lundi 25 juillet 2016

Cécile Giroud & Yann Stotz "Classe !"

L’Alhambra
21, rue Yves Toudic
75019 Paris
Tel : 01 40 20 40 25
Métro : République / Jacques Bonsergent

Du 27 juillet au 15 janvier 2017
Du jeudi au dimanche à 19 h

Spectacle de et avec Cécile Giroud et Yann Stotz
Lumières de Jacques Rouveurollis
Décors d’Yves Valente

Présentation : D’un côté, il y a Yann Stotz, véritable homme élastique affublé d’une voix de crooner et d’un sens inné de l’autodérision… De l’autre, gambade la pétaradante qui taquine du piano aussi bien qu’elle chante.
Le mot d’ordre de leur pétulant spectacle est « classe » ; mais soyons honnêtes, cette élégante devise n’est franchement pas respectée : entre un discours présidentiel truffé d’impertinences, une pléiade de sketches aussi tordus qu’irrévérencieux et un tourbillon de chanteurs imités avec une succulente dérision, on ne peut pas dire qu’avec eux le sérieux soit de mise…
Cécile et Yann se moquent de tout mis ils le font avec panache et un tel sens de la musicalité que cela rend leurs numéros définitivement réjouissants !

Mon avis : Le show (car c’en est un) exécuté (car on y meurt de rire) par Cécile Giroud et Yann Stotz est un des spectacles les plus complets qui soient. Le registre de ces deux énergumènes est si étendu et si varié qu’on a droit à quasiment toutes les disciplines que peut offrir le music-hall. Ils savent tout faire, les bougres, et même des choses qu’on ne s’attend pas à voir. Ou plutôt, on se dit : « ils ne vont quand même pas oser d’aller jusque là… », et ils y vont ! A fond, et bien au-delà de ce l’on escomptait. Alors qu’on pense être parvenu à un summum dans le rire, ils trouvent le moyen d’en rajouter encore une couche. On était plié en deux, ils nous replient en quatre, voire en huit.


Ils ont intitulé leur spectacle « Classe ! »… Je veux bien. Encore faut-il savoir dans quelle acception il faut entendre ce terme.
On pense d’abord à la distinction. C’est vrai, il y a beaucoup d’élégance dans leur tenue vestimentaire. Cécile sait parfaitement mettre en valeur son accorte silhouette dans des robes qui frisent la haute couture et Yann porte le smoking avec un naturel quasi aristocratique. Bref, ils sont chics, too chics… Le problème, c’est qu’en dépit du raffinement de leur tenue, ils vont en manquer souvent… de tenue.
En effet, avec eux, on entre dans le domaine de la « classe » tous risques. Lorsque j’affirme qu’ils osent tout, je suis dans l’euphémisme. Rien ne les rebute, rien ne leur fait peur. Profanateurs de conventions, iconoclastes de la bienséance, ils adorent franchir allègrement toutes les barrières pour aller s’essuyer les pieds sur le paillasson de la convenance. Mais ils le font avec un tel naturel que rien ne nous paraît incongru, indécent ou déplacé. On accepte tout d’eux car c’est bien fait, très, très bien fait. Et c’est aussi bien fait pour nous !


Il y a aussi le sens purement scolaire de « classe » qui pourrait convenir à leurs comportements tant ils peuvent parfois se montrer potaches. Elèves dissipés et farceurs, ils méritent néanmoins le prix d’excellence ex aequo dans la classe de chant. Dans cette discipline, ils possèdent un niveau exceptionnel. Cécile fait remarquablement honneur à sa sainte, patronne des musiciens, tant elle fait ce qu’elle veut avec sa voix et avec ses dix doigts sur les touches d’un piano. Véronique Sanson peut être aphone un jour, elle pourrait la remplacer au pied levé sans qu’on s’en aperçoive… Quant à Yann, il croone comme personne, joue avec son organe (vocal) avec une aisance qui nous fait pâmer d’aise.


