samedi 11 juin 2016

Christophe Maé "L'Attrape-Rêves"

Warner Music


Christophe Maé a acquis aujourd’hui la sagesse d’un vieil indien. Il sait désormais donner du temps au temps. Pour ce nouvel album studio – son quatrième -, il a su se poser ; il a travaillé comme un artisan, dans son studio d’enregistrement. Cette fois, ses voyages, il ne les a pas réalisés physiquement. Il les a accomplis à l’intérieur de lui-même et il a découvert d’autres richesses, plus personnelles, plus intimes. L’Attrape-Rêves est le fruit de cette intense introspection. Il est le résultat d’un travail à quatre mains et à deux têtes : Christophe et Paul Ecole, un auteur ayant déjà collaboré avec Oxmo Puccino et Calogero.
Il est arrivé par le passé que l’on raille un tantinet Christophe Maé pour la simplicité de ses textes. Or, dans L’Attrape-Rêves, la première chose que j’ai remarquée, c’est la qualité des paroles. J’y reviendrai.

Même en restant au cœur de Paris dans le quartier du Marais, Christophe Maé a le roots rock dans les veines. Lui, ses rêves, c’est avec un arc qu’il essaie de les attraper. Il n’y parvient pas toujours, mais il y en a certains qu’il a atteints en plein cœur. De cœur, donc d’amour, il en est d’ailleurs beaucoup question dans cet album. L’amour pour sa compagne explose dans Ballerine, celui qu’il ressent pour ses enfants est évoqué dans L’Attrape-Rêves et dans Marcel, et son affection pour ses potes est affichée dans Les amis.
Dans cet album, Christophe sort de sa réserve pour jouer à l’indien. Sur la pochette du CD, son nom est transpercé d’une flèche ; sa galette est couverte de plumes. Et dans quelques chansons, les allusions abondent (L’Attrape-Rêves, Californie, La Vallée des larmes). La sagesse évoquée plus haut lui est venue avec la quarantaine (40 ans demain). Il est dorénavant plus enclin à fumer le calumet de la paix dans son tipi du Sud de la France que de partir sur le sentier de la guerre. Ou alors, il s’agirait plutôt de la tendre guerre avec Nadège, sa squaw (Ballerine).


L’Attrape-Rêves est donc un album très personnel. Musicalement et vocalement, il est totalement homogène. La voix et l’univers de Christophe Maé n’appartiennent qu’à lui. Il ne ressemble à aucun autre artiste dans la chanson française. C’est là sa grande force et son originalité. Sa grande sincérité lui permet de ne jamais être dans la posture, et encore moins dans l’imposture. Christophe est un homme vrai. Il a suffisamment galéré avant de connaître ce succès phénoménal pour ne pas savoir la valeur des choses, leur essentialité. Cette authenticité transpire tout au long des textes des dix chansons de ce nouvel opus.

1/ L’Attrape-Rêves.
La seule chanson écrite par Boris Bergman. Mais elle préfigure de la suite. Christophe invoque le Grand Manitou pour lui demander surtout de bien protéger ses papooses. De cette incantation scandée avec une certaine véhémence il se dégage une profonde humanité. Elle contient aussi un message important : il faut viser des rêves, essayer de les réaliser et, lorsqu’on les a réalisés, on réalise sa vie en même temps.
2/ La Parisienne.
Sur un ton saccadé et amusé, il ironise sur un certain type de provinciale jouant à la « Parisienne » d’aujourd’hui. Du haut de ses 40 piges, avec sa « ganache d’Apache », il se sent un peu largué et dépassé, tant sur le vocabulaire que sur le mode de vie. Reflet d’une époque, le portrait, volontairement caricatural, est truffé de clins d’œil. Il prête certes à sourire mais il est également empreint de bienveillance.
3/ Californie.
Enorme travail sur les sons sur cette chanson qui est un véritable dépliant touristique, une succession de cartes postales sur une Californie idéalisée. Là aussi le tempo est haché. Parfois j’y ai trouvé des intonations à la Bashung. Le texte est tellement ciselé qu’on a l’impression d’entendre des onomatopées. Quel rythme.
4/ Il est où le bonheur.
Ne serait-ce que pour cette chanson, cet album mérite qu’on l’achète. La première fois que je l’ai entendue à la radio, je l’ai reçue en pleine tête. C’est un tube, un vrai bijou ! D’autant que le texte est loin d’être anodin. D’abord, il est autobiographique. D’où son interprétation extrêmement habitée et convaincante. L’interrogation est permanente, obsédante. Sa recherche, personnelle, devient la nôtre. Il passe de l’intime à l’universel. A cette question existentielle, il apporte une réponse fataliste : « On fait comme on peut »…
5/ Les amis.
Cette chanson est de la même veine que La Parisienne. Regard critique et là aussi chargé d’ironie sur les attitudes, les comportements affectés d’individus qui se la jouent, qui prennent des airs et se construisent des personnages qui ne sont pas eux-mêmes. C’est pittoresque, imagé et… tellement vrai, tellement bien observé. Et, tout comme dans La Parisienne, entre les lignes on perçoit une réelle indulgence car « on les aime quand même ».


6/Marcel.
Chanson-hommage au fiston. Christophe se livre. Il raconte sa façon d’être avec lui et s’avoue aussi « gamin » que lui. Dans sa voix, chargée de tendresse, on perçoit une incitation au jeu, à le faire durer le plus longtemps possible le temps de l’innocence. Des conseils tout simples qui font la part belle à la notion de plaisir.
7/ Lampedusa.
Cette chanson est un véritable tour de force en ce sens que, pour évoquer ce drame humanitaire qu’est l’émigration, il s’est mis carrément dans la peau et dans la tête d’un migrant. Façon habile pour marquer son soutien à ces déracinés, à ces victimes involontaires de la folie des hommes. Cette aventure que son héros vit en solitaire est la plus réaliste des formes de « l’attrape-rêves ». Jamais larmoyante, jamais misérabiliste, cette chanson est surtout pleine d’espoir, d’amour, de courage et de dignité. Or, après d’être muée en gospel, elle se termine brutalement en un cri de désespoir. Traitement réussi d’un sujet délicat.
8/ La Vallée des larmes.
Joli exercice de style. Abondance de jeux de mots autour de la culture indienne. Elle m’a fait penser au Cow-boy d’Aubervilliers. Sa « vallée de larmes » à lui se trouve du côté de la Plaine Saint-Denis. Clin d’œil à Johnny et à Eddy. Cette chanson est une de mes préférées car elle est à la fois amusante et réaaliste. C’est toujours bien plus efficace de dire les choses sous le biais de l’humour.
9/ 40 ans demain.
Coup d’œil dans le rétro pour faire le point sur « une vie à moitié pleine ». Analyse d’un parcours, souvenirs, dualité entre l’enfant qu’il a été et l’homme qu’il essaie d’être. Aveu d’incertitude et d’angoisse. Même s’il s’estime globalement satisfait du bilan, il reconnaît ne pas avoir appris grand-chose.
10/ Ballerine.

Superbe déclaration d’amour pleine de pudeur et de sensibilité. Une émouvante invitation au mariage émise avec respect et déférence, saupoudrée de belles images. Cette chanson est la plus belle conclusion de l’album car, si la dame dit « oui » à son troubadour, le plus beau de ses rêves sera « attrapé ».

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