vendredi 29 avril 2016

Divorce au scalpel

Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse

Une comédie de Frédérique Fall et Alain Etévé
Mise en scène par Jean-Philippe Azéma
Décors de Mathieu Lorry-Dupuy
Costumes de Pauline Yaoua-Zurini
Lumières d’André Diot
Avec Pierre Khorsand (Aurélien), Laurence Oltuski (Oriane), Karine Lyachenko (Karen), Hélène Derégnier (Mathilde, la mère d’Oriane), Loïc Blanco (Thomas)

L’histoire : Oriane et Aurélien ont divorcé il y a trois mois, mais n’ayant pas les moyens de se reloger séparément, ils vivent toujours sous le même toit et n’ont rien osé dire à personne…
Alors, Quand la belle-mère déboule chez eux pour fêter leurs 15 ans de mariage, les voilà embarqués dans un petit jeu pas très sain. Si l’on y ajoute une ex machiavélique et un psy à mocassins à glands, on obtient une comédie 2.0 férocement drôle.

Mon avis : J’ai vécu cette pièce avec des sentiments partagés… D’abord, je trouve le postulat de départ imparable. L’idée de mettre en scène un couple fraîchement divorcé devant continuer à partager le même appartement faute de moyens financiers est d’une force dramatique indéniable. Une telle cohabitation ne peut que générer des situations extrêmes. En effet, les sentiments oscillant entre attirance et répulsion produisent des relations conflictuelles qui sont du pain bénit pour une comédie.
Basé sur ce contexte ô combien explosif, le pitch de Divorce au scalpel était donc particulièrement alléchant.


En fait, j’ai découvert une pièce scindée en deux. Dans la première demi-heure, j’ai eu vaguement l’impression que le fameux scalpel tenait plus d’un couteau émoussé qu’à un instrument chirurgical extrêmement acéré et qu’il était tenu par un interne, certes plein de promesses, mais néophyte… Et puis, soudain, la magie a opéré. Le niveau de plaisir s’est considérablement élevé. Comme si un éminent praticien avait succédé au novice. Les dialogues sont devenus plus incisifs, les scènes plus rythmées, la mise en scène plus pointue, nous tenant agréablement en « alène » jusqu’à son terme.

Bien sûr la première demi-heure est utile et nécessaire pour mettre en place les différents intervenants et définir les grandes lignes des différents caractères. Oriane est dominatrice, entière, directe, elle a son franc-parler, bref, elle a un sacré tempérament… Aurélien, et bien, c’est un homme ! Il est un peu lâche, un peu roublard, profiteur et, évidemment, puéril… Mathilde, la maman d’Oriane, est une grande bourge égoïste, curieuse, évaporée, cynique, assez destroy… Karen est sensuelle, enjôleuse, maline, mais aussi un peu paumée… Et Thomas, c’est lui aussi une autre forme d’homme : opportuniste, narcissique, pusillanime et prétentieux.


Avec de tels ingrédients psychologiques, la mayonnaise ne peut que prendre. Dans la première demi-heure, certaines situations nous semblent quelque peu outrées, comme l’attitude un tantinet caricaturale de Mathilde, ou parfois même un peu tirées par les cheveux, comme la prétexte permettant à Karen resurgit dans la vie d’Aurélien. En dépit de quelques bonnes répliques, on reste dans une relative banalité. On sourit ça et là, mais on ne rit pas franchement.
Et puis, survient ce fameux déclic. D’un seul coup. Les tableaux prennent de la consistance, les dialogues, mieux écrits, se font vifs, les rires se mettent à fuser. On se régale. La relation mère-fille devenant plus humaine, est réellement intéressante. L’opposition Oriane/Karen s’exacerbe enfin. Lorsqu’elles se mettent à jouer les vachardes entre elles, c’est tout simplement jouissif. Le texte qu’a à interpréter Thomas se fait brillantissime parce que son écriture est tout à fait originale, intelligente, nourrie de termes qui n’appartiennent qu’à lui. Et la mise en scène se fait créative avec utilisation pertinente de jeux de lumières et d’arrêts sur image pendant que l’action se prolonge sur une autre partie de la scène. L’effet est très réussi.


Au final, J’ai plutôt apprécié ce Divorce au scalpel. Les comédiens sont tous épatants. J’ai aimé l’abattage et la belle énergie de Laurence Oltuski, le jeu fin, précis, naturellement comique de Pierre Khorsand ; Karine Lyachenko nous propose une composition véritablement jubilatoire. Elle campe à ravir une vamp façon Marilyn avec la voix ensorceleuse et sirupeuse de Fanny Ardant et poses aguichantes à la Betty Boop ; Hélène Derègnier doit beaucoup s’amuser avec son personnage haut en couleurs, complètement déjanté, à la limite de l’odieux ; quant à Loïc Blanco, il incarne Thomas avec un sérieux imperturbable, ce qui lui donne une crédibilité ; si bien qu’en dépit de sa mauvaise foi bien masculine et sa suffisance, on le trouve quand même attachant parce qu’on le sent en réalité très fragile.
L’opération à cœurs ouverts et sans anesthésie (heureusement pour nous) est finalement réussie. Avec quelques retouches au niveau du rythme, de la cohérence et des dialogues dans sa première partie, on peut lui pronostiquer une très belle santé et un vrai succès.


Gilbert « Critikator » Jouin

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