« Classe ! » est un spectacle inventif, original, riche en gags et en moments de grâce. Il y a bien du talent là-dedans ! Cécile adore jouer les gourdasses, bougonner, sa vautrer dans la mauvaise volonté, tout autant que se comporter en charmeuse, en séductrice et en bonne copine… Yann est en tout point étonnant. En plus de sa voix étourdissante, il possède une gestuelle qui n’appartient qu’à lui, directement inspirée du cartoon. Il a un sens aigu du burlesque, mais toujours (on y revient) avec une classe innée.
Ils nous campent des duos improbables, qui commencent bien, puis qui dérapent insidieusement et finissent dans la cata. Leurs imitations sont confondantes de mimétisme. Ils parodient la politique, l’humanitaire, le cinéma (superbe séquence !)… Bref, un spectacle comme celui-là, argotiquement parlant, on ne peut en aucun cas en « avoir classe », au contraire, on s’y amuse du début à la fin. C’est frais, réjouissant, délicieusement grivois, complètement déjanté, mais toujours, toujours, d’une extrême qualité. Ils se sont bien trouvés ces deux là ! Je "classe" ce show tout en haut dans mon rire-parade personnel. Qu’est-ce que c’est bon de rire comme un enfant pendant une heure et demie !


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 16 juillet 2016

Amour Amor

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges

Jusqu’au 20 août

Ecrit et interprété par Isabelle Georges

Direction musicale, piano et chant : Frederik Steenbrink
Guitare, contrebasse et trompette : Edouard Pennes
Saxophones, flûte, percussions et piano : Adrien Sanchez
Arrangements : Cyrille Lehn
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Son : Yann Lemètre
Costumes : Axel Boursier
Scénographie : Nils Zachariasen

Présentation : Entourée de son complice Frederik Steenbrink et de deux musiciens « touche-à-tout » de génie, la grande Isabelle Georges revient avec Amour Amor !
Avec « trois petites notes de musique… » de Mozart à Gainsbarre et quelques « chabadabada » ils trouveront « les mots » pour dire et chanter au mieux « la chose »…
L’amour « toujours » mais, toujours, l’amour-humour !

Mon avis : Pour se rendre au Théâtre La Bruyère voir le spectacle d’Isabelle Georges, il faut descendre au métro Saint-Georges… Je n’irai pas jusqu’à la sanctifier, bien que les critiques soient unanimes pour auréoler sa prestation, mais j’ai vécu hier soir un petit moment vraiment paradisiaque.
A l’instar de ses précédents spectacles, Amour Amor va bien au-delà du simple tour de chant car la comédie y tient également une place prépondérante. Cette fois, comme dans Padam Padam, tout est dans le titre. Dans sa note d’intention, Isabelle Georges annonce la couleur : « Je suis obsédée, possédée par l’amour… Je veux le chanter sous toutes ses formes… ». Effectivement, en une heure et demie, elle se livre à une discotopsie du sentiment amoureux dans tous ses états. Du coup de foudre à la rupture, tous les thèmes et toutes les étapes y sont abordés.


Avec sa jolie frimousse, son grand sourire gourmand et son œil tour à tour malicieux, candide, coquin, émerveillé ou mélancolique, Isabelle Georges et ses trois complices musiciens nous offrent un spectacle total. La mise en scène, inventive et intelligente, est toute entière au service des chansons. Chacune donne lieu à son propre tableau, à une véritable mini-comédie. Les titres s’enchaînent, s’imbriquent, souvent sous forme de dialogue, ce qui a pour résultat de les rendre encore plus vivantes et explicites. Les trois musiciens interviennent, partenaires taquins et choristes facétieux, s’intègrent au spectacle en jouant une partition autant théâtrale que musicale. Les arrangements, délibérément jazzy, subtils, classieux, riches et variés, ajoutent à l’ambiance une légèreté et une fantaisie réjouissantes. En fait, on est en permanence dans le jeu ; dans les jeux de l’amour et du bazar. Accessoires drolatiques et inattendus, pas de danse langoureux, chaloupés ou cocasses, saynètes vaudevillesques, romantiques ou mélodramatiques, échanges et situations pittoresques, Amour Amor nous distille un grand moment de pur music-hall.

Et puis il y a Isabelle ! Elle s’implique et paie de sa personne comme jamais. Inutile de s’attarder sur la formidable étendue de ses qualités vocales, c’est un fait acquis depuis belle lurette. Dans cette sorte de comédie musicale, c’est tout autant son tempérament et ses talents de comédienne qui sont mis en valeurs. Elle joue tout et ose tout. Elle met les voiles, se dévoile, va jusqu’à faire les « Georges chaudes »… C’est troublant, audacieux, mais toujours accompagné par un parti pris d’humour qui rend tout délicieux.


