Aram "Le fond de l'air effraie"

Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Ecrit par Sophia Aram et Benoît Cambillard
Mis en scène par Benoît Cambillard

Présentation : L’humoriste dépeint avec tendresse des personnages se débattant avec l’air du temps. Elle s’interroge sur l’état d’un débat public traversé par des idéologies et une actualité dramatique. Entre le chômage, le réchauffement climatique, Eric Zemmour, la montée du FN, Valérie Trierweiler et Charlie… il y a vraiment de quoi rire !

Mon avis : « Le fond de l’air effraie »… Tout le thème du nouveau spectacle de Sophia Aram est contenu dans cette assertion. Les deux années qu’elle vient de vivre ont en effet été particulièrement éprouvantes pour l’humoriste, tant sur le plan professionnel avec la cabale (Petit Larousse : « Manœuvres, intrigues qui visent à provoquer l’échec de quelqu’un ») qu’elle a subie lors de son talk-show sur France 2 à la rentrée 2013, que sur le plan affectif avec l’insupportable disparition de ses amis de Charlie Hebdo. Sacré bagage à trimballer.

Or, ce lourd bagage, la jeune femme va l’ouvrir devant nous et nous en exposer le contenu avec tout le recul nécessaire que permet son sens chronique de l’humour et son tempérament inoxydable de combattante. Tout de go, elle annonce d’ailleurs que c’est pratiquement « impossible de faire léger ». Pourtant, elle va réussir à nous faire rire pendant près d’une heure et demie avec des sujets qui, de toute évidence, ne sont pas vraiment drôles… Le fond de l’air effraie, certes, mais si on occulte un « fond » (que l’on n’est pas loin d’avoir touché) pour y mettre la forme, on peut s’en sortir. C’est donc ce que Sophia s’emploie à faire.


Si, comme l’a écrit Boris Vian, « L’humour, c’est la politesse du désespoir », on peut affirmer que Sophia Aram est très, très, très polie. Evidemment, athéisme proclamé oblige, elle n’ira jusqu’à proclamer que Dieu est humour, mais c’est à travers ce prisme qu’elle va traiter les différents événements qui ont ponctué sa/notre vie ces derniers temps… Pétulante et aérienne, avec son sens acéré de la formule qui fait mouche, elle se livre d’abord à une sorte de revue de presse avant de s’attarder un peu sur les deux plus grands succès littéraires de l’année, les ouvrages respectifs de Valérie Trierweiller et d’Eric Zemmour, avec extraits éloquents à l’appui. Savoureux !

Puis, ses formidables dons de comédienne et sa faculté à prendre n’importe quel accent aidant, elle se glisse dans la peau (et dans la tête pleine de bon sens) de sa tante Fatiha pour nous offrir un brillantissime contre-pied à un phénomène de mode actuel que je vous laisse le plaisir de découvrir… Sophia va ensuite alterner son show entre stand-up et incarnation de personnages. Elle revient sur son gadin télévisuel, décortique les différences patentes entre la Gauche et la Droite, analyse les dérives et les aberrations qui envahissent la toile par internautes interposés, évoque ses rencontres doublement lepénistes sur l’antenne de France Inter… Elle reprend l’accent québécois pour tenter d’expliquer ce qui peut motiver un Canadien à faire le djihad, puis l’accent des cités pour narrer la déception d’une jeune fille partie en Syrie rejoindre les combattants de l’Etat islamique… Sophia Aram est d’une logique implacable. Son sens de l’observation, redoutable, est illustré par des métaphores osées. Elle, elle appelle un chat un chat (quand on n’est pas croyante, les mots, eux, peuvent être crus)…


Le fond de l’air effraie... Ça fait froid dans le dos. Raison de plus pour ne pas se retourner et faire face. Ce qu’elle fait avec un courage énorme car elle en vient enfin à raviver les dramatiques événements du 7 janvier au cours desquels certains de ses plus proches amis ont pris au sens (pas vraiment propre) « Du plomb dans la tête » de la part de fanatiques en pleine « Crise de foi ». La douleur est encore trop vive. Alors, elle va utiliser à son tour ses talents de caricaturistes et de satiriste et parvenir à nous faire sourire avec l’indicible. C’est sa façon à elle de se/nous mettre un baume sur des plaies qui ne peuvent pas cicatriser. Et elle termine avec une apologie du droit blasphème (tout en respectant celui de croire) qui m’a donné à penser qu’elle venait d’inventer un nouveau type de femme engagée : la blasphemen !

