mercredi 13 janvier 2016

Pygmalion

Théâtre 14
20, avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Tel : 01 45 45 49 77

Une pièce de Bernard Shaw
Traduite et adaptée par Stéphane Laporte
Mise en scène de Ned Grujic
Décor de Danièle Rozier
Costumes de Virginie Houdinière
Lumières d’Antonio De Carvalho
Musiques de Raphaël Sanchez
Avec Lorie Pester (Eliza Doolittle), Sonia Vollereaux (Mrs Higgins), Benjamin Egner (Mr Higgins), Jean-Marie Lecoq (Doolittle), Philippe Colin (Pickering), Claire Mirande (Mrs Pearce), Emmanuel Suarez (Freddy), Cécile Beaudoux (Clara Eynsford)

Présentation : Pygmalion représente le théâtre anglais dans toute sa splendeur : on s’émeut, on rit, on s’insurge devant l’histoire d’Eliza Doolittle, petite vendeuse de bonbons, que prend sous son aile le professeur Higgins. Parviendra-t-il, comme il le prétend, à la faire passer pour une lady ?
Si ces personnages vous semblent familiers, c’est que My Fair Lady les a repris avec succès.

Mon avis : L’histoire du Pygmalion de Bernard Shaw, nous la connaissons tous ; ne serait-ce qu’à travers son adaptation cinématographique par George Cukor, en 1964, avec l’inoubliable Audrey Hepburn. Même le nom de son héroïne, Eliza Doolittle, est gravé dans la mémoire collective.
C’est dire la hauteur du challenge que Lorie Pester s’était mis sur ses charmantes épaules pour ses tout premiers pas au théâtre. Lorie… On connaît la chanteuse à succès, on l’a vue dans quelques téléfilms, elle est la voix de la Fée Clochette, mais le théâtre exige une autre discipline. On ne peut pas y rectifier une fausse note ou recommencer une scène. Il faut être bon et juste tout le temps.


Et bien, je peux affirmer que Lorie a bigrement bien relevé le défi… Le rôle d’Eliza n’est pas évident car il est en constante évolution. Tant sur le plan psychologique que physique. Nous assistons en effet pendant deux heures à la totale transformation d’une jeune fille. Sous la houlette impitoyable de son « pygmalion », la petite chrysalide mal fagotée, mal coiffée, au redoutable accent cockney et au vocabulaire peu châtié (je lui ai parfois trouvé un petit côté Zézette du Père Noël est une ordure) va progressivement se métamorphoser en un magnifique papillon. Ou l’art de passer du caniveau londonien aux salons de la high society.
Lorie a un talent inné pour la comédie. Elle possède un sens naturel de la drôlerie. Tout à fait crédible dans les deux personnages, elle réussit à nous communiquer l’état de ses sentiments. Mimiques facétieuses, cris, postures disgracieuses, réflexions effrontées, indignations populacières… puis élégance, maintien princier, déférence, politesse convenue, révolte contenue… Elle accomplit un sans-faute.


Lorie a parfaitement fait le Shaw, mais elle était remarquablement entourée pour y parvenir. La distribution est en effet impeccable.
Benjamin Egner, dans le rôle du Professeur Higgins est véritablement impressionnant de maîtrise. Pédant, sûr de lui, provocateur, cynique, égocentré, il est sans nuances, à fond dans son personnage. Il est particulièrement bien servi par sa voix, mâle à souhait, et sa façon originale de se mouvoir sur scène… Philippe Colin incarne un Pickering à double facette. Son immense fortune lui permet de faire de sa vie un jeu, de lancer un pari, d’en financer toutes les contraintes matérielles. Il a une forme de snobisme de caste qui lui permet de jouer les observateurs un peu froids. Et puis, vers la fin, il fend soudain l’armure et dévoile une profonde humanité qui le rend vraiment attachant.
Claire Mirande campe une Mrs Pearce à la fois autoritaire, drôle, sensible et tout à fait sympathique… Emmanuel Suarez est touchant dans son rôle de Freddy un peu lunaire, tendre et enamouré… Cécile Beaudoux est très amusante dans le personnage de Clara-la-pimbêche.

Et puis il faut également mettre en exergue les savoureuses prestations de Sonia Vollereaux, dans le rôle de Mrs Higgins, et de Jean-Marie Lecoq, dans celui de Doolittle. Ils sont tous les deux d’une formidable drôlerie. Elle en maman-à-qui-on-ne-la-fait-pas, lucide tout en étant distanciée, compréhensive et positive ; et lui plein de truculence, roublard, grande gueule, mais qui révèle toute sa fragilité lorsqu’il est frappé par l’opulence. Deux superbes rôles !


Ma seule réserve devant ce nouveau Pygmalion, ce sont quelques longueurs. Par exemple l’irruption de Doolittle dans le salon d’Higgins, en dépit du jeu irréprochable des comédiens, tourne un peu en rond… La scène de la séance de cinéma entre Eliza et Freddy, pour charmante et agréable à regarder qu’elle soit est, pour ce qui me concerne, superflue. J’ai bien compris que c’était une ellipse pour placer un numéro de chant et de danse, mais elle alourdit le fil de l’intrigue… Adaptateur brillant (Le Roi Lion, Grease, Un violon sur le toit…), Stéphane Laporte a succombé à un compréhensible pêché de gourmandise d’auteur, libéré qu’il était de son habituel carcan d’un livret à respecter.

A mon avis, avec un quart d’heure de moins, ce Pygmalion serait parfait. Quoi qu’il en soit, c’est un très bon spectacle, servi par de formidables comédiens et qui aura au moins le privilège de révéler en Lorie Perster. J’espère que de nombreux producteurs et réalisateurs iront la découvrir. Ils vont être surpris par le potentiel de la jeune femme.
Bravo. Il fallait le Fair, Lady Lorie !

Gilbert « Critikator » Jouin

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