Ce spectacle est également ponctué d’intermèdes surprenants comme cette reprise des truculentes Nuits d’une demoiselle, créée par Colette Renard, dans lequel Isabelle nous offre un jeu d’épaule dense, ou bien ce dialogue étincelant qu’elle échange avec son pianiste, Frederik Steenbrink, autour de ce poème galant du 18è siècle intitulé Le Mot et la Chose. Une merveille d’écriture ! On a aussi droit à quelques extraits de dialogues de films judicieusement placés.
Je me suis surpris, à un moment, à rêver qu’avec ses trois petits potes de musique, elle nous interprète de manière inversée le Alors raconte de Bécaud. C’eût pu être un joli moment de grâce et de drôlerie totalement en phase avec le thème développé dans Amour Amor puisqu’il évoque la rencontre amoureuse. Mais ce petit désir n’est qu’une minuscule gourmandise superfétatoire car, pour ce qui est de la nourriture spirituelle, ce spectacle m’a nourri au-delà de mes espérances.

En conclusion, si l’on se demande à l’issue de ce spectacle remarquablement complet, Que reste-t-il de nos amours ? Et bien, il nous reste une ribambelle de belles et bonnes chansons…


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 13 juillet 2016

Krooner on the Rocks

Théâtre du Gymnase
38, boulevard de Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Les mardis et mercredis à 20 h 00

Conçu et mis en scène par Lucy Harrison

Avec Lucy Harrison et Fabrice Banderra accompagnés au piano par Richard Poher ou Raphaël Bancou (en alternance)

L’histoire : Elle, lui, deux célibataires, opposés en tout, voisins de palier, chacun chez soi.
Inscrits sur un site de rencontre, ils décrochent un rendez-vous…
Une terrible surprise les attend : leur rendez-vous s’avère être l’un avec l’autre… Etonnant ?

Mon avis : Ce spectacle est vraiment sympa. Il fait du bien aux yeux, aux oreilles et même, au cœur… L’idée de départ est toute simple : mettre en présence deux individus diamétralement opposés. Tout sépare en effet « Tony 75 » et « Ruth 66 » (ce sont les pseudos qu’ils se sont choisis pour échanger sur un site de rencontres entre célibataires). L’astuce imaginée par Lucy Harrison, l’auteure et metteuse en scène, c’est de nous les montrer dès le départ, en parallèle, chacun dans son univers, sur une scène partagée en deux car ils sont voisins.
« Tony » vit dans un appartement tout blanc. Il joue aux échecs, boit du whisky et lit Vogue. Il est élégant, raffiné mais avec beaucoup de malice dans l’œil. Il n’a pas encore réussi à couper le cordon avec sa maman… « Ruth », elle, évolue dans un décor en rouge vif et noir. Elle boit de la vodka et lit un magazine à la gloire d’ACDC. Elle est totalement cash et libre… Il est smoking, elle est blouson de cuir… Mais le domaine où ils sont le plus en opposition, c’est la musique. Lui, c’est le crooner. Il aime Tony Bennett, Frank Sinatra, Nat King Cole et Dean Martin… Elle, elle s’inscrit dans la lignée des Janis Joplin, Dolly Parton, Tina Turner et Amy Winehouse… Bref, il est soft et elle est hard, il est bluette, elle est bluesy.


Bien sûr, ils ne se supportent pas. C’est vrai qu’ils n’ont rien en commun. Les voir évoluer chez eux ne fait qu’amplifier leur antagonisme. Et ça nous amuse énormément. Lucy Harrison est impressionnante en tout. Elle porte des tenues pour le moins pittoresques (celle avec laquelle elle se présente sur scène pourrait être qualifiée de « crâneuse », vous comprendrez en la voyant), elle est désinhibée, elle assume ses rondeurs, pratique l’autodérision, elle ignore la langue de bois. Et, surtout, elle possède une voix incroyable ; puissante, éraillée tout en étant nuancée. Elle a une telle maîtrise vocale, et dans tous les registres, que ça lui laisse beaucoup d’espace pour jouer la comédie. Même si on n’excelle pas en anglais, grâce à ses mimiques et à sa gestuelle, on comprend tout ce qu’elle veut faire passer dans ses chansons.
Fabrice Banderra, comédien subtil, nous propose une composition parfaite en contrepoint avec sa partenaire sur-vitaminée. Il est plus dans la sobriété, la retenue, mais avec, en permanence, cette pointe d’humour british qui nous ravit tant dans les grandes comédies romantiques américaines.