Le fond de l’air effraie est un spectacle à part dans l’œuvre de Sophia Aram car il est plus personnel, plus intime. Pourtant, à l’instar des deux précédents, elle parvient à nous faire souvent éclater de rire. Ses mimiques, sa gestuelle, une voix qui distille les horreurs avec douceur, ses images audacieuses, ses propos iconoclastes, son sourire enjôleur et, surtout, sa totale sincérité font qu’elle nous fait vivre une fois de plus un grand moment de drôlerie, de finesse et d’intelligence.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 7 septembre 2015

Mathieu Saïkaly "A Million Particles"


Fiction France – Polydor / Universal


Affublé du surnom de « farfadet » tout au long de son épopée « nouvellestaresque », c’est en faune interstellaire que Mathieu Saïkaly nous revient pour nous présenter son premier album, A Million Particles »…
Pour l’avoir suivi pendant l’émission et pour avoir eu le plaisir de le découvrir sur une scène champêtre à Cachan, je savais à peu près à quoi m’attendre de la part de ce jeune de 22 ans à la personnalité déjà très affirmée. Pourtant, son opus m’a quand même surpris. Difficile d’imaginer une œuvre plus personnelle. Mathieu ne ressemble à personne, tout au moins artistiquement. Physiquement, peut-être en raison du sang libanais qui coule dans ses veines, il présente une ressemblance avec Mika. Il a également en commun avec lui son goût pour la musique pop, une excellente maîtrise de la langue anglaise et un authentique cosmopolitisme. Or, dans « cosmopolitisme », il y a « cosmos ». Comme dans le titre de la deuxième chanson de son album où il l’associe au mot « cliché » en forme de clin d’œil malicieux.

Il faut écouter plusieurs fois A Million Particles pour en savourer toute sa richesse et toutes ses subtilités. Les qualificatifs qui s’imposent pour le décrire sont sobre, aérien, élégant… Mathieu Saïkaly est un rêveur lucide. Il s’auto-flagelle d’ailleurs carrément en évoquant ses « conneries de romantique ». Romantique, il l’est certes, et il l’assume, mais il est capable d’observations quasi cliniques alors qu’il devrait se trouver en plein lâcher prise amoureux comme dans Poison (Berce du Caucase). Il veut bien planer, mais tout en gardant le contrôle de sa dérive…


J’ai lu dans quelques articles à son propos revenir fréquemment le terme « fragile » pour le définir. Mais quand on lit attentivement les textes de ses chansons, je suis convaincu qu’il est loin de l’être. Qu’il soit sensible et doux, c’est indéniable ; ça ne le rend pas vulnérable pour autant. Dans Canvas, on le sent même un tantinet compliqué, et dans Je t’ai cherchée, il est carrément obsessionnel. On peut même se demander s’il n’est pas fasciné par les parts d’ombre ; les siennes et celles des autres. De même, quand il se projette Dans l’espace, on sent paradoxalement poindre une sensation d’enfermement, un vague sentiment d’insatisfaction. Difficile de trouver sa place quand il y en a trop ? Bizarre… Il nourrit même une certaine méfiance vis-à-vis de l’amour. Apparemment, c’est pour lui un jeu de hasard, la conséquence d’un coup de dés (From Glass To Ice). Ce qui n’interdit pas, au contraire, de tendres moments de partage et de fraîcheur quand il le vit comme dans le superbe duo Dans l’ombre de mes pupilles qui se présente ; selon moi, comme la suite enchanteresse de Pour Bubz.

