jeudi 28 janvier 2016

Le Fusible

Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Septembre / Pyramides / Opéra

Une comédie de Sylvain Meyniac
Mise en scène par Arthur Jugnot
Décor de Juliette Azzopardi
Lumières de Thomas Rizzzotti
Costumes de Pauline Gallot
Musique de Sylvain Meyniac
Avec Stéphane Plaza (Paul Achard), Arnaud Gidoin (Michel Deviné), Philippe Dusseau (François Cordel), Gaëlle Gauthier (Valérie Nicolas), Juliette Meyniac (Valérie Achard), Irina Ninova (Ilona Vianova)

L’histoire : Paul, un homme d’affaire de 45 ans, est à la veille de vendre sa société, de quitter sa femme, et de changer de vie… Pour organiser son projet, il s’est confié à Michel, son ami dévoué, naïf et gaffeur… Mais ce soir là, avant ce jour fatidique, tout bascule ! Contre toute attente, Paul perd la mémoire…

Mon avis : J’avais été emballé par Hier est un autre jour, la précédente pièce de Sylvain Meyniac, j’étais donc très curieux de découvrir sa nouvelle œuvre. Et bien j’avoue que je n’ai pas été déçu.
Impossible de ne pas rire devant les mésaventures abracadabrantesques de Paul Achard. En effet, dans Le Fusible, toutes les formes d’expression du rire sont exploitées. Il y a du rire fin, du gros rire, du gloussement, de l’éclat, du rire perlé, du rire en cascade, du fou-rire, du sourire. Sans cesse sollicités, nos zygomatiques ne connaissent aucun répit.

L’histoire est toute simple, bien plus limpide que celle de Hier est un autre jour. Cette fois, on n’a aucun effort intellectuel à fournir, on n’a qu’à se laisser emporter par cette avalanche de gags, de quiproquos, de situations exacerbées et saugrenues. Il y a dans cette pièce toute la quintessence du vaudeville : ça court, ça saute, ça chute, ça crie, les fours explosent, les portes claquent, les claques portent, les portables sonnent, ça se déchire, ça s’embrasse… Il n’y a pas un seul temps mort.
Nous sommes à fond dans la gaudriole, c’est totalement assumé, mais il y a dans cette pièce une bonne intrigue, un vrai suspense et d’excellents dialogues. Et puis, il y a surtout un sextette de comédiens absolument irréprochables. J’emploie le mot « sextette » intentionnellement, car il règne sur la scène des Bouffes Parisiens cet esprit choral qui réside dans toute formation musicale. Et qui dit formation musicale dit chef d’orchestre. Il faut insister sur le travail à la mise en scène d’Arthur Jugnot. La partition du Fusible est truffée de trouvailles, d’effets inattendus, de cascades, de passages cartoonesques. Il a su faire sortir le meilleur de chacun des personnages avec une efficacité impressionnante. On peine à imaginer le travail accompli lors des répétitions pour obtenir un tel résultat.


Chaque comédien est impeccable. Il y a deux solistes, deux virtuoses tout aussi différents qu’indissociables. Je n’avais pas encore vu Stéphane Plaza au théâtre. Et bien, je prédis à ce garçon une formidable carrière. Il a tout pour lui. Avec sa bouille de Pierrot lunaire, ses grands yeux étonnés et rieurs, il est naturellement drôle. Il n’a pas à se forcer, ce don est inné. Il a le sens de l’attitude et de l’effet comiques. Il possède simplement ce que recherche toute personne qui a à se produire sur une scène : une présence et du charisme.
A ses côtés, la performance d’Arnaud Gidoin est proprement époustouflante. Quelle science et quelle maîtrise ! Son moindre geste, sa moindre mimique sont mises au service de l’effet le plus désopilant. C’est un vrai gugusse dans le sens noble du terme, le mètre étalon de l’étourdi. Quelles que soient les extrémités où l’entraîne son personnage, son jeu reste fin, si fin qu’il m’a fait souvent penser au François Pignon du Dîner de cons : brave, naïf, gaffeur… Le tandem qu’il forme avec Stéphane Plaza fonctionne admirablement tant ils sont complices et complémentaires. C’est une idée magistrale que de les avoir réunis.


Ils sont tous deux remarquablement entourés. Si leurs quatre partenaires ne se lâchaient pas autant dans le jeu, s’ils n’étaient pas aussi généreux et investis, le courant passerait beaucoup moins bien dans ce Fusible. Les trois femmes son en tous points épatantes. Ce sont, chacune à sa manière, trois femmes fortes.
Gaëlle Gauthier (Valérie 2), est sensuelle et aguicheuse en diable. Amorale, vénale, autoritaire, c’est une amazone moderne qui utilise ses atouts, et particulièrement son pouvoir de séduction, pour parvenir à ses fins (et à ses faims)… Juliette Meyniac (Valérie 1) est tout-à-fait crédible dans le rôle de l’épouse bafouée. Elle lui apporte de l’énergie et de la fougue, de la malice aussi. C’est vraie une battante… Irina Ninova joue à la perfection les femmes mystérieuses et inquiétantes. Sa dangerosité est palpable. Sa froideur et son impassibilité sont dignes d’une espionne de l’Est dans un James Bond…
Et puis il y a Philippe Dusseau, le docteur Cordel. Farfelu, truculent, égrillard, lui aussi possède un art consommé de la facétie. Il apporte un grain de folie supplémentaire dans une pièce qui, pourtant, est déjà dans ce domaine à un paroxysme.


En fait, le titre de cette pièce est erroné. Il n’y a pas de Fusible. Ou, s’il y en a un, il est grillé dès les premières minutes et les plombs sautent tous les uns après les autres. L’électricité est dans l’air ; d’alternatif, le rire passe en continu.
Il faut toutefois reconnaître qu’il y a deux ou trois saynètes où les artifices sont un peu faciles, qu’il il y a parfois entre les trois hommes une petite ambiance cour de récré, mais c’est vraiment bénin. De toute façon, plus c’est gros, et plus on rit ! On n’y peut rien, inutile d’essayer de le réfréner, ce rire est trop spontané, presque enfantin.

Une fois n’est pas coutume, je termine cette critique par le début. Un début qui mérite une mention spéciale tant il est original, ingénieux et rare. Le monologue liminaire de Paul Achard (Stéphane Plaza) sert à la fois à nous présenter tous les protagonistes du terrible drame qui va se dérouler sous nos yeux ébahis et d’expliquer la situation à l’instant « T » où la pièce va réellement démarrer.
Une chose est sûre, Le Fusible va connaître un immense et mérité succès populaire. En dépit de l’accident domestique qui est la cause de tous les problèmes de Paul et de son entourage, cette pièce est destinée à être tout le contraire d’un four…


Gilbert « Critikator » Jouin

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