On passe un très bon moment dans cette petite salle agréable du Gymnase. On n’entend que des tubes et des grands standards. Qu’ils chantent seuls ou en duo, c’est tout le temps un véritable régal. Personnellement, j’ai entendu hier la meilleure version de Walk On The Wild Side, de Lou Reed ; l’humour et l’émotion s’y confondent pendant trois minutes d’une grâce totale… Et puis, il y a l’histoire. Krooner on the Rocks est construit comme une dramatique. La tension ne fait que monter. Chaque tableau est conçu pour nous amener à la grande scène finale : LA rencontre. C’est qu’on l’attend, cette rencontre !
Voici un spectacle qui fait du bien. C’est frais, joyeux, optimiste. On en sort tout revigoré, la banane au coin des lèvres, avec une vague sensation de « trop court ». C’est tellement bien joué et chanté, qu’on en voudrait encore un peu plus. C’est un bon signe, non ?


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 11 juillet 2016

Pour 100 briques t'as plus rien maintenant !

Théâtre Fontaine
10 ? rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Saint-Georges / Pigalle

Une pièce de Didier Kaminka
Mise en scène par Arthur Jugnot
Décor de Charlie Mangel
Costumes de Pauline Gallot
Lumières de Madjid Hakimi
Musiques de Paulo Goude

Avec Guillaume Bouchède, Mikaël Chirinian, Philippe Beglia, Christopher Bayemi, Clément Naslin, Flavie Péan, Ariane Mourier ou Gaëlle Lebert, Yannick Mazzili ou Boris Soulages

L’histoire : Inspirés par une série de braquages particulièrement réussis, Sam et Paul, deux jeunes chômeurs colocataires, y voient la solution idéale pour se faire de l’argent facile.
Ils décident de se lancer dans la préparation de leur premier casse, mais leur plan ne se déroule pas comme prévu…

Mon avis : Je pense qu’une pièce comme Pour 100 briques t’as plus rien, même si on y ajoute « maintenant » aurait dû rester dans le noble placard des comédies culte des années 80 et conservée avec soin dans la naphtaline… Le film d’Edouard Molinaro, de 1982, avec sa distribution haut de gamme, était très réussi. Il était adapté de la pièce de Didier Kaminka créée en 1976.
Personnellement, je me serais contenté du bon souvenir que m’a laissé ce film. Le problème avec cette reprise de « maintenant » au théâtre, c’est que quarante ans se sont écoulés. L’humour bon enfant de l’époque, n’est plus celui d’aujourd’hui. J’ai trouvé l’écriture vraiment démodée, un peu simpliste, avec des jeux de mots faciles… Pourtant, l’idée de cette pièce est excellente. Deux bras cassé qui commettent un hold-up et qui sont victimes du syndrome de Stockholm à l’envers, il fallait y penser. Les voir tomber en empathie avec leurs otages et décider de partager le butin avec eux est en effet un superbe sujet de comédie.


 Hélas, le traitement ne reste que superficiel… Vous aurez compris que je n’ai pris que peu de plaisir à découvrir cette version 2016. Il n’y a aucun reproche à adresse à la mise en scène, qui est vive et sujette aux ruptures. De même, la plupart des comédiens assurent, Guillaume Bouchède et Mikaël Chirinian sont irréprochables. De même, Clément Naslin et Flavie Péan font preuve d’une réelle présence comique (belle trouvaille de mise en scène d’ailleurs que de jouer sur la confusion que provoque la ressemblance de leurs voix). J’ai moins aimé le jeu trop outré de Philippe Beglia et, à un degré moindre, la prestation un peu sur-vitaminée de Gaëlle Lebert.
Ils ont fait de leur mieux avec ce qu’ils avaient, c'est-à-dire, un texte qui a beaucoup vieilli. On sourit de temps à autre, on trouve les acteurs sympathiques, mais ça ne suffit plus. En quarante ans, l’humour a considérablement évolué. Coluche, Desproges, les Inconnus, les Nuls et bien d’autres sont passés par là.



En conclusion, en dépit d’une bonne mise en scène et de la belle énergie des comédiens, ces 100 briques de 1976 ont été gravement dévaluées avec l’arrivée de l’euro. Il reste une pièce bon enfant, mais ce n’est sans doute pas suffisant.

samedi 2 juillet 2016

Don Quichotte, farce épique

Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Notre-Dame des Champs / Vavin

D’après Cervantès
Mise en scène de Jean-Laurent Silvi
Création technique de Robin Laporte
Costumes de Joan Bich

Avec Sylvain Mossot (Don Quichotte), Axel Blind (Sancho Pança), Barbara Castin (L’intervieweuse / la princesse Micomicona), Anthony Henrot (Le maître de cérémonie / Cardénio)

Présentation : Si l’on vous dit « cheval », « Moulins », « Sancho Pança », vous direz « Don Quichotte », sans doute. Vous êtes instruits. Et si l’on vous demande un peu plus que ça, la fameuse « Dulcinée » peut vous venir à l’esprit. Et après…
Tout le monde connaît le chef d’œuvre de Cervantès, bien entendu. Mais soyons francs, combien l’ont lu ?
C’est un plongeon dans l’histoire, et dans le ton, de cette parodie de romans de chevalerie qui a passionné le monde entier qui vous est proposé. Quand un gentilhomme campagnard décide de remettre la chevalerie errante en état, des siècles après, pour redresser les torts et ressusciter l’Age d’Or, ou quand le monde l’apprend… souvent à ses dépens.