Visiblement, l’écriture et la réalisation de son premier album n’ont souffert d’aucune concession. A Million Particles est 100% « Saïkalytatif ». Avec son grand sourire angélique, il nous invite dans son univers à la douceur communicative. Il y imprime sa marque, son identité, son sceau. Son truc à lui, c’est tout simplement guitare sèche et voix. Bien sûr, tout en s’en tenant au plus grand dépouillement, il ajoute ce qu’il faut de vaporeux et de céleste en saupoudrant un peu de cordes et de chœurs par ci, par là… L’écriture est soignée, imprégnée d’une recherche évidente de jolies sonorités.
En conclusion, A Million Particles est un album très personnel, original, envoûtant. Je pense qu’il prendra toute son intensité lorsque Mathieu Saïkaly le présentera sur scène. Son espace à lui, c’est là qu’il se tient, c’est là qu’il va prendre son envol et sa réalité. Car il est incontestablement déjà un artiste à part, à particules. A particules mystérieuses et féériques.


Mathieu Saïkaly se produira au Café de la Danse le 5 octobre.

Olivier Villa


Samedi, j’ai assisté à l’Olympia au spectacle célébrant les quinze ans de scène d’Olivier Villa… Je dois reconnaître avoir passé une excellente soirée. Pour avoir écouté ses albums, je savais Olivier doté d’une très belle voix et qu’il était un bon auteur doublé d’un mélodiste de grand talent. J’ai découvert hier un artiste complet qui occupe la scène avec une aisance et naturel.
Avec ses nombreux invités, ce spectacle prenait parfois des allures d’auberge espagnole. Il y avait un côté artisanal et amateur (dans le sens noble du terme) qui apportait le charme supplémentaire de l’imprévu. Pour que cet anniversaire soit à ses yeux réussi, Olivier Villa, non content d’interpréter une vingtaine de ses chansons, avait tenu à partager SA scène avec des gens qui avaient compté pour lui durant ses quinze années de pérégrinations. Visiblement le garçon a du cœur. Il a géré tout ce petit monde hétéroclite avec humour, gentillesse et beaucoup de chaleur humaine.
Nous avons ainsi pu voir à ses côtés des individus pour le moins pittoresques, voire caricaturaux, mais sincèrement habités par les chanteurs dont ils reprennent le répertoire. En même temps, nous avons vécu quelques authentiques moments de grâce comme la prestation d’Alexandre Chassagnac, un ancien caporal-chef de l’armée française bardé de décorations venu chanter en uniforme un air d’opéra. Sa facilité à passer du grave aux aigus a tellement subjugué la salle qu’il a eu droit à une standing ovation spontanée… Jolies prestations également de Richard Sanderson (Reality), de Jean-Jacques Lafon (Le Géant de papier), de Mario Hoffman et son jazz manouche et du groupe Wazoo pour son énergie festive…


Olivier Villa mérite vraiment qu’on se déplace pour aller le voir et l’écouter. C’est un vrai passionné de chanson française. Il voue respect et admiration à tous ceux qui lui ont donné l’envie de faire ce métier, les Brassens, Gainsbourg, Montand, Lama, Dassin, Delpech… En cela, il ressemble beaucoup à son père, Patrick Sébastien. Il lui ressemble également pour son sens de la convivialité et de l’amitié, son goût pour la fête, son langage parfois cru. Et il lui ressemble aussi de plus en plus physiquement (mimiques, attitudes, sourire, tics…)
Olivier Villa est un homme de scène, dynamique, partageur et généreux. Mais c’est aussi un garçon hypersensible qui aborde dans ses chansons des sujets délicats (la vieillesse, l’adultère), tendres (ses racines, sa grand-mère). Il sait trouver les mots qui touchent sans la moindre mièvrerie.
Enfin, il ne faut pas se voiler la face : faire l’Olympia est plus pour lui une occasion symbolique de faire la fête et de remercier ses compagnons de route et ses fans (et il en a !) que la concrétisation d’un quelconque plan de carrière. Il eût sans doute préféré que le célèbre music-hall parisien soit implanté sur ses terres de Juillac, en Corrèze. Là, il se serait vraiment senti chez lui. Comme il le chante lui-même, Olivier Villa est Hors cadre. En clair, il n’a pas le ticket (et ne le désire visiblement pas) qui vous accrédite pour faire partie du petit monde du showbiz parisien. Il est un chanteur de villages. Ses grosses limousines ne dorment pas dans le garage d’un confortable loft, elles s’ébattent dans les prairies qui bordent sa chère Dordogne…
Bref, Olivier Villa est un artiste, un vrai, un pur, un authentique.


Gilbert « Critikator » Jouin