samedi 10 octobre 2015

Fleur de cactus

Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Barillet et Grédy
Mise en scène par Michel Fau
Décors de Bernard Fau
Costumes de David Bélugou
Lumières de Joël Fabing
Maquillages de Pascale Fau
Avec Catherine Frot (Stéphane), Michel Fau (Julien), Cyrille Eldin (Norbert), Mathilde Bisson (Antonia), Wallerand Denormandie (Igor), Marie-Hélène Lentini(madame Durand-Bénéchol), Frédéric Imberty (monsieur Cochet), Audrey Langle (le Printemps de Boticelli)

Présentation : Mentir à sa maîtresse n’est pas toujours une bonne idée. Surtout quand elle décide de rencontrer votre ex-femme imaginaire pour mettre les choses au clair. Heureusement, Julien a une assistante dentaire dévouée… malheureusement, elle est amoureuse de lui et très susceptible !

Mon avis : Cinquante après sa création en 1964, Fleur de cactus vient s’épanouir de nouveau, au théâtre Antoine cette fois.
Après avoir eu l’agréable surprise d’entendre frapper les trois coups à l’ancienne, nous sommes immédiatement replongés dans ces années soixante si pleines de couleurs flashy et chargées d’insouciance. Les décors, qui glissent, montent et descendent, nous emmènent successivement dans la chambrette mansardée d’Antonia, dans la boutique où elle vend des disques vinyles, dans le cabinet de Julien, dentiste de son état, et dans une boîte de nuit. Il n’y a rien de superflu, tout est conçu pour nous faire profiter au maximum des comédiens et de leurs chassés-croisés. Il faut également souligner la beauté audacieuse des costumes (les ensembles extravagants très « courrégiens » de madame Durand-Bénéchol et les vestes aux tons criards de Norbert, par exemple).


Lorsque le rideau se baisse à la fin, quand le moment est venu de réfléchir à ce que l’on va pouvoir rapporter de cette pièce, lorsqu’on essaie de synthétiser à chaud nos sensations, on se sent un peu divisé… Evidemment, il y a beaucoup plus de fleurs que d’épines de cactus à adresser.
Au départ, j’ai été quelque peu déstabilisé par le ton récitatif et les postures caricaturales des comédiens. Et puis, soudain, j’ai réalisé que Michel Fau avait sans doute voulu nous offrir une parodie de pièce de boulevard avec un double niveau de lecture. A partir du moment où j’ai accepté ce parti pris, je n’ai fait que prendre du plaisir. En effet, si on ne s’en tient strictement qu’au premier degré, on se sent un peu désarçonné par cette façon de jouer. C’est comme un morceau de musique qui sonnerait légèrement faux et auquel on s’habituerait peu à peu. Ensuite, si on adhère au postulat de Michel Fau, on se délecte au contraire de rentre dans le jeu volontairement outré des acteurs. C’est tellement bien fait que ça nous paraît progressivement normal.

En revanche, et je pense que c’est là aussi une volonté du metteur en scène, Catherine Frot est la seule à jouer avec naturel. Pour reprendre la métaphore musicale, c’est comme si nous avions une soliste qui jouait juste entourée de musiciens qui sur-jouent une autre partition. L’effet, très risqué, est pourtant étonnant. Je crois que Michel Fau a tout fait pour que sa mademoiselle Vigneau recueille tous les suffrages. C’est qu’il la connaît bien désormais. Leur expérience commune précédente dans Marguerite, leur a permis d’acquérir une formidable complicité. Lorsqu’il possède un stradivarius entre les mains, Michel Fau ne se prive pas d’en tirer le meilleur. Phonétiquement, entre Frot et Fau, il n’y a qu’un « r » de différence, un air de famille…


Pour moi, Fleur de cactus est un immense jeu de Lego ; chaque pièce qui s’emboîte à la précédente est un nouveau mensonge. Si bien que l’édifice ainsi érigé monte très haut mais, affreusement branlant, il risque de d’écrouler à tout moment. Or, et c’est là tout le talent de Barillet et Grédy, les auteurs, la pyramide ne s’effondrera il que lorsque Stéphane l’aura décidé, suivie de peu par un Julien aux yeux et au cœur enfin décillés.

Ce vaudeville, comprenant moult répliques absolument savoureuses et qui va crescendo, est fort bien écrit. Il frise même le surréalisme car ses protagonistes sont amenés à croire en un avatar qu’ils ont eux-mêmes engendré !... Il est emmené par un superbe trio : Frot (Stéphane)-Fau (Julien)-Bisson (Antonia). Catherine Frot a hérité du beau rôle car son personnage va être en constante évolution. Ou, comment la secrétaire stricte et austère va d’abord vivre son fantasme comme s’il était la réalité avant de se métamorphoser en séductrice sûre d’elle-même… Michel Fau, en piégeur-piégé s’amuse visiblement comme un petit fou en prenant des poses théâtrales dignes du cinéma muet. Quant à Mathilde Bisson, avec son physique et ses tenues de starlette des années 60, mini-jupe et chignon choucrouté, elle est tout simplement épatante. Alors qu’elle nous apparaît au départ comme une nunuche un tantinet évaporée, on s’aperçoit au fil de l’intrigue que c’est une très saine et belle personne, avide de vérité et au comportement d’une droiture exemplaire.


Il y a dans cette pièce deux scènes particulièrement réussies : le tête-à-tête entre Stéphane et Julien dans leur cabinet au cours duquel ils se disent vraiment les choses à fleurets mouchetés (Julien évoquant entre autres « la peur de vivre » de Stéphane), ou l’art pour un faux ménage de se faire une vraie scène… Et puis, il y a vers la fin ce bel échange plein de respect et d’humanité entre Stéphane et Antonia.
Au côté de ce magnifique trio, chacun se met au diapason. Cyrille Edlin s’éclate en interprétant un véritable mufle, un grossier personnage dénué de tout scrupule, mais qui se laisse toutefois mener par le bout du nez par sa compagne au caractère bien trempé (Audrey Langle)… Wallerand Denormandie joue à la perfection un bellâtre dépressif aux antipodes de l’évident pouvoir de séduction qu’il dégage… Chacune des apparitions de Marie-Hélène Lentini est à se tordre de rire… Et Frédéric Imberty joue les victimes expiatoires avec un enthousiasme convaincant.


Gilbert « Critikator » Jouin

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