Mon avis : J’avoue que je ne connaissais que la partie émergée de l’énorme iceberg Don Quichotte de Cervantès. C’est qu’il faut se les coltiner les deux tomes de chacun près de 600 pages ! J’étais donc très curieux de découvrir à quelle sauce le célèbre « chevalier à la triste figure » allait être accommodé dans ce qui était sous-titré comme étant une « farce épique ». J’aime bien ces deux mots, « farce » et « épique », et de les voir ainsi associés m’était plutôt alléchant. Et puis, le fait qu’elle soit programmée au Lucernaire était un gage de qualité intellectuelle…


La scène est quasiment vide. Des cubes sont les uniques éléments de  décor, ce qui permet de donner libre cours à notre imagination et se mettre ainsi en phase avec les délires fantasmagoriques de Don Quichotte. Dès qu’il nous apparaît, il est tout à fait conforme à l’image de son héros tel que l’a décrit Cervantès. Longue silhouette, le cheveu hirsute, le regard clair tantôt résolu, tantôt halluciné, et une très belle voix grave. Il a le geste et le langage grandiloquents. Il n’y a que l’endroit où on le découvre qui nous désarçonne un tantinet : il se trouve sur… un plateau de télévision où il est interviewé par une accorte journaliste. C’est déjà complètement anachronique et absurde et c’est très bien comme ça.
Cette trouvaille de mise en scène est une très bonne astuce, d’autant qu’elle va revenir régulièrement. Les questions que pose la jeune femme nous aident en effet à synthétiser l’œuvre et à en présenter les principaux personnages vus par Don Quichotte. Ensuite, la pièce va alterner entre entretiens et « fragments » des aventures du chevalier errant. Ce découpage original permet de donner du rythme aux différents tableaux.


Les différents fragments mettent en lumière l’opposition des personnalités de l’Hidalgo et de son écuyer Sancho Pança et, surtout, l’évolution psychologique de ce dernier. Les deux caractères sont remarquablement dessinés. Quichotte est habité, exalté, inconscient du danger, limite paranoïaque (paranoïa : sentiment d’avoir raison contre le monde entier). En même temps, il est totalement sincère dans sa mission de sauver le monde, la veuve et l’orphelin… Quant à Sancho, c’est le bon sens paysan. Il est simple (mais pas simplet), pragmatique, conciliant. C’est un brave homme qui a toujours envie de bien faire. Parfois pourtant, Quichotte se montre tellement persuasif en commentant ses visions à la façon d’un reportage sportif qu’il réussit à les faire se concrétiser dans l’imaginaire de Sancho. Ce qui donne lieu à de jolies scènes. Pour moi, la plus forte, c’est celle où Sancho se révolte. On voit alors combien les péripéties, souvent douloureuses ou violentes, qu’il a traversées l’ont enrichi intellectuellement… La séquence qui donne lieu à un invraisemblable dialogue de sourds entre Quichotte, Sancho et Cardénio constitue elle aussi un grand moment de comédie burlesque.
Il y a certes des moments un peu plus laborieux, des gags répétitifs, des baisses (rares) de régime, quelques outrances. Mais dans l’ensemble le pari est réussi. De toute façon, même si Don Quichotte est une œuvre populaire, elle n’est pas si accessible que ça. Il faut rester attentif et concentré. L’énergie dépensée par les acteurs nous y aide amplement.

Les deux comédiens qui incarnent Don Quichotte et Sancho Pança, Sylvain Mossot et Axel Blind, sont impeccables, tant physiquement, que dans leur jeu. Ils forment un formidable duo. Et ils sont remarquablement épaulés par Barbara Castin et Anthony Henrot.

Il est vrai que c’était une sacrée gageure que de compacter ainsi, 400 ans après sa sortie, le pavé de Cervantès. L’esprit du livre est tout à fait respecté. On en a simplement extrait le suc. Ça nous suffit amplement pour comprendre le message.