samedi 30 septembre 2017

Fausse note

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre Caumartin / Auber

Une pièce de Didier Caron
Mise en scène par Didier Caron et Christophe Luthringer
Décor de Marius Strasser
Lumières de Florent Barnaud
Costumes de Christine Chauvey
Son de Franck Gervais

Avec Christophe Malavoy (Léon Dinkel) et Tom Novembre (Hans Peter Miller)

L’histoire : Nous sommes au Philarmonique de Genève dans la loge du chef d’orchestre de renommée internationale, Hans Peter Miller.
A la fin d’un de ses concerts, ce dernier est importuné à maintes reprises par un spectateur envahissant, Léon Dinkel, qui se présente comme un grand admirateur venu de Belgique pour l’applaudir.
Cependant, plus l’entrevue se prolonge, plus le comportement de ce visiteur devient étrange et oppressant. Jusqu’à ce qu’il dévoile un objet du passé…
Qui est donc cet inquiétant monsieur Dinkel ? Que veut-il réellement ?

Mon avis : Pour sa première pièce dramatique, Didier Caron a fait fort, très fort. Jusqu’à présent, il nous avait séduits avec des pièces de mœurs chorales dans lesquelles il glissait subtilement de sérieuses réflexions, cette fois il réduit considérablement la voilure en ne convoquant que deux acteurs sur scène. L’exercice était délicat car il ne pouvait pas se reposer sur le nombre et distraire notre attention avec un ou deux personnages plus amusants que les autres. Là, il s’agissait d’étayer, d’apurer, de gratter la chair au plus près de l’os… Que Didier Caron se coltine au drame n’a en fait rien de surprenant. C’est une suite et un désir logiques. Déjà, dans Le Jardin d’Alphonse il avait abordé quelques thèmes plus profonds comme la relation parents-enfants et les comportements passés inavoués… Il est donc en parfaite cohérence intellectuelle.


Fausse note est une réussite totale. Tant dans sa construction, dans la psychologie de ses personnages et dans ses dialogues. Il nous place dès le début dans un état d’esprit où la curiosité se le dispute au malaise. On sent tout de suite que la visite Léon Dinkel (Christophe Malavoy) n’est pas anodine. Il est trop patelin, trop poli, trop doucereux, trop flatteur pour être sincère. On voit bien qu’il a une idée derrière la tête, on sent venir le coup fourré. Et le moment qu’il a choisi est le plus opportun car Hans Peter Miller (Tom Novembre) est trop fatigué, trop pressé de rentrer chez lui et trop obnubilé par sa récente promotion pour être sur ses gardes. Il est donc très facile pour Dinkel de jouer avec ses nerfs et de le manipuler.

Progressivement, grâce à des informations livrées au compte-gouttes, Dinkel se fait à la fois de plus en plus précis et de plus en plus mystérieux. Si bien que le suspense ne cesse de grandir jusqu’à devenir oppressant tant pour nous que pour ce « pauvre » Miller. Pourtant, la suite est totalement prévisible. Nous ne sommes pas idiots : on devine que c’est le passé en la personne de Dinkel qui vient de frapper à la porte de sa loge. On pressent que la guerre et le nazisme ne sont pas encore très loin pour cette génération.


Au fur et à mesure que les éléments du puzzle se mettaient en place, on voyait poindre une tragédie ancienne, indélébile. Mais la force de Didier Caron est de ne pas nous emmener au dénouement en ligne droite. Il s’ingénie à brouiller les pistes ou, plutôt, à brouiller les sentiments de l’un et de l’autre. Il nous embarque dans une direction puis, soudainement, il en prend une autre, nous laissant décontenancés. On a à peine le temps de comprendre sa logique, qu’il nous sème de nouveau sur le chemin de la compréhension. Il est pervers le garçon ! En fait, il agit sur nous de la même façon, avec le même machiavélisme que Dinkel vis-à-vis de Miller. Il est comme un pêcheur ; il nous a ferrés, et profitant de ce que nous sommes accrochés bien solidement, il laisse parfois un peu de mou pour nous détendre et, sans prévenir, il nous redonne un grand coup de tension dans les branchies. Bonjour le confort intellectuel ! Car, jusqu’au bout, Dinkel et lui vont nous balader…


Fausse note est un formidable jeu de piste(s), un affrontement en huis-clos particulièrement stressant. Personnellement, j’ai songé plusieurs fois au thème de Il était une fois dans l’Ouest et à la confrontation entre Henry Fonda et Charles Bronson.
C’est là qu’il faut parler de la double prestation de Christophe Malavoy et Tom Novembre. Quelle performance d’acteurs !.Christophe Malavoy joue tout en nuances et sobriété. Il est sûr de son fait, totalement habité par la mission qu’il s’est fixée, il a préparé son plan on ne peut plus méthodiquement. Dans cette bataille, c’est lui qui possède tous les as. Alors, il peut se permettre de la jouer avec un certain flegme. Plus Miller s’énerve, plus il est calme. L’opposition de styles est frappante… En revanche, le jeu imposé à Tom Novembre est bien plus complexe. Il doit être sans cesse en réaction. Il passe par tous les états d’âmes : agacé, contrarié, impatient, en colère, désorienté, impuissant, résigné, vicieux, vaincu… Il est impressionnant dans tous les registres. A la fin, il nous livre une composition qui nous laisse complètement scotchés au fauteuil.
Ce binôme de comédiens est confondant d’authenticité.

Fausse note nous offre une partition parfaite, remarquablement écrite, composée et interprétée. Elle aborde des thématiques aussi fortes que la responsabilité, la relation père/fils, le rapport à la foi (superbe diatribe à ce propos dans la bouche de Dinkel), la vengeance, le pardon, la résilience… Il est interdit d’en dévoiler la fin, ou plutôt les fins, car Didier Caron nous trimballe jusqu’au bout.
Même le titre, Fausse note, donne lieu, vous le verrez, à plusieurs interprétations. En tout cas, elle mérite un10 sur 10.

Gilbert « Critikator » Jouin

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